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Est-ce
l'univers grisâtre contemporain, pas uniquement au niveau des carrosseries,
mais à longueur de temps, aux infos notamment, qui a inspiré à Jean-Gabriel Causse son roman cocasse ?
Un monde où tout devient gris ; une disparition soudaine des couleurs… Bigre,
j'anticipe, reprenons l'affaire au début.
Rien
de surprenant que Jean-Gabriel Causse nous convie
à une aventure de cette nature. Bien au-delà de ses talents d'écrivain, notre
auteur est un designer spécialiste des couleurs et de leur influence sur nos
comportements. Il a publié en 2014 L'étonnant pouvoir des couleurs, un
essai plutôt scientifique qui a fait un tabac. Et ça me plait de partager à
travers une fiction l'une de nos passions réciproques : les liens entre les couleurs et
notre psychisme. Lors d'entretien de recrutement de jeunes ingénieurs,
j'utilisais le test de Max Lüscher,
psy suisse disciple de Jung.
Un jeu de huit cartes de couleurs que le candidat doit éliminer à partir de
celle dont la teinte le séduit le plus et ainsi de suite, indépendamment de tout
critère objectif (objet, vêtement). On obtient une palette qui permet de décoder
les grandes lignes du tempérament d'une personne. Ce n'est pas un diagnostic,
mais l'image d'un profil émotionnel qui permet d'anticiper le type
d'encadrement qui conviendra au mieux à un débutant. Et en plus, ça marche !
Je
m'écarte peu du sujet, notre perception des couleurs est une notion passionnante
et mystérieuse. Ainsi, pourquoi Maggy voit-elle le turquoise plutôt vert et moi
plutôt bleuté. Une histoire complexe de rétine, de cônes et de bâtonnets…
Dans
un tel roman qui flirte avec le fantastique, les personnages principaux sont
hauts en couleurs, logique !
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Charlotte est ladite
voisine. Pourquoi les lunettes ? Charlotte est aveugle et par ses autres sens
affutés sait qu'Arthur l'espionne. Ça l'irrite, mais sans plus😊. Et comme Jean-Gabriel
Causse cultive les paradoxes, Charlotte est une spécialiste
mondiale des couleurs, une thésarde pointue. Concept idiot ? Non, car comme déjà
expliqué plus haut, les couleurs ont leur propre vie scientifique : la
mécanique ondulatoire des photons, le cercle chromatique de Newton, la biologie
de l'œil ; il ne lui est pas indispensable de voir pour être savante… Charlotte a une fillette fan de dessin, Louise.
Ajay, un indien dont le rêve était de
conduire un taxi jaune de New-York. Il a même bravé la règle des castes pour
réaliser sa passion, jusqu'à se faire chasser par sa famille. Ajay aime le jaune, il y a un
marsupilami accroché au rétroviseur… Ajay
sera l'un des premiers témoins d'une catastrophe mondiale…
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Ajay découvre un matin que son taxi
est gris, que le marsupilami arbore une teinte sinistre. Arthur voit les derniers crayons fabriqués munis d'une mine noire
HB. Charlotte, elle ne voit rien,
mais animatrice à la radio, elle constate que l'information se répand comme une
traînée de poudre. Toute l'humanité est touchée par le phénomène morbide. Ben
oui, morbide : les œufs gris coupent l'appétit, votre jolie blonde aux yeux
bleus se métamorphose en quinquagénaire aux cheveux grisonnants.
Bon
Ok, ceux qui ont connu le cinéma en NB avaient des notions, mais quelle tristesse,
pire que la terre
des damnés de Glen Cooper
(Clic).
Le monde en gris se fiche des nuances subtile d'un Josef
von Sternberg ou d'un Harcourt.
Notre planète repeinte par Jean-Gabriel
Causse est devenue moche et déprimante. Le gris : la couleur des
rats, beurk !
Même les sympathiques chats de notre amie Cat sont devenus gris souris (pas pu m'en empêcher). Mais question
importante : ils sont réellement gris ou nous les voyons virtuellement gris ?
Charlotte et des
scientifiques phosphorent… les théories abondent. Pourquoi pas une épidémie mondiale d'achromatopsie
(absence de perception des couleurs, un syndrome congénital) ? Et oui, on va
découvrir plein de choses dans ce thriller polychrome savoureux à l'intrigue
monochrome.
L'écriture
de Jean-Gabriel Causse tourbillonne en douce
folie pour décrire les implications de la situation : du gris à lèvres aux
roses noires (que seul Karl Lagerfield, génial mais toujours sapé comme un croque-mort de luxe, apprécie). Un ballet cynique mais infiniment
drôle et caustique de figures de style et de métaphores ; par centaines. La
vision angoissante d'une humanité gagnée par la déprime, qui boulote des psychotropes
à la louche, et retrouve le chemin des églises et des sectes apocalyptiques… À
tout hasard… Quelle belle langue française que l'on croit parfois perdue à lire
la production actuelle de thrillers et de polars aux traductions approximatives !
Un
article déjà long pour ne présenter pourtant que le postulat de départ de ce
roman surprenant. Les couleurs seront-elles de retour ? Je ne vous dirais rien
sauf que Arthur, Charlotte et Louise vont se retrouver plongés dans un imbroglio picaresque pour assurer le sauvetage de nos couleurs. Ils seront rejointss par Ajay et auront même affaire aux
triades chinoises. Une course poursuite pittoresque.
J'adore
le style narratif qui compose une partition d'une centaine de chapitres de deux
ou trois pages qui s'enchaînent comme des sketches. Un vocabulaire riche, du rythme,
pas de coquetterie rédactionnelle, de l'humour de bon goût. Un ado qui aime les
livres et la féerie appréciera. Un conte et aussi un pamphlet sur notre société qui trop souvent broie du noir ; l'un des meilleurs livres que j'ai lus cette année.
Jean-Gabriel
Causse
résume très bien l'esprit de son ouvrage en citant Pierre Dac : "Si la matière grise était rose, le monde aurait les idées
moins noires".
*-*-*
Même le monde de
l'art en voit de toutes les couleurs dans ce roman décidément pédagogique : le
cours des tableaux de Mark Rotko dégringole
à quelques milliers de $, tandis que celui de notre compatriote Pierre Soulages grimpe à plusieurs centaines
de millions de $ !!! Je n'explique pas pourquoi, deux exemples suffisent 😊. J'adore les œuvres de Soulages. Les vitraux de Conques, un miracle !
Flammarion : 320 pages
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