vendredi 5 janvier 2018

LA BELLE EQUIPE de Julien Duvivier (1936) par Luc B.


Pour commencer l'année 2018, il me fallait du classieux. 
- Avec vous, m'sieur Luc, classieux rime souvent avec "vieux"... 
- Sonia, dehors ! Z'êtes pas digne de rester en salle de projo... 
Comment résumer la chose... hum... une réussite totale ! Et en ces temps d'épidémie de macronite aiguë, les bonnes vieilles valeurs fraternelles, ça fait du bien... même si ça se termine mal.

Au départ on se dit que LA BELLE ÉQUIPE est l’archétype du film Front Populaire. Le tournage commence juste après l’élection de Léon Blum. Il y a 5 copains, inséparables, on y célèbre l’amitié, la fraternité, une certaine dose de collectivisme, et tant pis si on crève la dalle, on est tous frères. Film de titi parisien, avec les gueules, la gouaille, l'argot, les bistros, le zinc et les gapettes de travers. Jean, Charles, Raymond, Jacques et Mario forment une petite bande, joyeuse, unie dans l’adversité et la rigolade.

Mais LA BELLE ÉQUIPE est un film de Julien Duvivier - et c'est là que le temps se gâte - le réalisateur de PEPE LE MOKO, PANIQUE, VOICI LE TEMPS DES ASSASSINS… Un auteur dont l’univers est noir, pessimiste, violent et cynique. D'ailleurs, les producteurs se sont étranglés en découvrant l'épilogue. Ils demandent à retourner la dernière bobine, exigeant un happy end. En plein Front Pop, ça la foutait mal. C'est que ces films, sans être non plus de la propagande (comme aux USA) devaient refléter un certain optimisme pour que le public adhère, et court dans les salles. Duvivier obtempère, il retourne la fin. Les deux versions coexistent. J'ai revu - pour vous, veinards - la version sombre.

Au début, Duvivier met en boite des scènes légères, comme lorsque les gars offrent leurs cadeaux à Huguette, la fiancée de Mario. C'est tendre, sympa, rigolo. Et puis la petite bande gagne à la loterie. Là c’est la fête, on fait péter le mousseux, on réveille les voisins, on invite tout le monde. Avec un peu d’argent en poche, la vie va être plus facile, on arrête d’escroquer son proprio en faisant pioncer ses potes sous son lit !

Et on se rachète des chaussures : magnifique travelling au ras du sol, cadrant juste les godillots usés qui arpentent le trottoir, s'arrêtent, entrent dans une boutique, et ressortent en mocassins flambants neufs. Le plan suivant, Duvivier commence sur les chaussettes des gars, affalés, les arpions en compote !

Signe que ces gars-là sont comme les cinq doigts de la main, ils décident de mettre leur argent dans le même pot, faire un truc ensemble. Ils vont ouvrir une ginguette, une ruine découverte le long de la Marne, qu’ils vont retaper. Ca bricole, ça scie, ça maçonne, ça rigole aussi beaucoup, pis y’a la p'tite Huguette (tripote moi la b... avec les doigts... ah non Rockin' !!! tu sors aussi !) qui vient souvent. L’orage qui va gronder cette nuit-là, arrachant quelques tuiles, annonce les problèmes à venir. Le venin de Duvivier va contaminer le film.

Par les histoires de cœur, d’abord. Huguette, fiancée à Mario, plait aussi rudement à Jacques. Et par des histoires de fric. Gina, l’ex-femme de Charles, réapparait dans sa vie, réclame son dû. Une garce qui embobine son homme, qui du coup pique dans la caisse commune. C’est Jean qui se propose de récupérer le blé, en force, mais les choses ne se passeront pas comme prévues. Ce poison qui se répand dans le groupe, c’est moins le cul ou le fric, c’est le mensonge, la trahison.

Mais on y croit encore, il y a des éclaircies, l'inauguration de la guinguette, scène fameuse où en plan séquence Duvivier filme Jean Gabin interpréter son tube « quand on s’promène au bord de l’eau », avant que sa caméra reparte vers la rivière, la longe en travelling… Java et accordéon, tagada tagada tsouin tsouin, l'est-y pas beau le monde en 1936 ? Mais cette rengaine, on la retrouve ensuite, jouée juste au violon, sur un tempo triste comme un jour d'enterrement... après que Raymond ait fait le zouave sur le toit du restau pour planter le drapeau...

Chez Duvivier, il est souvent question de fatalité. Les hommes ne peuvent pas échapper à leur destin. Ils ont beau faire, rêver, espérer, au final, ça ne marche pas.   

Les personnages principaux ont les mêmes prénoms que les acteurs. Charles/Charles Vanel, Raymond/Raymond Aimos, et Jean/Jean Gabin. Qui allie sa gouaille, ses tics parigots, ses roulements d’yeux, à la noirceur de ses instincts, ses moments de colère, ses accès de violence. Son jeu n'est pas moderne, il est juste hors du temps, hors norme. Charles Vanel est bonne pâte, touchant, veule, faible, pris dans les griffes d'une Viviane Romance plus sexy et garce que jamais. Il y a aussi Charpin, en gendarme débonnaire.

La caméra est très mobile, Julien Duvivier construit des mouvements complexes, à la grue, en travelling. Techniquement c'est un tour de force qui épate, encore 80 ans plus tard. La version restaurée du film fait éclater la superbe photographie contrastée**, comme dans ce plan de Gabin, de nuit, affalé sous un porche. 

LA BELLE ÉQUIPE est moins une réflexion politique ou sociale (comme c’est le cas chez Jean Renoir), ni du réalisme poétique (comme chez Carné) mais apparait presque comme un Film Noir, un drame criminel assombri par le pessimisme de son auteur. C'est juste immense. Un film que j'adore.

** On s'imagine toujours que les spectateurs de l'époque voyaient au cinéma les films dans l'état où ils sont diffusés, aujourd'hui, à la télé. Que nenni ! (de même que les films muets de Chaplin ou Keaton n'étaient pas projetés en accéléré !). C'est juste que les films sur pellicule argentique, vieillissent, se rayent, n'étaient pas conservés comme aujourd'hui - merci Henri Langlois - et comme les copies télé sont tirées de positifs délabrés, on se dit : c'est moche, c'est terne, c'est flou, mal éclairé... Je vous assure que les directeurs photos d'alors avaient autant (si ce n'est plus, car pas d'appui numérique en post-prod, des caméra de 50 kilos, des pellicules moins sensibles donc des tonnes de projo à ajuster...) de talent et de compétence que ceux d'aujourd'hui ! Les rééditions "4K" des grands classiques, le prouvent. 
(j'ai écrit en gris pour faire comme Bruno) 

noir et blanc  -  1h40  -  format 1:1.37  

2 commentaires:

  1. Julien Duvivier, le réalisateur qui va donner dans tous les styles, de Don Camillo à Marie Octobre en passant par le diable et les dix commandements, du grand, du bon ! La belle équipe, c'est un peut "les pieds nickelés gagnent au loto", mais je ne me moque pas, j'aime ce film, déjà pour son histoire et ensuite pour sa distribution avec des acteurs atypiques comme Raymond Aimos (Et non Amos comme tu l'as écris !) qui faisait partie de la résistance sera tué pendant la libération de Paris. Un grand film à voir et à revoir !

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  2. J'ai corrigé pour R. Aimos, merci ! Tu parles de son action dans le résistance, les acteurs de ce film n'ont pas eu le même destin... Outre Aimos, on connait l'engagement de Gabin pendant la guerre (il en perdra ses cheveux blonds !) mais dans le reste de la distribution, certains se sont soit planqués, soit, pire, engagés du mauvais côté du Rhin...

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