samedi 3 décembre 2016

Philip GLASS – Symphonie n°2 – Marin ALSOP – par Claude TOON



- Musique pimpante et rythmée ce matin M'sieur Claude ? Après la gravité de Liszt ou Strauss ces dernières semaines, un peu de fantaisie dirait-on…
- Oui Sonia, mais attention de ne pas se méprendre, le pape de la musique minimaliste et répétitive sait insuffler de la profondeur dans ses partitions…
- En tout cas, c'est virevoltant pour l'instant ! Heuu… Marin Alsop est un nom qui ne me dit rien, un monsieur ou une dame, quelle origine ?
- Et bien, une fois de plus cette semaine, bienvenue à une maestro de sexe féminin, une dame qui a déjà une belle carrière derrière elle, notamment aux USA dont elle est native.
- Et l'orchestre de Bournemouth ?  Ce n'est pas en Angleterre cette ville ?
- Oui, et l'un des meilleurs orchestres qui n'ont pas pignon sur rue à Londres. Un orchestre qui permit à Simon Rattle, le patron de la Philharmonie de Berlin, de débuter !

Ah, les bon apôtres de la musique contemporaine qui ne jurent (et ne jugent) que par le sérialisme, les recherches tonales alambiquées, que sais-je encore. Ce sont les mêmes qui prétendent hors-jeu des compositeurs qui n'appartiennent pas au sérail avant-gardiste* des Boulez, Ligeti, Penderecki première manière (ils ont honni le Penderecki néoclassique à partir des années 80). Et parmi ces compositeurs, nous trouvons Terry Riley, Steve Reich, l'ami Philip Glass ou Michael Nyman, les chefs de fil des courants minimalistes et répétitifs. Philip Glass et ses potes, loin de dédaigner ces recherches, ont tous un objectif premier : écrire de la musique variée (pas de de la variété, ça va de soi) qui enchante un public large…
La bonne vanne à propos de Glass consiste à balancer : "Ô c'est certain, c'est répétitif et le travail doit être minimaliste vue la surproduction de Glass". Très drôle ! Que reproche-t-on à Glass ? Tout et rien. Oui, Glass est un inventeur et un touche à tout : opéras, symphonies, quatuors, pièces pour piano, ballets, etc. Et, crime de lèse majesté, il ne se commet pas avec le gratin de la musique savante (et souvent rasoir), organise des récitals avec Patti Smith autour des textes du poète sulfureux Ginsberg, travaille à des adaptations chorégraphiques avec David Bowie sur ses albums comme Heroes
Glass : un génie révolutionnaire ou un traître à la cause classique ? Je crois qu'il s'en f**t et moi encore plus, car même si sa production surabondante n'offre pas à tout moment des innovations voire des chefs-d'œuvre impérissables comme ceux d'un Mozart ou d'un Schubert, sa musique reste à la portée du grand public, notamment depuis qu'il a abandonné des expériences extrêmes comme l'opéra Einstein on the Beach, 4-5 heures de micro motifs constitués de micro intervalles à n'en plus finir. Franchement, là, moi aussi je craque 😆 !
Glass n'est pas un nouveau venu dans le blog, un article consacré à ses attachantes études et métamorphoses pour piano avait déjà fait la une (Clic). Sa biographie complète peut y être consultée. Et aujourd'hui, un autre style : sa deuxième symphonie pour grand orchestre.
* Attention : je vise par mes propos les critiques et musicologues intégristes, en aucune manière ces compositeurs imaginatifs
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

2016 aura été l'année des maestros féminines dans le blog. Un métier si longtemps réservé exclusivement à la gent masculine… dans le désordre : JoAnn Falletta, directrice de l'orchestre de Buffalo, Simone Young, une australienne qui préside aux destinées de l'orchestre de Hambourg, et aujourd'hui : Marin Alsop qui dirige depuis 2007 l'orchestre symphonique de Baltimore, l'un des 17 orchestres de renom américains. J'insiste sur ce dernier point pour montrer que cette dame ne dirige par une humble phalange à la justesse et à l'organisation défaillantes dès que l'on aborde un répertoire un peu ardu.
Par ailleurs, Marin Alsop est invitée au pupitre des orchestres de niveau superlatif comme le Concertegbouw d'Amsterdam, le symphonique de Londres et bien d'autres… comme l'orchestre de Bournemouth avec lequel elle a enregistré deux symphonies de Glass en 2003, ensemble prestigieux qu'elle a conduit de 2002 à 2008.
Pour parler du début de cette aventure, Marin a vu le jour en 1956. Curieusement, dans Wikipédia, il y a un véritable roman pour une artiste quand même moins célèbre que feu Abbado ! En résumé : l'enfant Marin est une tête de mule qui rechigne à travailler le piano puis le violon, un instrument qu'elle pourra néanmoins maîtriser à la Julliard School. Drôle de fille : malgré la phallocratie qui bloque le cursus des femmes souhaitant jouer de la baguette, Marin essaye à contrecœur de vivre de son violon, dans la rue, survivant en vendant des pizzas… Du Dickens ! Pourtant, un seul objectif : la direction d'orchestre…
À 17 ans, elle rencontre Philip Glass et Steve Reich, personnalités non machistes qui vont l'aider à intégrer les ensembles expérimentaux qu'ils ont créés. Elle jouera même du violon dans des groupes de rock.
En 1984, à 24 ans, elle trouve le remède à sa rage de diriger en fondant son propre petit orchestre : l'orchestre Concordia qui rappelle par son programme le Boston Pop Orchestra d'Arthur Fiedler. Au menu : du classique, du Jazz, rien n'arrête la demoiselle… L'ensemble atteindra 50 musiciens mais disparaitra en 1990.
Après avoir été humiliée par Leonard Bernstein lors d'une audition, le maestro hédoniste lui donne une autre chance en l'invitant au festival de Tanglewood en 1988. Le chef américain est misogyne, c'est connu, mais de conflits en conflits, le bonhomme va reconnaître le talent inné de la jeune femme. Sa carrière est lancée. Son répertoire est éclectique,  des classiques et des romantiques à la musique moderne US récente,  Adams, Glass et, sans rancune : Bernstein. Sa discographie est abondante.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Peinture de Jackson Pollock (1912-1956)
La seconde symphonie de Philip Glass répond à une commande de l'académie de musique de Brooklyn. Elle est créée à New-York en 1993 par son complice et ami de toujours Dennis Russell Davies. (Clic)
La partition est imposante et, tant son découpage tripartite, que la durée des mouvements (45 minutes environ pour l'ensemble) fait songer aux proportions de la 6ème symphonie de Prokofiev (Le style est bien évidement très différent). Autre similitude, la richesse de l'orchestration :
1 piccolo, 2 flûtes, 2 hautbois + cor anglais, 3 clarinettes + clarinette basse et clarinette contrebasse, 2 bassons, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, tuba. Une percussion délirante mais sans timbales : triangle, cloche, tambourin, caisse claire, tambour, grosse caisse, chimes, cymbale, charleston, Tam-tam,  (4 percussionnistes), un piano classique, un piano électrique et un célesta, 2 harpes et l'ensemble traditionnel des cordes.
- Pourquoi ce tableau de Pollock M'sieur Claude ? Heuu, ça ne fait pas un peu fouillis ?
- Le contraste entre la sensualité du corps féminin hyperréaliste et des raies qui, telle une toile d'araignée, baignent l'ensemble me fait penser à cette symphonie et à ses lignes de forces sonores qui s'entremêlent. À noter Sonia, que Pollock, même bourré à longueur de vie, organisait ses traits de couleurs suivant des lois très mathématiques. Il faut prendre du recul pour constater les perspectives et l'écrin offert à la demoiselle nue…
- Le second tableau symbolise les motifs minimalistes et répétitifs ? de Pollock lui aussi ?
- Non, mais c'est l'idée Sonia… Une peinture de 1948 de Lee Krasner, la compagne de Pollock de 1945 à 1956…

Lee Krasner (1908-1984) : White squares
Les trois mouvements ne portent pas d'indications de tempo a contrario des symphonies et autres œuvres symphoniques depuis des siècles. Par contre le métronome est précisé : 𝅘𝅥 = 112 (disons… Allegretto)

1 - : Les premières mesures, comme souvent chez Glass, préfigure un perpetuum mobile. Répétition de courts arpèges des harpes et des violoncelles. Une note tenue aux contrebasses apparaît avant l'énoncé d'un thème plus mélodique par le cor anglais. Arpèges, mélodie, curieux vocabulaire pour une musique minimaliste et répétitive dans l'esprit qui, oui, est très rythmée voire scandée ? Cet effet provient d'un principe de ce courant musical : dans une mesure ou un groupe de mesures, toutes les notes ont la même durée : des croches ou des noires pour les harpes et les cordes. Exception : le court solo de cor anglais : rondes, blanches, noires, mais en aucun cas des notes pointées ou d'autres variations plus complexes de durée.
Glass ne semble pas chercher un sens métaphysique ou descriptif dans son discours musical. Il crée par la musique pure des climats contrastés en jouant sur les modifications incessantes de la structure de ses motifs et surtout sur les conflits poétiques ou farouches entre lesdits motifs élémentaires confiés chacun à une pléthore d'instruments. On pourra trouver le procédé d'une facilité et même d'une naïveté confondante. Certains commentateurs ne s'en privent pas… Pourtant, gagné par le rythme et en écoutant bien toutes les facéties orchestrales, on se sent pris à bras le corps dans cette danse démoniaque et la magie opère. S'il échappe à la forme sonate, le mouvement juxtapose plusieurs parties très différenciées avec des ruptures de tempos (mais sans aucun rubato, 100% métronomique) et une palette de couleurs très vaste. Sans compter la polytonalité, autre dada de Glass, et les sonorités oniriques qui en résultent.
Quelques exemples : après une introduction assez intime et un peu nostalgique, [3:37] voici un intermède andante avec ses notes cristallines de triangle et un leitmotiv qui serpente entre les bois et les cuivres. [5:06] Accelerando plus jovial qui va gagner en puissance.
Glass ne dédaigne pas l'enseignement de ses mentors comme Bach et Schubert en utilisant les bons vieux principes du développement et des variations. Les métamorphoses du flux musical sont légions jusqu'à la furie [7:17]. Bref, on pourrait continuer longtemps, je vous laisse écouter…

Lee Krasner et Jackson Pollock.
Je vais bientôt ouvrir une rubrique peinture dans le blog
😎
2 - : [16:35] Le premier mouvement opposait des climats sombres et épiques à travers un tissu orchestral non dépourvu de lyrisme. Le second peut-il s'apparenter au mouvement lent traditionnel d'une symphonie ? Oui, si on considère l'indication de tempo initial et non en regard des incursions de passages plus allants. La valeur du tempo est exactement la même que celle de l'introduction de ce que j'avais sous-titré allegretto : 𝅘𝅥 = 112. L'enchaînement avec le premier mouvement se fait sans transition via des mesures ténébreuses où domine un halètement des bassons sur un motif itératif des premiers violons en sourdine. Hautbois puis flûte font leur entrée pour énoncer une mélodie crépusculaire. Une première fanfare agreste vient troubler cette quiétude qui va dominer dans tout le mouvement malgré les éclats intermittents et plus joyeux jaillissant du groupe des cuivres. Des accords nostalgiques et isolés des trombones marquent la fin du mouvement dans lequel réapparait le motif initial et obsédant des premiers violons.

3 - : [29:58] Aux angoisses perceptibles depuis le début de l'œuvre va répondre un final jubilatoire ! On pense à une corrida, à un jour de liesse populaire. Le contraste est abrupt avec les funestes accords de trombones conclusifs de la partie centrale. Curieusement, si la rythmique caractéristique du style du compositeur transparait toujours, le flot musical retrouve des accents plus mélodiques. Un feu d'artifice de timbres. La mise en place par la chef américaine et son orchestre d'exception est parfaite. Une musique qui pourra surprendre, "emballer" par sa vivacité ou ennuyer. C'est selon, mais difficile d'y être indifférent…

Immensément cultivé, ayant été formé à l'école Nadia Boulanger et à celles des musiques orientales, Philip Glass intègre tous les courants de la musique de notre temps : classique, rock, pop, jazz et autres expériences parfois farfelues. L'homme, à près de 80 ans, n'a pas la grosse tête et du coup, bien que n'étant pas dans le domaine public, on trouve la partition en ligne !!! (Partition). La feuilleter remet les pendules à l'heure sur les attirances vers la facilité souvent attribuées à Glass : 288 pages, 24 portées et c'est noire de notes et d'indications, notamment dans le final. Pas moins que chez Richard Strauss ou Franz Liszt
Il existe un autre bel enregistrement par le créateur : Dennis Russell Davies.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire