- Encore une chronique
découverte M'sieur Claude ! 2017, l'année des compositeurs jamais commentés… Un
prénom qui suggère une origine française je pense…
- Bonne déduction Sonia !
Un contemporain de Debussy et de Ravel, élève de Fauré, un petit maître trop
oublié, mort très âgé en 1958…
- Ah je vois… Y a-t-il un
rapport avec le Salomé de Richard Strauss, cet opéra glauque que vous nous avez
présenté en 2016, cette histoire affreuse d'une princesse perverse ?
- Très peu sur la plan
musical, mais oui, c'est la même tragédie biblique où la jeune femme obtient la
tête de Saint-Jean Baptiste sur un plateau. Mais là, il s'agit d'un ballet…
- Heuu Marek Janowski, un
artiste inconnu au bataillon de l'index, un choix volontaire ou imposé par Youtube
?
- Non, c'est délibéré, une
interprétation passionnante, une prise de son splendide, et l'un de nos
orchestres français de haut niveau : l'orchestre Philharmonique de Radio France…
Florent Schmitt (1870-1958) |
Ravel considérait Florent Schmitt comme un compositeur de
premier plan, et Igor Stravinski,
réputé pour dénigrer la concurrence, considérait le ballet La
tragédie de Salomé comme un chef-d'œuvre… L'avis plutôt positif
de ces deux génies ne semble pas avoir porté ses fruits quant à la postérité de
Schmitt qui, à part ce
ballet et surtout la suite raccourcie que nous écoutons aujourd'hui, a
quasiment disparu dans les oubliettes de la musique du XXème siècle
naissant ! Allons à la rencontre de ce musicien bien discret.
On
peut expliquer peut-être l'éloignement hypocrite de Florent Schmitt de la sphère musicale par des
prises de position idéologiques plutôt contestables. Mais ce sujet qui pose
toujours question quant à la survivance d'œuvres composées par des artistes
parfois peu sympathiques sera abordé après les éléments biographiques. Un vrai
sujet de bac…
Florent Schmitt voit le jour en
1870 en Meurthe et Moselle, à
quelques kilomètres de cette Allemagne qu'il va un peu trop aimer… Ce n'est pas
a priori un surdoué précoce. Il étudie à Nancy puis au conservatoire de Paris
et obtient le prix de Rome à 30 ans en 1900.
Il sera l'élève de Fauré et de Massenet.
Ayant
vécu 87 ans, Florent Schmitt
composera beaucoup sauf dans le domaine de l'opéra. Son inspiration et son
style sont caractéristiques de cette époque influencée par l'expressionisme et
les recherches harmoniques d'un Ravel ou d'un Debussy, l'énergie de ses partitions plonge dans la vigueur
d'un Roussel.
Comme
Ravel (Shéhérazade),
Saint-Saëns (Samson et Dalila)
ou encore Roussel (Padmâvatî),
Schmitt s'inscrit dans
une époque friande de ballets et d'opéras orientalisants. La liste est impressionnante.
Si La La tragédie
de Salomé reste célèbre, on lui doit d'intéressantes suites symphoniques,
comme Salammbô
ou Antoine et
Cléopâtre, mieux servis au disque depuis quelques années. Sa
musique de chambre, notamment son quintette, offre des moments passionnants.
Certes
dans la compagnie des compositeurs français du début du XXème
siècle, Florent Schmitt
ne prétend pas à une place de premier de classe, mais quand même, sa musique
mérite que l'on s'y attarde. Cela dit l'homme a laissé un souvenir sulfureux…
Je pourrais établir un lien avec Vincent d'Indy (la symphonie cévenole) pour deux raisons :
une postérité en berne et, hélas, un antisémitisme affirmé… Dès les années 30,
le compositeur ne cachera pas ses sympathies pour l'Allemagne gagnée par la
peste brune. Surprenant que Stravinski, de confession juive, ait considéré le bonhomme
comme un digne successeur du génial Debussy.
Marek Janowski |
À
ce stade, une question philosophique se pose. Doit-on jeter au panier pour
l'éternité les œuvres des créateurs à l'humanisme discutable : les romans de Céline, les opéras de Wagner, antisémite à une
époque où 90% des allemands l'étaient, et même des ouvrages de Hugo qui se satisfit de la
Restauration, choix zarbi pour l'auteur des
misérables ? Personnellement je ne le pense pas si les œuvres ne colportent
pas des idées rétrogrades voire nauséeuses… Il y en a. J'ouvre ici un débat que
je ne saurais pas clore…
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À
77 ans, on peut affirmer que la carrière du chef allemand d'origine polonaise Marek Janowski est pour le moins active et
continue d'ailleurs. Étrange métier que celui de maestro pour lequel la
retraite n'existe pas, apparemment. Il y a des chefs en activité qui ont
dépassé les 90 ans !! Né à Varsovie en 1939,
le jeune Marek a pourtant grandi et
étudié en Allemagne de l'ouest. Sa carrière commence vers 1973, mais c'est à partir de 1983
que le musicien va occuper successivement, ou en parallèle, pas moins de sept
postes de directeur orchestral… de l'Orchestre
philharmonique royal de Liverpool dès 1983 jusqu'au prestigieux Orchestre de la
Suisse romande.
Comment ça un peu pompier le tableau : Salomé de Pierre Bonnaud (1865) ? J'ai pensé à Rockin'... |
J'avais
assisté en 2008 à un concert Wagner. Le style analytique et d'une précision
d'orfèvre de Janowski mettait en relief
la magie wagnérienne, offrait un écrin à la voix de Petra
Lang dans les Wesendonck
Lieder et la scène finale du Crépuscule
des Dieux. Avec Maggy Toon, nous avions pourtant un léger sentiment de
frustration, sans doute dû à l'écoute habituelle d'un Wagner plus couillu (parfois trop, et même
braillard). La presse spécialisée fût, elle, très enthousiaste par rapport à
cet allégement. Faisons-lui confiance pour une fois. L'ère du Wagner "bourrin" est peut-être finie…
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Pour
son ballet, Florent Schmitt
décide en 1907 de mettre en musique sobrement
La tragédie de Salomé,
une "pièce mimée" de l'écrivain et dramaturge Robert d'Humières. Danse, mime, la frontière est mince… Cette
première version de cette pantomime tragique en 7 tableaux, de près d'une
heure, sera créée au Théâtre des Arts à Paris sous la direction d'un tout jeune
chef de 27 ans : Désiré-Émile Inghelbrecht. Le Théâtre des Arts n'est qu'une
petite salle de 600 places. Le compositeur rencontre un succès avec ce premier
jet… On ne joue plus guère ce ballet de nos jours (euphémisme). Il sera
pourtant inscrit au programme des ballets
russes en 1913, l'année où le
Sacre du Printemps fit scandale.
En
1910, Schmitt propose la suite abrégée que nous
écoutons aujourd'hui et qui ne comprend que 2 parties réunissant 5 danses.
L'orchestre est élargi voire imposant : 2 flûtes et 1 piccolo, 2 hautbois et 1
cor anglais, 2 clarinettes et 1 clarinette basse, 2 bassons, 1 sarrussophone, 4
cors en fa, 3 trompettes en ut, 3 trombones, 1 tuba, Percussions : timbales,
caisse claire, triangle, cymbales, grosse caisse, tam-tam, glockenspiel, 2
harpes et cordes. Les suites tirées des grands ballets de cette époque
florissante pour le genre sont fréquentes : Daphnis et Chloé de Ravel et L'oiseau de feu
de Stravinski pour citer deux
exemples parmi les plus connus.
Florent Schmitt ajoute à
l'effectif orchestral une voix de soprano et un chœur féminin, option respectée
dans l'enregistrement de Marek Janowski. C'est le chef et compositeur Gabriel Pierné qui assure la première. Un vrai succès !
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Salomé de Gustave Moreau (1875) |
Il
y a quelques semaines, nous avions découvert l'opéra Salomé de Richard Strauss dont le livret était
adapté de la pièce éponyme d'Oscar Wilde
pour le moins perverse et gore. Ce récit extrait des évangiles a toujours
inspiré peintres, dramaturges et musiciens par la violence tragique de cet
épisode concernant la mort de Saint-Jean
Baptiste. Robert d'Humières
plante son décor dans le palais d'Hérode,
un climat orientalisant avec une ambiance d'orgie digne du Satyricon de Fellini. Pas
de dialogue, tout est exprimé par une suite de danses évoquant l'évolution des
sentiments vacillants de la princesse, entre érotisme, sadisme et terreur. La
fin du mélodrame diffère dans le sens où Salomé
n'embrasse pas la tête du prophète tranchée sur son ordre, mais la jette dans
la Mer Morte… La tête décapitée du saint apparait à l'assistance, plongeant Salomé dans l'effroi jusqu'à la folie !
On peut imaginer que l'auteur et le musicien ont été frappés par le tableau de Gustave Moreau.
Partie 1 – 1 : Prélude : ambiance sombre et étouffante
dans le palais : une phrase rampante aux contrebasses… Les bois entonnent une
mélodie sensuelle illustrant la luxure de cette orient où roi débauché et
courtisans entourent une jeune princesse sans morale, capricieuse et à l'érotisme incontrôlable. Le traitement de la polyphonie et le jeu concertant
de tous les pupitres illustrent brillamment la lascivité et le désœuvrement de
l'héroïne… Difficile de ne pas penser à Ravel
et à Debussy. L'orchestre
de radio France dans ces meilleurs jours : contrasté, éloquent avec
des percussions bien présentes…
Partie 1 – 2 : Danse
des perles [8:23] : Ce passage plus enflammé confronte de longues phrases
des cordes qui se lovent autour d'un luxuriant dialogue des bois et des
rugissements des cuivres. La fête bat son plein, on se querelle, Salomé la
débauchée mène la danse, bien entendu…
Partie 2 – 1 : Les enchantements sur la mer [12:32] Introduction
méditative du sarrussophone interrompue par des traits acides des violons et
les arpèges des harpes. La soirée avance face à une Mer Morte brillant des
mille feux du crépuscule, mer qui deviendra de sang quand la tête du martyre y
sera plongée. On pense à Ibéria de Debussy
en écoutant le flot des cordes, le scintillement des glockenspiels et du célesta, les appels lointains des cors, les frémissements du tamtam. Florent
Schmitt tente de nous envouter par ses lumières dorées et la moiteur, le leitmotiv
plaintif de la princesse revient encore et encore. Une page magnifique.
Partie 2 – 2 : Danses
des éclairs [18:25] Après des accords puissants et barbares qui symbolisent
l'exécution de Jean, le chœur féminin et l'orchestre assagi semblent nous faire partager les affres de la princesse meurtrières. La douceur peut aussi
faire songer à la sagesse du prophète qui avait prédit cette descente aux
abîmes de ces êtres corrompus. Mais trop tard, l'orchestre se déchaîne face à
tant de turpitude. Caisse claire, grosse caisse et cuivre poursuivent la femme
maudite comme un œil de Caïn confié de nouveau à la voix d'outre-tombe du
sarrussophone…
Partie 2 – 3 : Danses de l'effroi [24:49] La tête du
prophète apparait comme un hologramme symbole de la punition divine. Florent Schmitt fracasse
le discours orchestral, la princesse s'écroule, démente à tout jamais. Dans
cette furie instrumentale, Marek Janowski
contrôle parfaitement, sans doute par son tempo très rigoureux, la clarté de
son orchestre. (Partition)
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Il
n'existe qu'un seul enregistrement de la version intégrale avec petit orchestre
: celle de Patrick Davin parue chez Marco Polo, petit label spécialiste des
ouvrages oubliés. Je ne la connais pas mais je le signale pour les curieux
amateurs des grandes fresques chorégraphiques très en vogue au début du XXème
siècle.
Pour
la suite, le choix est nettement plus large. Pour les gravures anciennes, celle
de Jean Martinon n'étant pas rééditée
(dommage), on trouve la captation de Paul
Paray avec l'orchestre
de Détroit. Une lecture féroce et la prise de son un peu rêche
mais très dynamique dont la firme Mercury avait fait sa spécialité (Mercury – 1958 - 5/6). Et puis
récemment, Yan Pascal Tortelier déjà
invité du blog pour la Symphonie de Ernest Chausson a signé avec l'orchestre
symphonique de Sâo Paulo une version électrisante (Chandos – 5/6).
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A écouter en lisant Hérodias, de Flaubert.
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