- Mais M'sieur Claude ?! Ça fait dix fois que je passe devant votre
bureau et que j'entends le même bout de musique, comme un disque rayé
!?!?
- Ah Ah Sonia, il ne faut jamais écouter la musique répétitive et
minimaliste pure et dure par échantillons, car en effet, ça donne cette
impression…
- Musique répétitive et minimaliste ? Mais ce n'est pas une nouveauté
dans le blog, attendez, je me creuse le ciboulot : Glass, Nyman,
Adams…
- Et bien vous avez une excellent mémoire Sonia, et cela est utile pour
écouter ce long morceau, l'une des œuvres fondatrices de ce courant
musical…
- Il y a beaucoup de vibraphones, des clarinettes, des maracas, je vous
avoue trouver cela bizarre, pas désagréable, mais bizarre…
- Normal, les avis sont partagés sur cette musique expérimentale des
années 70'. On se laisse porter, mais j'admets qu'il faut une certaine
patience pour adhérer au genre.
Steve Reich (né en 1936) |
Le courant minimaliste et répétitif est apparu à la fin des années 60 quand
des musiciens américains ont cherché de nouveaux modes de composition. Ceci
à une époque où le sérialisme et le dodécaphonisme (atonalité) étaient
devenus comme des règles d'écriture imposées à la communauté musicale à la
suite des travaux de l'École de Vienne fondée par Schoenberg
dans les années 20-30, en compagnie de Berg
et de Webern. Cette voie ouverte par les yankees apparaissait comme une réponse
expérimentale, un mode d'expression moins intellectuel, qui redonnait la
priorité au rythme très présent dans les musiques jazz, ou les polyrythmies
de Stravinsky
première manière (Le sacre), Bartók,
Prokofiev
ou Roussel.
L'humain, depuis la préhistoire (les musiques rituelles de certaines
ethnies en témoignent), est fasciné et même hypnotisé par des rythmes
marqués. Le succès de la musique Rock très rythmée à l'aide de la batterie
le confirme. Les
systèmes mélodiques trop sophistiquées et peu rythmés désarçonnent
les auditeurs plus facilement, et cela d'autant que la thématique et la
polyphonie se révèlent développées et alambiquées… Citons : Bruckner, R. Strauss, voire les immenses symphonies un peu délayées de Furtwängler, le chef et compositeur légendaire. (Clic)
Dans le blog, plusieurs articles ont déjà parlé de ce style de musique et
de leurs pères fondateurs : Philip
Glass, le plus populaire, Michael Nyman
et John Adams, découvert il y a peu, grâce à une belle pièce pour piano titrée Phrygian Gates. Adams
prendra de grandes libertés avec les règles du solfège du genre, montrant
ainsi que le minimalisme répétitif est une invention, mais pas une fin en
soi qui risque d'isoler des compositeurs dans leur dogme. Bien qu'encore
absent du Deblocnot', signalons aussi Terry Riley. (Index)
Petit rappel du style minimaliste et répétitif : des agrégats superposés de
motifs assez courts composés eux-mêmes de notes de valeurs et de hauteurs
égales. L'effet mélodique est obtenu par des ruptures brusques de cette
hauteur de notes, souvent limitées à des tons et demi-tons, parfois plus. Le
rythme et le tempo doivent être d'une régularité métronomique et le staccato
domine le legato. Les premières écoutes sont souvent entêtantes. L'opéra Einstein on the Beach
de Glass, ouvrage écrit en compagnie de
Bob Wilson, dure 5 heures, et
de vous à moi, je craque. A contrario, les études pour piano
du même Glass
ou ses symphonies m'emballent résolument.
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Georges Collignon (1923-2002) |
Steve Reich
voit le jour en 1936 dans une famille juive (c'est important) de
New-York. Jamais l'apprentissage de la musique sortant des sentiers battus
n'a été aussi déterminant sur le style créatif d'un compositeur. Notons que
sa mère est une chanteuse, danseuse et compositrice qui se produisait à
Broadway.
Il commence à étudier le piano plutôt comme un passage obligé, car il va
également jouer de la batterie dans un groupe de Jazz. Excellente formation
au rythme pour Steve
Reich
qui est encore un ado. Dans les années 50', il étudie la philosophie et
l'histoire de la musique. Puis il rejoint la prestigieuse Julliard School
pour se perfectionner avec les percussions et le piano, instrument pouvant
être utilisé comme percussion… Il va rencontrer
Philip Glass qui a son âge.
1962-1963 : étude de la composition et de l'atonalité avec Darius Milhaud
et Luciano Berio.
Milhaud qui a composé un concerto pour Xylophone et Vibraphone
(Clic). Celui-ci aura-t-il une influence sur la musique écoutée ce jour ? Allez
savoir ! Mais Steve Reich
avoue rapidement son aversion pour le sérialisme à la mode et, inversement,
son attrait pour la tonalité classique. Ce en quoi son professeur Berio
ne lui en tiendra pas rigueur. La musique contemporaine américaine déteste
les querelles de chapelles encore vivaces en Europe… Il continue de se
passionner pour le jazz modal, celui de
Coltrane
en particulier.
Au début des années 60, la rencontre avec Terry Riley, puis Philip Glass
va marquer son entrée dans le mouvement minimaliste et répétitif. C'est dans
les années 70, notamment avec La
Music for 18 musicians
que la reconnaissance et le succès sont au rendez-vous…
La particularité de Steve Reich
est de ne pas composer de la musique purement esthétisante, mais de
l'inscrire dans les problématiques philosophiques et spirituelles de son
temps, comme l'essence du monothéisme. Il rejoint en cela le Glass
de
Plutonium Symphony
ou des opéras consacrés à
Einstein,
Gandhi et
Akhenaton.
Reich
se concentre dans ses recherches sur le rythme, la pulsation du phrasé et la
magie des timbres. On l'aura compris, bien difficile de résumer une vie et
une créativité aussi riches en un seul article…
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Disposition des 18 musiciens et de leurs instruments |
L'effectif retenu par Steve Reich
pour son œuvre est a priori déconcertant mais pas surprenant en regard des
préoccupations rythmiques et harmoniques du compositeur. Les instruments
percutants dominent.
· 4 pianos, 3 marimbas, 4 xylophones, maracas.
· 2 Clarinettes et 2 Clarinettes basses (2 instrumentistes)
· 1 violon et 1 violoncelle.
· 4 voix féminines amplifiées pour obtenir des effets d'écho en manipulant la
distance bouches – microphones.
Certains musiciens jouent différents instruments (Reich
accorde un effectif porté à 22 si nécessaire).
La disposition est imposée (la vue ci-contre est prise en arrière face au
public). Voix et cordes devant, pavé symétrique des vibraphones sauf le
métallophone placé au centre. En avant, les clarinettes et en arrière
(déplacement éventuel) les clarinettes basses, et enfin, au fond les quatre
pianos entrelacés et sans couvercles. Un dispositif permettant une grande
clarté dans la perception des timbres associés…
Lors de l'enregistrement en
1978, Steve Reich
dirigeât les troupes du piano et d'un marimba et fît appel à d'excellents
amis artistes dont
Jay Clayton, une chanteuse et pianiste de Jazz réputée et adepte des musiques
nouvelles.
Steve Reich
- Piano and marimba
Ken Ishii
- Cello
Richard Cohen
- Clarinette et clarinette basse
Virgil Blackwell
- Clarinette et clarinette basse
Gary Schall
- Marimba et maracas
Bob Becker
- Marimba et xylophone
|
Glen Velez
- Marimba et xylophone
Russ Hartenberger
- Marimba et xylophone
David Van Tieghem
- Marimba, xylophone et piano
James Preiss
- Métallophone et piano
Nurit Tilles
- Piano
Steve Chambers
- Piano
|
Larry Karush
- Piano et maracas
Shem Guibbory
- Violon
Elizabeth Arnold
- Soprano
Pamela Fraley
- Soprano
Rebecca Armstrong
- Soprano
Jay Clayton
- Alto et piano
|
Mondrian |
Musique pour 18 musiciens
a été composée sur une période de deux ans de 1974 à 1976.
Steve
Reich
venait d'étudier la
musique balinaise. Je
commençais ce papier par des références ethniques expliquant l'évidente
appétence de l'être humain pour les rythmes appuyés. Voici ce jour un
exemple du lien entre une culture musicale orientale symbolisée par le mot
"marteau" et notée sur une gamme pentatonique, et un ouvrage contemporain et
savant en occident. La création a lieu dès
1976, y compris à Paris, salle
Wagram. Le succès est immédiat.
L'œuvre est découpée en 14 parties enchaînées : deux "pulses" introductif et conclusif encadrent 12
sections
qui sont des variations sur des jeux d'accords énoncés dans le premier
"Pulse". Comme toute œuvre répétitive et minimaliste, un fil conducteur au
caractère quasi obsédant va servir de guide au flot musical global : ici une
rythmique absolue martelée sur des marimbas et des pianos.
Très rapidement vont surgir comme des têtes hors de cette onde envoûtante
des crescendos-decrescendos joués par les autres instruments. J'insiste sur
le verbe surgir. Dans l'ordre : [0:16] le violon, [0:22] clarinettes basses
et violoncelle, [0:53] voix féminines, puis des nombreuses reprises basées
sur ce principe. La mélodie ne naît donc pas du travail sur des thèmes comme
dans des formes sonates, mais de la succession de motifs similaires, de
timbres et de sonorités contrastés, qui se chevauchent, s'entrecroisent.
Plus tard [4:10] clarinettes et métallophone vont enrichir le flot
cristallin. Les voix psalmodient, il n'y a pas de texte. Ce chassé-croisé
aux antipodes de la musique symphonique ou chambriste traditionnelle déroute
fortement. Il demande une écoute attentive, presque un recueillement
spirituel. Il ne s'agit aucunement de musique de divertissement, même si la
gaieté semble de mise.
Ballet de Anne Teresa De Keersmaeker créé en 2001 XXXX |
[31:23] Une petite sonnerie du métallophone imitant des clochettes appelle
à la rescousse les maracas. Au centre de l''œuvre,
Steve Reich
change les éclairages, juste à l'instant où une lassitude pourrait commencer
à agacer l'auditeur. Vont apparaître et se réunir dans un kaléidoscope
sonore tous les instruments et les voix. Le crescendo est lent mais
inexorable et, sans saturer l'espace, un climax est atteint. Petit à petit,
[35:53] la musique va retrouver une forme concertante plus allégée. J'admire
le joueur de maracas qui va tenir la cadence pendant près d'une demi-heure.
Tous les instruments en tant que tels et leur timbre personnel laissent
place à une conjugaison entre les sonorités du bois, du métal, de la voix,
du souffle d'un vent grondeur.
Steve Reich
invente le concerto pour matières naturelles, pour éléments fondamentaux de
la terre et de l'air, même si j'ai conscience que cette expression n'est
guère élégante…
Cet ouvrage d'une heure pourra paraître long, je l'admets, voire
abrutissant !! N'oublions pas que dans les années 70, cette musique très
expérimentale tentait à retrouver la force magique et magnétique du rythme
primordial dans la musique occidentale, de provoquer cet état second et
planant obtenu avec les vibrations des tambours tibétains par
exemple. Dans cette optique,
Musique pour 18 musiciens
est une réussite totale. L'interprétation sous la houlette de Steve Reich
pour ECM écoutée ici est la première confiée au disque. Cet ouvrage
est souvent joué malgré son orchestration exigeante et insolite et les
gravures se succèdent.
Un ballet a été chorégraphié sur
Musique pour 18 musiciens
en Belgique en 2001 par Anne Teresa De Keersmaeker.
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