vendredi 5 mai 2017

CORPORATE de Nicolas Silhol (2017) par Luc B.



CORPORATE est un premier film, et voir comment son auteur Nicolas Silhol maîtrise et son écriture, et sa réalisation, laisse pantois ! Notamment son intelligence à rester proche de son thème, de son idée, sans s’éparpiller, sans s’appesantir sur la psychologie ou la description - exemple, on ne sait pas ce que fait ou vend ESEN, et on s'en fout, on ne sait pas exactement ce que font concrètement ces employés, on s'en fout aussi. 

Le thème est dans l’air du temps, ce n'est pas le premier film sur le sujet, celui des méthodes de management au sein des entreprises, et notamment ce qu’on appelle la mobilité. La mobilité consiste à faire bouger un salarié de son poste, géographiquement (dans une succursale), ou dans une autre fonction au sein de son entreprise. Le but étant de ne rien lui proposer ensuite, qu’il se lasse, et démissionne.
  
C’est le boulot d’Emilie Tesson-Hansen. Responsable RH du département gestion et comptabilité de ESEN. Elle a été engagée pour réduire l’effectif de 10%, sans licenciement. Dès le premier plan, on l’entend à l’œuvre, avec une cadre de 46 ans (« comment vous voyez-vous dans 10 ans, à faire la même chose ? »). Le réalisateur choisit de laisser sa caméra en dehors du bureau, on ne voit que des silhouettes passer, c’est anonyme et froid. Emilie Tesson est une pro, une "tueuse", mais au sens propre du terme. Car Didier Dalmat, un cadre lassé de ne pas avoir d’entretien avec Emilie, se suicide sur son lieu de travail.

Emilie a la confiance de sa hiérarchie, dont Stéphane Froncart, le DRH du groupe. Gérer, parler, rassurer, communiquer, embobiner, elle sait faire. Mais elle va tomber sur un os, Marie Borrel, inspectrice du travail.
 
C’est un film oppressant dès la première seconde, tendu comme une courbe du CAC40. Nicolas Silhol opte pour la forme du thriller même si 80% des scènes sont des dialogues dans un bureau vitré. Ca fonctionne parce que tous les éléments sont en place (une victime, une enquête, des gentils et des méchants), le récit avance sans cesse, le spectateur découvre la face cachée des choses, et l'héroïne n'en est pas une, justement... Lorsque le vent tourne pour Emilie Tesson-Hansen, lorsqu’elle ne semble plus si efficace que ça pour éteindre l’incendie social, la tension change de camp. Plusieurs scènes anxiogènes rythment le film, comme le suicide (hors champ, mais le travail sur le son off***) ou la poursuite dans le métro.

Emilie ne nous semble pas plus humaine pour autant, mais moins sûre d'elle. Sauver ses miches, sombrer oui, mais pas seule. C’est un froid calcul. Les employés ne sont pas oubliés, ils traversent le film, modestement, comme cette femme qui pleure la mort de Delmat, à qui Emilie propose de venir dans son bureau. L’autre répond : « pourquoi ? c’est pas bien de pleurer ? ça empêche les autres de travailler ? ce n’est pas pro-actif ? ». Ou ce proche de Delmat à qui on demande de trier ses affaires pour la veuve… Ca se finira par une agrafeuse dans la gueule. Les techniques de management sont analysées, lors du séminaire de formation avec ce jeu de rôle, où un apprenti RH doit répliquer à un salarié fictif qui implore : « vous me mutez à 400 km de chez alors que vous savez la mère malade ? ». Une dégueulasserie sans nom que le RH devra transformer en situation bénéfique pour le salarié…

On pourra sans doute tiquer sur le profil de Marie Borrel, une très gironde inspectrice du travail, Calamity Jane toute en bottes et jeans. Les autres sont parfaitement dessinés, et interprétés, en premier lieu par Céline Sallette, froide, inquiétante, comme une Charlotte Rampling en son temps, et Lambert Wilson toujours très bien en salopard de charme.

Une vraie réussite.


*** hasard incroyable, mais au moment de la défenestration, une spectatrice arrivée en retard à la séance, handicapée par une cheville foulée, marchant avec une béquille, se casse la gueule dans les escaliers de la salle ! Résultat, 5 minutes de pause, et rembobinage du film (merci le numérique !!). Donc question : quand interdira-t-on aux gens d'arriver en retard à une projection ? Je suis très tolérant comme garçon, mais dans une salle de cinoche, je peux être un vrai ayatollah...

 CORPORATE de Nicolas Silhol
couleur - 1h35 - scope 1:2.35

3 commentaires:

  1. Nouvelle tendance du cinéma français, après La Loi du marché et Merci patron.
    Rampling/Sallette, bien vu.

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  2. Tendance nouvelle, mais bienvenue... Le cinéma "social-politique" (depuis l'époque Boisset) n'était pas notre fort...

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  3. Sauf que "La loi du Marché", même primée, est une M**de absolue. Un très grand foutage de gueule en tout cas.

    Mais ce n'est là que mon avis me direz-vous.

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