- Ah ah M'sieur Claude, on continue l'épopée Mahler… Voyons voir, la
dernière fois c'était en janvier 2017 avec la 4ème symphonie…
Mais, il est ancien ce disque Solti, 1966 ?!
- Oui et c'est avec cet enregistrement du bouillant chef hongrois que
j'ai découvert cette symphonie. Je le préfère au remake plus bourrin
réalisé à Chicago…
- Si vous le dites !
tout à l'heure
j'écoutais depuis mon cagibi (Merci M'sieur Luc). C'est le grand jeu :
grand orchestre, des chœurs, etc. Un opéra ou une symphonie ?
- Toujours pas un vrai bureau ? Je vais voir ça… Sinon, oui une symphonie
en forme d'oratorio dans la seconde partie, un peu à la manière de
Beethoven dans sa 9ème…
- Ce n'est pas le premier CD consacré à Georg Solti…
Pour Mahler, je sais que vous cherchez à changer de chef à chaque fois…
Donc du coup c'était quoi le premier papier Solti ?
- Un album Bartók, le concerto pour orchestre et la musique pour cordes,
percussions et célesta. J'avais d'ailleurs commenté l'album sur deux
semaines, une exception…
Georg Solti et Birgit Nilson vers 1965 enregistrant le Ring de Wagner |
J'ai toujours le trac en écrivant les premières lignes d'un article
consacré aux grandes symphonies de
Mahler. Des œuvres expansives sur le plan orchestral, une inspiration tourmentée
et métaphysique, des milliers de choses à dire… D'où la crainte de ma part
de ne pas tenir le pari de partager ma passion de manière simple, mais pas
de façon réductrice non plus. Inquiétude à propos d'ouvrages qui
m'enthousiasment au plus haut point depuis les années 60, époque où le
compositeur viennois était encore mal vu.
Comme je le confiais à Sonia, j'ai un faible pour cette première version de
la
2ème symphonie
par le chef hongrois. Je précise tout de suite que les gravures DECCA des
années 60 bénéficient d'une technique qui n'a jamais été vraiment surpassée.
Notamment en termes de dynamique. En
1984,
Georg Solti à la direction réputée virile donnera une version numérique avec le
puissant
symphonique
de
Chicago. Une lecture massive qui a déçu nombre de mélomanes. L'orchestre n'est pas
en cause puisque dans ce blog vous trouverez un article consacré à la
9ème symphonie
avec cette phalange magnifique dirigée par l'italien
Carlo Maria Giulini
dont la subtilité de la conception et la noblesse du style ne sont plus à
démontrer. Cela dit,
Georg Solti
fait partie de ces maestros qui ont fait entrer les symphonies de
Mahler
dans le répertoire symphonique incontournable au cours des années 60 et 70
au même titre que ses confrères
Haitink,
Bernstein
ou
Kubelik. J'avais entendu le chef lors d'un concert musclé dans les années 70 dans
la
6ème, une œuvre sauvage, angoissée et terrifiante qui convenait bien à son
tempérament volcanique. Un bon souvenir.
(Solti-Clic)
Faut-il que je présente une nouvelle fois
Gustav Mahler, le dernier symphoniste romantique ?
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Un effectif titanesque (Mariss Jansons à Munich) |
Comme pour
Beethoven,
Schumann,
Brahms
ou
Bruckner, chacune des symphonies de Mahler
mérite à mon sens une chronique. Pour ce dernier, nous avons déjà écouté les
symphonies 1, 4, 6, 7 et 9 par les chefs les plus représentatifs de la
discographie mahlérienne. Je vous renvoie à l'index pour prendre
connaissance d'éléments biographiques concernant ce compositeur dont la vie
digne d'un personnage de roman dramatique a bénéficié d'un portrait à
l'occasion du billet sur le ballet Blanche Neige (Clic)… En résumé :
Mahler
est né dans une famille juive en
1860 en Autriche. Être de
racine juive à la fin du XIXème siècle est un handicap ;
l'antisémitisme intellectuel (débat sur l'intégration culturelle) ou déjà
militant sera un frein à sa carrière au point qu'il se convertira au
catholicisme pour accéder au poste de directeur de l'opéra de Vienne. Ce
n'est pas la seule raison que l'on pourrait taxer d'opportunisme,
Mahler
n'a cure de la religion juive et se passionne tôt pour le christianisme,
d'où certaines obsessions spirituelles récurrentes dans son œuvre : la peur
permanente de la mort et les interrogations sur l'au-delà…
Malgré son amour pour les beautés de la nature et la liesse populaire,
terreau des
symphonies
1,
3
et 4
et des
Lieder du
knaben wunderhorn
(cor merveilleux de l'enfant), l'œuvre de
Mahler
sera marqué par ses phobies morbides, bien aidé en cela par les souffrances
personnelles : la mort de sa fillette, les conflits conjugaux avec
l'extravagante Alma, la maladie cardiaque précoce, l'antisémitisme rampant à
son encontre. Il faudra que j'aborde ses cycles de lieder et évidement
Le chant de la terre, son testament.
Oui, une succesion de drames pour ce génie qui sera emporté à l'âge de 51
ans par l'épuisement dû à une hygiène de vie suicidaire. Génie dans le sens
où ce compositeur, qui bouscule complètement les formes symphoniques
classiques et l'usage académique des tonalités, assume l'étrangeté de son
inspiration. Il assure ainsi un pont essentiel entre la fin du romantisme et
la musique moderne.
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Hellen Watts (1927-2009) Contralto |
Dès l'âge de vingt ans,
Mahler
a déjà acquis une réputation de maestro, surtout dans le domaine de l'opéra.
Jusqu'en 1897, il va courir de
poste en poste de directeur : Bad Hall (Autriche), Ljubljana, Prague,
Leipzig, et Hambourg où il peut enfin se fixer pendant six ans. Pour ce chef
hyperactif, le temps pour composer est compté. Il lui a fallu six ans pour
écrire la
1ère symphonie
"Titan" créée sans grand succès en
1889, ainsi que ses premiers
Lieder
(Clic). Une symphonie ambitieuse dans laquelle s'impose déjà son style atypique :
l’affrontement entre musique cérébrale et populaire, la marche, l'ironie,
l'orchestration sophistiquée et puissante.
La
2ème symphonie
"Résurrection" lui demande sept ans de travail ! Les esquisses en
1888, et une partition
exécutable en 1894 et qui
attendra 1895 et le soutien de
Richard Strauss
pour être jouée dans son intégralité…
En 1888,
Mahler
avait composé une marche funèbre "Todtenfeier" qui deviendra le premier mouvement de cette étrange symphonie, la
première pierre. Oui, étrange, car cette partition procède de la musique
orchestrale, du lieder et de l'oratorio, comme si
Mahler
tentait une symbiose entre tous ces genres. La mort et le thème de la
résurrection, les regrets de devoir quitter de manière incompréhensible le
monde terrestre pour ressusciter hantent la partition. Des thèmes qui
deviendront des fondements de son inspiration après la période plus gaie du
Knaben Wunderhorn
(Contes et légendes du cor merveilleux de l'enfant), celle des lieder éponymes et des
3ème et 4ème symphonies.
Les trois premiers mouvements seront joués face à un public clairsemé en
1895 à Berlin. La critique
accueille fraîchement les oppositions entre violence dramatique et ländler
pastoral. Peu de temps après
Mahler
crée sa symphonie lors d'un concert où beaucoup de billets gratuits ont été
distribués. Curieusement, la crème des musiciens allemands de la nouvelle
génération apprécie cette fougue moderniste : les chefs
Arthur Nikisch,
Felix Weingartner
entre autres.
Debussy, présent, quitte la salle avant la fin… Il faut dire qu'entre
l’expressionnisme raffiné de
la Mer
à venir en 1905 et le mysticisme rugissant (cacophonique ?) de la
symphonie, le fossé est impossible à combler. De nos jour, cette œuvre démesurée est
la plus populaire et la plus interprétée du patrimoine de
Mahler.
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Heather Harper (née en 1930) Soprano |
L'orchestration mise en place par
Mahler
tourne le dos définitivement à l'effectif courant du romantisme. C'était
déjà un peu le cas dans sa
1ère symphonie, mais là, même
Berlioz
ou
Wagner
semblent chercher la simplicité 😄, donc nous avons :
- une soprano et une contralto ou une alto ;
- un grand chœur mixte (voire deux, 200 à 300 choristes ou plus) ;
- 4 flûtes (+ 4 picolos), 4 hautbois (+ 2 cors anglais), 5 clarinettes sur
deux tonalités (+ clarinette basse), 3 bassons, 1 contrebasson, 6 cors,
6 trompettes, 4 trombones, 1 tuba basse, 6 timbales, 1 grosse caisse,
cymbales, tam-tam, 1 triangle, fouet, glockenspiel, cloches tubulaires,
grand orgue, 2 harpes et les cordes.
Et en coulisse : un petit orchestre d'harmonie pour faire entendre dans les
sphères célestes des sons terrestres lointains : 4 cors, 4 trompettes,
1 timbale, cymbales, triangle.
- M'sieur Claude, il n'y a pas de célesta ? Pardon ? Vous avez vérifié
sur la
partition
?
Oui, je sors…
L'ouvrage imposant comporte cinq mouvements que parfois l'on réunit en
trois parties : d'abord un groupe de trois mouvements orchestraux dont la
succession reste assez fidèle au plan d'une symphonie traditionnelle,
ensuite un lieder chanté par la contralto, puis enfin un grand mouvement
débutant de manière orchestrale pour s'achever en forme oratorio, d'où le
fréquent parallèle entre l'organisation de cette œuvre monumentale et celle
de la
9ème symphonie
de
Beethoven. La durée d'interprétation est d'environ 1H20.
Commenter en détail un tel ouvrage conduirait à un article démesuré. Il y a
d'excellents livres sur le sujet. Je donne quelques clés, certaines du
compositeur lui-même, un petit guide pour entrer dans cet univers où
s'opposent le tragique et l'espérance.
Nota : la vidéo de 2018 ayant été supprimée, elle a été remplacée par une
playlist, ce qui conduit hélas et je vous prie de m'en excuser un peu de
calcul mental pour adapter le minutage 😓. En prime l'interprétation de 1958 de Bruno Walter à New-York.
Mahler vers 1897 |
1 – Allegro maestoso
:
Mahler
avait rédigé un programme destiné aux auditeurs, il sera supprimé lors des
concerts mais les écrits restent, en
substance : "Porter son héros au tombeau… Pourquoi as-tu vécu ? Pourquoi as-tu
souffert ? Tout n'est qu'une effroyable plaisanterie. Comment comprendre
?". Les premières mesures terrifient : des trémolos cinglants jaillissant
des violons, un premier thème tragique scandé avec violence aux contrebasses
; la marche funèbre s'ébranle. Si
Mahler
se plie encore à la forme sonate, la durée de l'exposition du premier groupe
de thèmes est si longue que
Beethoven
semble désormais bien loin… La procession des contrebasses introduit un
chant funèbre aux bois et aux violons [0:48], une impétueuse reptation
douloureuse qui se hâte avec véhémence vers un choral de cuivres [1:36]. Un
violent coup de cymbales clôt cette exposition macabre et sarcastique
[1:54]. Suit un groupe de motifs composant un premier développement
pathétique qui conduira à la reprise [3:00]. Reprise ? Pas tout à fait car
si le matériau mélodique demeure, les instruments s'insinuent dans une
orchestration renouvelée et très mouvante. Là est l'art de
Mahler
: frapper l'auditeur par des éléments musicaux qui captent facilement
l'attention, un kaléidoscope concertant et fantasque qui évite les
répétitions ennuyeuses lorsque la forme sonate se construit, comme ici, sur
des durées importantes. Il a bien retenu les leçons de son maître
Bruckner
en les appliquant à son univers dramatique, farouche et grotesque. [5:22]
Une lumière chamarrée aux cordes, bois et harpes apporte une transition
surprenante dans le flot musical. Une mélodie tendre évoque les délices
terrestres qu'il faudra inexplicablement quitter. D'ailleurs, ces souvenirs
s'estompent pour laisser de nouveau place à une péroraison martiale où
s'impose cette angoisse métaphysique insistante… [10:22] Un trait rageur des
percussions et des contrebasses assure la reprise réelle de la marche
funèbre initiale, mais dans un esprit quasi goguenard. On pourrait continuer
sans fin d'énumérer toutes ces trouvailles polyphoniques qui annoncent le
modernisme tonal du XXème siècle et les excentricités épiques du
postomantisme.
Ce mouvement est une œuvre dans l'œuvre par son inventivité. Bien que d'une
écriture complexe, il se déploie dans une logique rigoureuse. Un sujet
unique le guide : l'absurdité de l'existence humaine soumise à des limites
temporelles : la naissance, la vie et la mort. Le choix d'une marche n'est
donc par un hasard mais l'expression de cette succession d'évènements sur
lesquels l'homme n'a, tout compte fait, que bien peu le contrôle ; la joie
et la détresse s'opposant sans cesse au gré des bouffonneries du destin. Cet
allegro empreint de gravité s'achèvera par une ultime procession funeste et
burlesque dont le point final n'est autre qu'un sinistre arpège descendant
vers l'abime, une chute d'une grande férocité symphonique.
La résurrection des morts (1547 - MaîtreCC) |
2 - Andante moderato (très nonchalant) : [21:06] Après le sombre et sardonique allegro initial, Mahler
cherche-t-il à illustrer ses désirs de sérénité, de douceur de vivre ?
Peut-on considérer cet andante comme le mouvement lent suivant la logique
structurelle d'une symphonie classique ? À mon sens oui. Mahler
restera jusqu'à sa dernière symphonie plutôt attaché au plan classique de la
symphonie, avec de nombreux écarts, certes. Le compositeur souhaitait une
pause de cinq minutes après la dantesque marche funèbre et aurait exprimé
des regrets ultérieurs quant à l'insertion de ce passage plaisant, estimant
presque incongru cet intermède charmeur au sein d'un ouvrage passablement
mortifère malgré sa conclusion dionysiaque. Par chance, il l'a maintenu et
ce "menuet" est un pur chant de félicité, d'une grâce exceptionnelle face à
la rugosité habituelle du style du musicien.
Les cordes ouvrent le bal (au sens propre) par une mélodie galante. On se
rappelle l'attachement de Mahler
pour les ländler, ces danses si populaires. [22:32] Une seconde idée plus
allante émerge au son de la flûte et du hautbois au sein d'une mélodie bien
rythmée des violons. [23:22] Un trait de violoncelle rageur s'interpose et
laisse la musique gagner en vitalité. [24:01] Une nouvelle mélodie énoncée
par les violoncelles nous transporte dans un monde paradisiaque et
bucolique. [26:55] Un passage plus fougueux coloré par les bois et les
cuivres sème le trouble et l'ambiguïté par son climat combatif. Peut-on
réellement parler uniquement de l'évocation de souvenirs radieux ? [28:32]
Reprise thématique en pizzicati agrémentée de notes de picolo, de flûte et
de harpes. Encore un passage guilleret illuminé par les harpes et qui permet
de retrouver l'esprit chorégraphique introductif. Mahler
imagine écrire un menuet des temps passés mais sans la rigoureuse symétrie
d'un scherzo de Bruckner. Il recourt à une architecture plus libre, festive et féérique, celle d'un
rondo. Ce délicieux andante s'achèvera tout en douceur et en sensualité par
quelques pizzicatos ppp et des
arpèges des harpes qui invitent à la rêverie. On a connu Georg Solti
parfois rustaud. Ici il fait les pointes. Direction aérée et précise,
aucun maniérisme dans un andante somme toute enfiévré.
Couverture pour Knaben Wunderhorn |
4 - Urlicht (Lumière originelle)
:
Très solennel, mais simple. Modéré comme un choral
: [41:58]
Si les trois premiers mouvements restent malgré leur originalité dans la
lignée de la forme symphonie usuelle à l'époque, par ce lied, Mahler
va pulvériser les traditions. Dans la première partie, le compositeur
confiait ses interrogations par rapport au trépas, à l'écoulement inexorable
du temps, les souvenirs étant
vus comme des viatiques existentiels. Ce lied va marquer le tournant vers
l'immense final mystique. On note l'antinomie entre les mots
solennel et simple dans l'indication du style à adopter par la
contralto. Oui, simple, car le poème tiré du recueil de contes du
Knaben Wunderhon (Le cor
merveilleux de l'enfant) exprime une foi populaire, la foi du charbonnier
pourrait-on dire… A contrario, la ligne de chant préfigure la solennité
grandiose du final. Mahler
n'a jamais peur du paradoxe et imbriquera souvent trivialité et philosophie
dans ses symphonies ultérieures.
On serait en droit d'attendre une écriture légère et sans surprise, une
complainte. Pourtant Mahler
joue la carte du mystère à la fois par des changements incessants de
tonalités, mais aussi de mesures (24 fois en six minutes !). Il désire que
le phrasé simule ainsi la voix des anges, un timbre de l'au-delà. Voici le
texte très enfantin :
Ô Petite rose rouge, L'humanité gît dans une très grande misère,
L'humanité gît dans une très grande souffrance. Toujours j'aimerais mieux
être au ciel. Une fois je venais sur un large chemin, Un ange était là qui
voulait me repousser. Mais non, je ne me laissais pas repousser ! Je viens
de Dieu et je retournerai à Dieu, Le cher Dieu qui me donnera une petite
lumière Pour éclairer mon chemin vers la vie éternelle et bénie !
Dans ce lied directement enchaîné au scherzo, la voix de la contralto
s'élève avec candeur et grâce, soutenue par un choral de cuivre et de bois
aux accents célestes. [44:17]
Violon solo, harpe, hautbois et flûte soutiennent un second passage plus
incandescent. Opposition entre la déploration et la confiance en la
miséricorde divine.
Helen Watts
chante avec pertinence, sans ornementation lyrique hors de propos ce très
beau lied. Georg Solti
accompagne subtilement la voix, veillant à souligner chaque détail
orchestral.
Michel-Ange : La résurrection des morts |
5 - In Tempo des Scherzos (Sauvage et martial – traduction perso)
: [46:26] Avec ses 35 minutes, Mahler
ne facilite pas la tâche de votre rédacteur. Certains commentateurs pensent
même que le point faible de cette symphonie réside dans cet apparent
éparpillement de passages cataclysmiques opposés à d'autres plus mystiques.
Cela me paraît réducteur. Je préfère y voir une volonté du compositeur
d'affronter ses peurs du tombeau. La peur conduit rarement à une logique
rationnelle de la pensée, la confusion du flot orchestral devenant la
traduction des affres intérieures. Georg Solti
assure un phrasé très transparent, quasi miraculeux pour une
orchestration aussi fournie.
Détailler cette folie symphonique doublerait la longueur de cet article.
Au-delà du nombre incroyable d'épisodes qui se succèdent, intéressons-nous
plutôt aux étonnantes innovations de la partition. Une révolution que fît en
son temps et à sa manière Beethoven
avec le final de sa
9ème symphonie.
Le final se compose de deux parties bien distinctes : une frénétique
péroraison nourrie des tourments intellectuels déjà présents dans les trois
premiers mouvements orchestraux, puis un hymne avec chœur proposant une
vision "extérieure" de la résurrection et de la libération qu'elle
apporte.
Dès la fin du lied, à l'instar du final de la
symphonie
"Titan", un puissant coup de cymbales ouvre les hostilités. (L'expression
convient bien tant Mahler
semble dans une rage folle de ne pas avoir de réponse quant à la destinée
des âmes.) Une courte fanfare de cuivre introduit un premier épisode à
l'esprit indéfini : terreur ou espoir. L'orchestration est sublime (pourtant
je n'aime guère ce mot). [48:10] la fanfare en coulisse évoque une musique
venue du monde terrestre et introduit un passage sombre mais lumineux. (Il
n'y a que Mahler
qui amène à écrire de telles apories !) Les thèmes qui porteront le chœur
final apparaissent un à un…
[52:12] Trémolos de cordes et dialogue des bois introduisent un passage
étrange, nerveux, qui de mesure en mesure va évoluer vers un dies irae de
requiem, peu religieux et angoissé, plutôt grotesque. [56:43] Mahler
tourne en dérision le Jugement Dernier, de nouveau sous forme d'une marche
fracassante, une jolie mêlée symphonique ironique et assourdissante qui a
bien entendu déconcerté les premiers auditeurs de l'œuvre. Par ailleurs peu
d'orchestre pouvait assumer facilement à l'époque l'enchaînement sans faille
des hurlements de flûtes, du fracas des percussions, des interventions
inopinées des orchestres placés en coulisse et établissant un conciliabule
entre terre et ciel. [1:02:13] La fureur paroxystique cède la place à la
résignation. Lentement le silence va s'instaurer ; l'acceptation de la fin.
Un "grand appel" des cors sonne tel un tuba mirum résigné. La flûte et la
trompette soulignent l'inquiétude d'être confronté au juge et
rédempteur…
[1:06:56] Dans le silence absolu du sépulcre, le chœur a cappella se fait
entendre. Mahler
fait chanter ppp le chœur assis
dans un premier temps pour obtenir un doux murmure sans rupture de la
lisibilité de la ligne de chant. La soprano intervient, une mélodie
élégiaque aux cordes énonce enfin le thème de la résurrection. La musique se
mue en une lente procession où interviennent chœur et solistes jusqu'à un
final grandiose avec cloches et orgue. Le grand jeu (que l'on peut trouver
pompeux - moi je dirais monumental -, mais on ne ressuscite pas tous les
jours, donc ça se fête…)
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Une discographie alternative, oui, comme chaque fois ; mais quelle galère !
Cette symphonie a été tellement enregistrée qu'il est bien difficile de
dresser un palmarès. On pourrait écrire une chronique sur ce sujet, mais
bon, la presse spécialisée se charge de ces exercices un chouia intello
d'établir un classement dit de référence. Je préfère promouvoir mes gravures
favorites avec quelques remarques.
Bruno Walter
et
Otto Klemperer
sont deux chefs qui ont connu Mahler. Du premier, il nous reste un disque stéréo de
1958 à Carnegie Hall avec
Emilia Cundari, Maureen Forrester
et la
Philharmonie de New-York. Les tempos sont lents, le son sonne un peu étriqué. Une conception plutôt
mystique, un beau témoignage, sans plus.
Bruno
Walter
n'était pas un adepte des intégrales comme ses successeurs. Il ne jouait
jamais les 3, 6, 7 et 8 ; principe louable quand on ne pénètre pas
intimement une œuvre et que l'on évite ainsi de publier des disques en
demi-teinte… Donc, on trouve cette version dans diverses présentations
réunissant plusieurs gravures (Sony – 5/6).
Le disque fétiche de Maggy Toon (et l'un des miens) date de
1975. En ces années-là,
Zubin Mehta
galvanise la
Philharmonie de Vienne
pour confier au disque quelques-unes de ses plus grandes réussites
discographiques (9ème
de
Bruckner
entre autres). Tempo équilibré, clarté du discours, absence d'élan
sulpicien, prise de son au top ; indémodable (DECCA
– 6/6). Ah j'oubliais, un atout : les voix sublimes de
Ileana Cotubras
et de
Christa Ludwig
au sommet de leurs arts.
Je ne pousse pas encore le coup gueule inhérent à chaque chronique
Mahler
en vitupérant contre
Philips qui ne voulut pas
achever pour des raisons mercantiles la seconde intégrale de
Bernard Haitink
avec la
Philharmonie
de Berlin. Un cycle des années 90 encore plus abouti que celui réalisé avec le
Concertegbouw d'Amsterdam
des années 60, l'un de ceux qui fit entrer
Mahler
dans la cour des grands. Disponibles facilement en import à prix
raisonnable, les rééditions par
DECCA comportent une "Résurrection" d'anthologie, un miracle. Les tempos retenus laissent chanter chaque
pupitre et donc respirer la complexité de la polyphonie et de
l'orchestration.
Haitink
ayant toujours évité le moindre pathos dans son style atteint de fait une
sphère métaphysique aérienne, réussit une gageure face à cette œuvre
granitique et mugissante. (DECCA
– 1993 – 6+/6). Prise de son
lumineuse et dynamique.
On pourrait citer aussi des interprétations de haute tenue :
Abbado
(DVD à Lucerne),
Kubelik
I & II,
Jansons…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Je vais surement me répéter, mais je suis rester sur les symphonies de Mahler par Rafael kubelik chez DDG
RépondreSupprimerC'est ce que j'ai cité Kubelik 1. Réédité en album simple d'ailleurs...
RépondreSupprimerBonsoir cher chroniqueur,
RépondreSupprimerpour déroger à mon habitude, il ne sera pas question de vous proposer d'enrichir la discographie de cet article mais bien de vous demander votre avis ! Qu'avez-vous pensé du cycle de Michael Tilson-Thomas, composé d'enregistrements de concerts avec l'orchestre de San Francisco ? Pour être raccord avec le sujet: https://www.hraudio.net/showmusic.php?title=2475