« Les
panneaux de la vengeance ». Je crois qu’on tient ici le titre français le
plus con de l’après-guerre. Pourquoi pas « La caisse à outils de la mort »
ou « La ponceuse de l’enfer »… En tout cas, ce film mérite toutes les
louanges à son propos. Scénar original et réalisation de l'irlandais Martin McDonagh, qui
fait surtout carrière comme auteur de théâtre, et arrive au cinéma avec l’épatant
et tarantinesque BONS BAISERS DE BRUGES en 2008.
Ca
raconte quoi cette histoire de panneau… Mildred Hayes loue trois panneaux
publicitaires à la sortie de la ville d’Ebbing. Elle y fait inscrire « RAPED
WHILE DYING » « AND STILL NO ARRESTS ? » « HOW COME, CHIEF WILLOUGHBY ? ».
Tout le monde comprend, les flics en premier. La fille de Mildred a été violée
et assassinée il y a 7 mois, et l’enquête piétine, aucun suspect ni indice, le
dossier est classé verticalement. Le coup de pub de Mildred va faire bouger
tout ça, et va surtout foutre un beau bordel à Ebbing.
En
fait, y’a pas d’enquête, c’est à peine un polar, ni un Film Noir, et pourtant
il y a de l’action, tout le temps, l’intrigue ne cesse de rebondir, d’un personnage
à l’autre. L’action, c’est eux, qui agissent, et surtout Mildred Hayes, une
furie placide, violence rentrée, mais qui ne demande qu’à s’exprimer (en jurant comme une charretière, surtout !). Et elle
va loin. Ce n’est pas un film de vengeance, Mildred n’est pas une Charles
Bronson en jupon, elle ne débarque pas avec son flingue. Mais d’abord avec ses
mots, son regard, et sa détermination, et ensuite, c’est vrai que ça dérape en
mode RAMBO « J’vais tout péter ! ».
Une
des grandes qualités du film, c’est son écriture. C’est construit, malin, les seconds rôles existent, les
lignes bougent, évoluent. Et c’est génialement dialogué. On pourrait penser aux
films de Mankiewicz où les dialogues caustiques font office de mitraillette. On
pense aux frères Coen. Car cette histoire dramatique (et violente) est traversée de moments
cocasses, drôles, les personnages sont entiers et se lâchent. Justement, autre qualité, les personnages, tous en conflit les uns avec les autres, à un moment ou à un autre.
Autour de Mildred gravitent le chef Willoughby, incapable bourru au
premier regard, beaucoup plus fin au second, quand on apprend qu’il est en
phase cancéreuse terminale. Attention, pas de mélodrame, hein ? Mildred
lui répond : « Bah oui, je sais, pour que mon action soit efficace,
il fallait faire ça avant que vous soyez cané ». Son adjoint Jason Dixon gagne
la palme du pire salopard qui soit, un régal d’homophobe, de raciste, violent, trentenaire
bedonnant qui bibine sec et vit chez sa mère acariâtre. L’ex-mari Charly Hayes,
qui tabassait Mildred, qui s’est mis en ménage avec une pouffe de 19 ans. Red
Welby, le gars qui loue les panneaux, et James, le nabot du bled… Que de rancœurs et de cruauté.
Et
aucun n’est là par hasard, d’ailleurs rien n’est laissé au hasard. Un type
patibulaire rend visite à Mildred dans son magasin, odieux et menaçant, on
va le retrouver, plus tard à la fin… Dans BONS BAISERS DE BRUGES c’était déjà
le cas, laisser le spectateur regarder une scène, entendre quelque chose, qui
ne prendra sens qu’ensuite. Très belle idée que celle des lettres que
Willoughby envoie à certains, et là encore, les mots, le texte.
Côté mise en scène, pas de déchet, les images (très bien cadrées) servent la narration plus que l'égo du caméraman, tant mieux. Les acteurs sont rois, McDonagh les chouchoute, leur offre un bel écrin même s'il s'accorde quelques fulgurances, des accès de violence, brutale quand Jason Dixon, en plan séquence caméra épaule, déboule au bureau de Red Welby pour lui faire sa fête - dans l’indifférence quasi générale de la population - ou accidentelle, quand Willoughby crache ses poumons à la gueule de Mildred. Il n’y a qu’un flash-back, court, mais il est judicieux, et terrible, on y comprend surtout beaucoup de choses.
Côté mise en scène, pas de déchet, les images (très bien cadrées) servent la narration plus que l'égo du caméraman, tant mieux. Les acteurs sont rois, McDonagh les chouchoute, leur offre un bel écrin même s'il s'accorde quelques fulgurances, des accès de violence, brutale quand Jason Dixon, en plan séquence caméra épaule, déboule au bureau de Red Welby pour lui faire sa fête - dans l’indifférence quasi générale de la population - ou accidentelle, quand Willoughby crache ses poumons à la gueule de Mildred. Il n’y a qu’un flash-back, court, mais il est judicieux, et terrible, on y comprend surtout beaucoup de choses.
Dans
son ambiance et son style, ou peut penser à des films comme CROSSING GUARD de
Sean Penn, MYSTIC RIVER d’Eastwood, DANS LA CHALEUR DE LA NUIT de Norman
Jewinson, voire à UN HOMME EST PASSE de John Sturges - l'humour caustique en plus. Des films qui ont en
commun un acte violent refoulé par une communauté, qu’un électron libre va
venir titiller, en exacerber les tensions. On pense aussi, déjà dit, aux frères
Coen, d’autant que Mildred est jouée par Frances McDormand, actrice fétiche des
frangins (on la découvre en flic ahurie dans FARGO, il y a un fil entre ces deux fouille-merde) et accessoirement épouse de
Joel, et donc belle-sœur d’Ethan… Elle est juste fabuleuse, et chose étonnante,
n’inspire pas spécialement la sympathie. Ce n’est pas la mère-courage éplorée,
mais une femme pétrie de douleur et de regrets, un morpion qui vient gratouiller les mauvaises consciences, et les institutions,
police, religieux. Woody Harrelson nuance aussi son personnage, toute la
distribution est parfaite, mais Sam Rockwell en flic bas du front est presque l’attraction
principale, rattrapé de justesse par une rédemption plutôt ambigüe.
Une
enquête sur un meurtre ? Sauf qu’on ne voit pas le meurtre, ni l’enquête.
Ce n’est évidemment pas le plus important. Si vous avez l’occasion de croiser ce film sur un écran, car il semble très peu ou très mal distribué, allez voir THREE
BILLBOARDS OUTSIDE EBBING, MISSOURI (son titre original), c’est un ton, une
écriture, un sacré bon film. Et puis un film bercé (entre autre) par les rengaines de Robbie Robertson ou Townes Van Zandt ne peut pas être mauvais.
couleur - 1h55 - scope 1:2.35
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