vendredi 9 février 2018

PENTAGONE PAPERS de Steven Splielberg (2018) par Luc B.


Pendant la post production de son prochain film READY PLAYER ONE (qui sort dans deux mois !), visiblement un truc de SF bourré de numérique, Steven Spielberg s’est dit : tiens, pendant que les ordinateurs calculent leurs trucs, j’ai le temps de faire un autre film… Un petit film de genre, enquête journalistique, où on croise - et pour cause - les mêmes protagonistes que dans LES HOMMES DU PRESIDENT (Alan J. Pakula, 1976). L’action se passe à la rédaction du Washington Post, qui a sorti l’affaire du Watergate. D’ailleurs l’épilogue du film de Spielberg, juste après avoir entendu Nixon blacklister les journalistes du Post, et souhaitant ne plus en entendre parler, se termine sur une image de cambrioleurs dans un immeuble, avec en voix-off ce témoin : « allo, la police, je crois qu’il y a une effraction en face, dans l’immeuble du Watergate »… 

Ce que raconte le film s’est passé avant. Envoyé pour couvrir la guerre du Vietnam comme observateur, Daniel Ellsberg participe à la rédaction d’un rapport où sur 7000 pages, et depuis les trois dernières présidences des Etats Unis, on argumentait que la guerre au Vietnam était une erreur politique, engendrerait une défaite et des pertes immenses, mais bon… on va y envoyer tout de même notre belle jeunesse… Ellsberg, lanceur d’alerte comme on dit aujourd’hui, balance une copie du rapport au New York Times, qui après trois mois de vérification, publie des extraits. Nixon siffle la fin de la récréation avec adjonction des juges. Black-out ! Secret défense, circulez, y'a rien à lire. Le Washington Post, à l'époque moins influent, se dit qu’il y a un coup à jouer, si on savait où dénicher ce brulant dossier…

Petit film - mais grand propos - comme on le décèle dès la première séquence de combat au Vietnam, qui n’a pas l’ampleur de IL FAUT SAUVER LE SOLDAT RYAN. Pas moins efficace pour autant. Spielberg (sacré filmeur devant l'Eternel) ne veut pas d’une fresque, mais d’un film au plus près de ses personnages. Car au-delà de l’enquête - on y reviendra - PENTAGONE PAPERS s’attache à Kay Graham, la patronne du Post. Son père a fondé le journal, mais ce n’est pas sa fille qui en héritera, c’est le mari de celle-ci. A la mort du mari, Kay Graham devient par défaut la directrice. Une femme seule à une meute d’hommes en costumes sombres.

On la voit lors d’une réunion avec son conseil et des représentants des banques, tenter de prendre la parole, balbutier, presque gênée d’être là, pas à sa place, transparente. Excellente scène qui contraste avec une autre, plus tard, où elle se plante devant son interlocuteur et lui dit : « ce n’est pas mon père ni mon mari qui dirige ce journal, c’est moi. Et si vous n’êtes pas d’accord, démissionnez ! ». Et vlan. C’est cette femme que Spielberg suit à la trace, consciente de sa position, et qui ne manquera pas d’expliquer à sa fille que les temps doivent changer.

A part quelques secrétaires, la rédaction du Post est exclusivement masculine aussi, dirigé par Benjamin Bradley. Respectueux de sa patronne, certes, mais qui suggère tout de même dès leur première scène (épatant plan séquence, quasi fixe, des deux acteurs à une table de restau) de ne pas mettre son nez dans la ligne éditoriale. Mais il sait que c’est elle qu’il devra convaincre.

Contrairement à LES HOMMES DU PRESIDENT, on n’a pas droit à une enquête fouillée. Quelques coups de fil du journaliste Ben Bagdikian suffiront à dénicher le rapport McNamara (conseiller à la Défense). Le film se concentre surtout sur : que fait-on de cette bombe ? Quelles conséquences politiques, financières et juridiques ? Le film aurait pu insister un peu plus sur les batailles de prétoire, toujours efficaces au cinéma !  

Spielberg filme au plus près, souvent caméra à l’épaule, avec quelques beaux plans séquences, s'offrant des cadrages très Film Noir. Le ton s'apparente parfois au thriller, avec ces plans de Nixon au téléphone, en ombre, filmé derrière les fenêtres de son bureau, ou Bagdikian à sa cabine téléphonique. Les images révèlent aussi la face cachée de la fabrication d'un journal (gros plans sur les planches de composition, rotatives…) la difficulté et la responsabilité, à cette époque, de sortir un article. C’est long, il faut du temps, quand on voit aujourd’hui les trois lignes copiées-colées des news sur Internet, aussitôt mises en lignes et souvent corrigées, retirées, démenties dans l’heure qui suit !

PENTAGONE PAPERS est relativement court pour un Spielberg (1h55 c'est déjà mieux que 2h20...) toutefois, en son milieu, les choses auraient pu être racontées avec davantage de nervosité. Mais il signe de très belles séquences de groupes, dans la rédaction (classique open-space, mais ça le fait) ou l’épluchage du dossier au domicile de Bradley (le cadre au départ ressemble à celui d’INDIANA JONES avec les Tables de la Loi !) ou encore cette conversation téléphonique à plusieurs interlocuteurs, tendue.

On a beaucoup parlé du casting du film. Il est excellent. Bradley est joué par Tom Hanks,(cinq films en commun) qui se bonifie avec le temps, goguenard, vif, face à une Meryl Streep impeccable (desservie par son brushing ?!), c’est un vrai plaisir de les voir ensemble. On pourra ergoter sur un final légèrement pompeux dans le propos (à l’américaine, quoi…) dès qu’il s’agit de louer la Constitution et le premier amendement. Mais bon, c’est un film à message, vous l’aurez compris !!

Un petit Spielberg ne veut pas dire un Spielberg en petite forme. Son film le plus juvénile depuis longtemps (sans découpage technique préalable ni storyboard), qui ne se disperse pas, droit dans son sujet. Ensuite, c’est l’expérience qui parle… euh... qui filme.

 PENTAGONE PAPERS (2018)
couleur - 1h55 - format 1:1.85  

 
***

2 commentaires:

  1. La Streep, le Hanks, et le Spielberg, même en roue libre, ça a plutôt tendance à m'intéresser... même si j'ai vu cette semaine "le pont des espions" sur le câble (spielberg et hanks au générique) et que j'ai trouvé ça assez poussif, bien filmé certes, mais bon, faut se motiver pour pas piquer une petite sieste ...

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  2. Ouais, mais celui-ci a comme avantage d'être plus court que le "Pont"... La Meryl et le Tom sont au top...

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