samedi 10 juin 2017

Steve REICH – "Musique pour 18 musiciens" (1974) - Steve REICH (1978) – par Claude TOON



- Mais M'sieur Claude ?! Ça fait dix fois que je passe devant votre bureau et que j'entends le même bout de musique, comme un disque rayé !?!?
- Ah Ah Sonia, il ne faut jamais écouter la musique répétitive et minimaliste pure et dure par échantillons, car en effet, ça donne cette impression…
- Musique répétitive et minimaliste ? Mais ce n'est pas une nouveauté dans le blog, attendez, je me creuse le ciboulot : Glass, Nyman, Adams…
- Et bien vous avez une excellent mémoire Sonia, et cela est utile pour écouter ce long morceau, l'une des œuvres fondatrices de ce courant musical…
- Il y a beaucoup de vibraphones, des clarinettes, des maracas, je vous avoue trouver cela bizarre, pas désagréable, mais bizarre…
- Normal, les avis sont partagés sur cette musique expérimentale des années 70'. On se laisse porter, mais j'admets qu'il faut une certaine patience pour adhérer au genre.

Steve Reich (né en 1936)
Le courant minimaliste et répétitif est apparu à la fin des années 60 quand des musiciens américains ont cherché de nouveaux modes de composition. Ceci à une époque où le sérialisme et le dodécaphonisme (atonalité) étaient devenus comme des règles d'écriture imposées à la communauté musicale à la suite des travaux de l'École de Vienne fondée par Schoenberg dans les années 20-30, en compagnie de Berg et de Webern. Cette voie ouverte par les yankees apparaissait comme une réponse expérimentale, un mode d'expression moins intellectuel, qui redonnait la priorité au rythme très présent dans les musiques jazz, ou les polyrythmies de Stravinsky première manière (Le sacre), Bartók, Prokofiev ou Roussel.
L'humain, depuis la préhistoire (les musiques rituelles de certaines ethnies en témoignent), est fasciné et même hypnotisé par des rythmes marqués. Le succès de la musique Rock très rythmée à l'aide de la batterie le confirme. Les systèmes mélodiques trop sophistiquées et peu rythmés désarçonnent les auditeurs plus facilement, et cela d'autant que la thématique et la polyphonie se révèlent développées et alambiquées… Citons : Bruckner, R. Strauss, voire les immenses symphonies un peu délayées de Furtwängler, le chef et compositeur légendaire. (Clic)
Dans le blog, plusieurs articles ont déjà parlé de ce style de musique et de leurs pères fondateurs : Philip Glass, le plus populaire, Michael Nyman et John Adams, découvert il y a peu, grâce à une belle pièce pour piano titrée Phrygian Gates. Adams prendra de grandes libertés avec les règles du solfège du genre, montrant ainsi que le minimalisme répétitif est une invention, mais pas une fin en soi qui risque d'isoler des compositeurs dans leur dogme. Bien qu'encore absent du Deblocnot', signalons aussi Terry Riley. (Index)
Petit rappel du style minimaliste et répétitif : des agrégats superposés de motifs assez courts composés eux-mêmes de notes de valeurs et de hauteurs égales. L'effet mélodique est obtenu par des ruptures brusques de cette hauteur de notes, souvent limitées à des tons et demi-tons, parfois plus. Le rythme et le tempo doivent être d'une régularité métronomique et le staccato domine le legato. Les premières écoutes sont souvent entêtantes. L'opéra Einstein on the Beach de Glass, ouvrage écrit en compagnie de Bob Wilson, dure 5 heures, et de vous à moi, je craque. A contrario, les études pour piano du même Glass ou ses symphonies m'emballent résolument.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Georges Collignon (1923-2002)
Steve Reich voit le jour en 1936 dans une famille juive (c'est important) de New-York. Jamais l'apprentissage de la musique sortant des sentiers battus n'a été aussi déterminant sur le style créatif d'un compositeur. Notons que sa mère est une chanteuse, danseuse et compositrice qui se produisait à Broadway.
Il commence à étudier le piano plutôt comme un passage obligé, car il va également jouer de la batterie dans un groupe de Jazz. Excellente formation au rythme pour Steve Reich qui est encore un ado. Dans les années 50', il étudie la philosophie et l'histoire de la musique. Puis il rejoint la prestigieuse Julliard School pour se perfectionner avec les percussions et le piano, instrument pouvant être utilisé comme percussion… Il va rencontrer Philip Glass qui a son âge.
1962-1963 : étude de la composition et de l'atonalité avec Darius Milhaud et Luciano Berio. Milhaud qui a composé un concerto pour Xylophone et Vibraphone (Clic). Celui-ci aura-t-il une influence sur la musique écoutée ce jour ? Allez savoir ! Mais Steve Reich avoue rapidement son aversion pour le sérialisme à la mode et, inversement, son attrait pour la tonalité classique. Ce en quoi son professeur Berio ne lui en tiendra pas rigueur. La musique contemporaine américaine déteste les querelles de chapelles encore vivaces en Europe… Il continue de se passionner pour le jazz modal, celui de Coltrane en particulier.
Au début des années 60, la rencontre avec Terry Riley, puis Philip Glass va marquer son entrée dans le mouvement minimaliste et répétitif. C'est dans les années 70, notamment avec La Music for 18 musicians que la reconnaissance et le succès sont au rendez-vous…
La particularité de Steve Reich est de ne pas composer de la musique purement esthétisante, mais de l'inscrire dans les problématiques philosophiques et spirituelles de son temps, comme l'essence du monothéisme. Il rejoint en cela le Glass de Plutonium Symphony ou des opéras consacrés à Einstein, Gandhi et Akhenaton.
Reich se concentre dans ses recherches sur le rythme, la pulsation du phrasé et la magie des timbres. On l'aura compris, bien difficile de résumer une vie et une créativité aussi riches en un seul article…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Disposition des 18 musiciens et de leurs instruments
L'effectif retenu par Steve Reich pour son œuvre est a priori déconcertant mais pas surprenant en regard des préoccupations rythmiques et harmoniques du compositeur. Les instruments percutants dominent.
·  4 pianos, 3 marimbas, 4 xylophones, maracas.
·  2 Clarinettes et 2 Clarinettes basses (2 instrumentistes)
·  1 violon et 1 violoncelle.
· 4 voix féminines amplifiées pour obtenir des effets d'écho en manipulant la distance bouches – microphones.
Certains musiciens jouent différents instruments (Reich accorde un effectif porté à 22 si nécessaire).
La disposition est imposée (la vue ci-contre est prise en arrière face au public). Voix et cordes devant, pavé symétrique des vibraphones sauf le métallophone placé au centre. En avant, les clarinettes et en arrière (déplacement éventuel) les clarinettes basses, et enfin, au fond les quatre pianos entrelacés et sans couvercles. Un dispositif permettant une grande clarté dans la perception des timbres associés…

Lors de l'enregistrement en 1978, Steve Reich dirigeât les troupes du piano et d'un marimba et fît appel à d'excellents amis artistes dont Jay Clayton, une chanteuse et pianiste de Jazz réputée et adepte des musiques nouvelles.

Steve Reich - Piano and marimba
Ken Ishii - Cello
Richard Cohen - Clarinette et clarinette basse
Virgil Blackwell - Clarinette et clarinette basse
Gary Schall - Marimba et maracas
Bob Becker - Marimba et xylophone
Glen Velez - Marimba et xylophone
Russ Hartenberger - Marimba et xylophone
David Van Tieghem - Marimba, xylophone et piano
James Preiss - Métallophone et piano
Nurit Tilles - Piano
Steve Chambers - Piano
Larry Karush - Piano et maracas
Shem Guibbory - Violon
Elizabeth Arnold - Soprano
Pamela Fraley - Soprano
Rebecca Armstrong - Soprano
Jay Clayton - Alto et piano

Mondrian
Musique pour 18 musiciens a été composée sur une période de deux ans de 1974 à 1976. Steve Reich venait d'étudier la musique balinaise. Je commençais ce papier par des références ethniques expliquant l'évidente appétence de l'être humain pour les rythmes appuyés. Voici ce jour un exemple du lien entre une culture musicale orientale symbolisée par le mot "marteau" et notée sur une gamme pentatonique, et un ouvrage contemporain et savant en occident. La création a lieu dès 1976, y compris à Paris, salle Wagram. Le succès est immédiat.
L'œuvre est découpée en 14 parties enchaînées : deux "pulses" introductif et conclusif encadrent 12 sections qui sont des variations sur des jeux d'accords énoncés dans le premier "Pulse". Comme toute œuvre répétitive et minimaliste, un fil conducteur au caractère quasi obsédant va servir de guide au flot musical global : ici une rythmique absolue martelée sur des marimbas et des pianos.
Très rapidement vont surgir comme des têtes hors de cette onde envoûtante des crescendos-decrescendos joués par les autres instruments. J'insiste sur le verbe surgir. Dans l'ordre : [0:16] le violon, [0:22] clarinettes basses et violoncelle, [0:53] voix féminines, puis des nombreuses reprises basées sur ce principe. La mélodie ne naît donc pas du travail sur des thèmes comme dans des formes sonates, mais de la succession de motifs similaires, de timbres et de sonorités contrastés, qui se chevauchent, s'entrecroisent. Plus tard [4:10] clarinettes et métallophone vont enrichir le flot cristallin. Les voix psalmodient, il n'y a pas de texte. Ce chassé-croisé aux antipodes de la musique symphonique ou chambriste traditionnelle déroute fortement. Il demande une écoute attentive, presque un recueillement spirituel. Il ne s'agit aucunement de musique de divertissement, même si la gaieté semble de mise.
Ballet de Anne Teresa De Keersmaeker créé en 2001
XXXX 
[8:58] La première section laisse libre cours au vibraphone utilisé de manière tellement percutante que l'on songe à la descente dans les mines des Nibelungen dans l'Or du Rhin de Wagner. Chaque section apportera sa frénétique fantaisie, il n'y a pas de pause dans ce rituel moderne qui semble pourtant surgi du fond des âges, de l'inconscient collectif et transcendantal de l'humanité…
[31:23] Une petite sonnerie du métallophone imitant des clochettes appelle à la rescousse les maracas. Au centre de l''œuvre, Steve Reich change les éclairages, juste à l'instant où une lassitude pourrait commencer à agacer l'auditeur. Vont apparaître et se réunir dans un kaléidoscope sonore tous les instruments et les voix. Le crescendo est lent mais inexorable et, sans saturer l'espace, un climax est atteint. Petit à petit, [35:53] la musique va retrouver une forme concertante plus allégée. J'admire le joueur de maracas qui va tenir la cadence pendant près d'une demi-heure. Tous les instruments en tant que tels et leur timbre personnel laissent place à une conjugaison entre les sonorités du bois, du métal, de la voix, du souffle d'un vent grondeur. Steve Reich invente le concerto pour matières naturelles, pour éléments fondamentaux de la terre et de l'air, même si j'ai conscience que cette expression n'est guère élégante…
Cet ouvrage d'une heure pourra paraître long, je l'admets, voire abrutissant !! N'oublions pas que dans les années 70, cette musique très expérimentale tentait à retrouver la force magique et magnétique du rythme primordial dans la musique occidentale, de provoquer cet état second et planant obtenu avec les vibrations des tambours tibétains par exemple. Dans cette optique, Musique pour 18 musiciens est une réussite totale. L'interprétation sous la houlette de Steve Reich pour ECM écoutée ici est la première confiée au disque. Cet ouvrage est souvent joué malgré son orchestration exigeante et insolite et les gravures se succèdent.
Un ballet a été chorégraphié sur Musique pour 18 musiciens en Belgique en 2001 par Anne Teresa De Keersmaeker.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire