Ouaip, okay .... Des petits joueurs ! Comment ? Ils assurent et font un vacarme du diable à seulement deux musiciens ? Vraiment ? Ooohh, c'est bien ... Des petits joueurs, j'vous dis. Bien vrai ! Parce qu'il y a un gars, qui lui, n'a besoin de personne pour remplir l'espace sonore avec son Blues gras, rampant, poisseux et organique. Et attention, sans le renfort de boîte-à-rythmes, de looper ou autres samplers. Chez lui, c'est du 100 % huile de coude. L'homme n'est pas encore remplacé par des machines. Un authentique artisan.
Guitares, amplis à lampes, pied gauche, pied droit, micro pour le chant, et voilà le travail. Le "One-man-band" est au complet. On peut y aller. |
Après un premier essai en solitaire, 'Solo Recordings volume 1", aride, brut, au plus près de l'os, et un Ep, "Solo Recordings - volume 1/2", qui ne l'est pas moins, Steve continue l'aventure avec un second volume : "Solo Recordings volume 2". Son arsenal est dorénavant étoffé par l'ajout d'une baguette placée sur la tête de ses guitares lui permettant de frapper les cymbales.
Entre ces deux essais, on sent une nette évolution. Le style a mûri, forgé par les multiples prestations scéniques où il a dû étoffé son répertoire par des reprises et des réarrangements de ses anciens morceaux. Les rythmes sont plus élaborés, l'orchestration paraît plus riche, bien qu'il reste seul aux commandes. Ainsi, il n'hésite pas à aller naviguer dans d'autres eaux, ne craignant pas d'aller braver vents et marées, rassuré par l’accueil du public et une maîtrise croissante. Rassuré également par le résultat des ventes pour un projet qui ne devait être, à l'origine, qu'une expérience parallèle. Une aventure à court terme. A sa grande surprise, "Solo Recordings - volume 1" devient sa meilleure vente. Plus que lorsqu'il était chapeauté par une maison de disque ! Probablement que sa notoriété grandissante, ses concerts (presque un tous les deux jours et quelques) et son site internet aient contribué à ce nouvel élan, mais tout de même. Cela reste une agréable surprise
C'est un retour aux sources pour cet artiste qui a démarré sa carrière, à seize ans, en jouant un Blues plutôt conventionnel, avant de progressivement prendre des intonations foncièrement plus brutales, tout en poussant le volume de ses amplis et le niveau de gain des pédales d'overdrive.
Un retour qui c'est fait naturellement, sans réelle planification. En s'immergeant à nouveau dans le riche matériel de Chess Records, principalement de Muddy Waters, mais aussi de l'incontournable Robert Johnson, il prit sa guitare, seul, la tête chargé de ce Blues. Commençant par taper simplement du pied, il s'équipe par la suite d'une grosse caisse pour marquer le rythme. La caisse claire suivra, ainsi que le charleston.
Et pour ce second volet, c'est l'harmonica et les cymbales qui se manifestent.
De son propre aveu, s'il a bien débuté par le Blues, il n'avait pas l'expérience requise pour le chanter correctement. Il n'avait pas suffisamment de vécu pour le ressentir à sa juste valeur et transmettre l'émotion propre au genre. Aujourd'hui, avec vingt-cinq années de dures labeurs, accumulées sur la route, il estime que oui. Enfin, il peut à nouveau chanter le Blues parce qu'il acquit assez de maturité pour être crédible. Sa tonalité assez sourde et grave - d'un ours noir du Québec - se prête bien au genre ; au contraire de bon nombre de blancs-bec, il n'a nul besoin de forcer sur sa voix pour être à sa place, pour s'immerger dans ce Blues âpre et rugueux..
Là où il fait fort, c'est son astuce pour jouer des lignes de basse simultanément à celles de la guitare. Pour ce faire, il a déniché un antique micro des années 60 pour guitare acoustique, qui a placé en décalé sur la caisse, de façon à ce qu'il ne capte que les cordes de Mi, La et Ré (les trois plus grosses, en haut). Ce micro spécifique est repris par un Octaver relié à un ampli Fender Bassman. Des guitares (des Gibson sans âge) customisées ainsi pour délivrer, en stéréo, des sons de basse, parallèlement à ceux propres à la guitare, via les micros d'origines, repiqués, eux par d'autres vieux amplis Fender, en passant par un Echo à bande.
En conséquence, la technique particulière d'un jeu aux doigts, en picking, est obligatoire. C'est le pouce qui assure les lignes de basse. Ce qui ne dérange pas le bonhomme puisque c'est une technique qu'il utilise depuis longtemps, même avec une grosse saturation baveuse de Wendigo. Sa seule contrainte a été de peaufiner son jeu, de l'améliorer. Que du vintage millésimé 60's. Voire au-delà car, par exemple, il chante dans un antique micro Marconi des années 40. Et la grosse-caisse serait de la même décennie. Encore un obsédé. Le fait que les enregistrements qu'il préfère soient tous antérieurs à 1975, ne doit pas être étranger à cette psychose sur le vintage. (Cependant, on pourrait rétorquer que la rythmique de "Slim Change" a bien des points communs avec le Hard-blues du AC/DC des années Bon Scott).
Cependant, de cette recherche obsessionnelle du matériel vintage et de son utilisation, fuyant le numérique comme la peste, il en ressort quelque chose de particulier. Quelque chose de profondément authentique, dégageant des vibrations boisées, une force organique, avec ses fêlures et sa consistance. Quelque chose résonnant en écho avec notre propre essence vibratoire. Histoire de longueurs d'ondes. Il y a une âme. C'est vivant.
On n'entend pas simplement la grosse-caisse, on perçoit la déformation de sa peau sous les coups de la pédale. Tout comme l'ondulation des cymbales. On sent la respiration du chant et des instruments. Parfois renforcés par une réverbération naturelle ; celle des sons rebondissant contre les murs et le sol. Preuve d'une captation absolument analogique de micros stratégiquement positionnés dans la pièce pour saisir, sans ne rien perdre, tout le jus, le mojo de la prestation.
Une prestation dont la nature live ne fait aucun doute car il n'y a aucune coupure brutale dans les échos, les tenues, les souffles et les respirations. Hill, bien rodé par des centaines de concerts, n'a aucune appréhension pour se mettre en danger. Il ne ressent pas le besoin de faire appel aux rassurants outils numériques. (De toutes façons, il les abhorre).
Tous ses choix personnels - non pas stratégiques mais sincères - font de ses "Solo Recordings" des disques intemporels. Qui, si ce n'est une certaine qualité d'écoute, auraient pu être enregistrés n'importe quand ; des années 70 à nos jours (quoi que plus difficilement dans les années 80).
Alors, forcément, son Blues est brut et viscéral, sans aucunes fioritures. Si on retrouve, peu ou prou, l'esprit du Delta-Blues, d'un Blues qui n'a pas perdu ses racines avec le milieu rural, nous sommes loin des disques de Blues acoustique, ou semi-acoustique, d'un blanc fantasmant sur la dure vie des vieux Bluesmen, et essayant de s'y identifier.
A l'exception de "Thought Luck" (d'où les arpèges exsudent l'esprit de Rory Gallagher et l'harmonica celui du Loner), "Simple Things" et "Long Road", trois belles pièces à la sensibilité crépusculaire, entre folk-song et country-blues, c'est du tout électrique. Et même dans l'ensemble du cossu, porté un grain chaleureux. Effectivement, on a du mal à imaginer un tel son sortir d'un matériel moderne.
Ce serait plus à apparenter à un Blues urbain, cru et prolétaire, qui doit monter le ton (et le son) pour essayer de se faire entendre à travers le tumulte incessant et abrutissant. Et effectivement, il y a bien ce style singulier qui évoque le Blues de ses nécessiteux, qui ont quitté le Sud, souvent sans rien en poche, pour tenter de trouver une vie moins dure dans les villes du Nord, et plus particulièrement à Chicago. Ce Blues né dans les états du sud, dans le Deep-South, un Country-blues qui s'est électrisé au contact de ce milieu urbain, bétonné et bruyant. On pense parfois aussi à Juke Boy Bonner, bluesman oublié qui jouait également seul avec sa guitare et son harmonica, et occasionnellement d'une percussion.
Et puis le passé Heavy-rock du lascar des Trois-Rivières a laissé légitimement des traces notables.
Si "Still Got it Bad" démarre un peu timidement l'album, comme s'il craignait de s'exposer à la lumière, il prend rapidement de l'assurance et finit par lâcher les watts (mais pas trop quand même). "Slim Chance" ne va pas par quatre chemins et se pare - comme déjà mentionné plus haut - d'une rythmique qui, en dépit d'une slide grassouillette, pourrait rappeler le AC/DC des années 70.
Et "The Collector" a tout pour séduire Leslie West avec sa distorsion granuleuse et débordante ; giclant de part et d'autre sur un mid-tempo terrestre. Son côté binaire et insistant devient entêtant, refusant de sortir de votre tête.
"Never is Such a Long Time" avec son large écho minéral pourrait presque faire croire que le québécois a embarqué un de ses vieux amplis pour le pousser dans ses retranchements au milieu du canyon de Sainte-Anne. Ou plutôt dans la caverne de marbre de Lusk. On se retrouve dans l'ambiance tellurique de l'ombrageux "Sweet Tea" de Buddy Guy. La reprise de Little Walter, "Hate to See You Go", devient un Boogie pesant et pressant (perdant certes au passage un peu de sa finesse d'origine) et "I Want You to Love Me", autre reprise, rappelle la forte influence qu'a eu son auteur, Muddy Waters, sur le British-Blues et sur l'émergence du Hard-blues, du Hard-rock des pionniers. Il a juste suffit, comme ici, de durcir le ton à l'aide d'une guitare plus rageuse. Et le tour est joué.
"Go On", qui clôture la fournée du "tout électrique" est bien moins un pur Blues qu'une pièce apte à s'incruster aisément dans les grands disques de Hard-rock du début des 70's. Des galettes qui peuvent dénoncer un copieux pillage des œuvres du Blues pour se fabriquer une nouvelle identité (et se faire du beurre).
Sur ses morceaux électriques et rustiques, on retrouve un peu l'esprit de Gary Clark Jr lorsqu'il s'abandonne intégralement au Blues (sa meilleure facette).
Par contre, on occultera "Better", le mal nommé, qui paraît un peu bancal. Le maillon faible.
Tel un vieux trappeur ne faisant confiance qu'à lui-même, se méfiant de tout ce qui vient de la ville, vraisemblablement refroidi par des expériences passées avec les maisons de disques, Steve Hill s'auto-produit, s'enregistre seul, dans son trou. Allant jusqu'à effectuer parfois lui-même la livraison de ses CD. C'est donc avec une certaine ironie que l'on retrouve sur ses disques, pour patronyme d'un label inexistant : "No Label Records".
"Solo Recordins volume 2" a remporté le prix Juno de l'année 2015, et est reparti des Maple Blues Awards avec quatre trophées sous le bras.
Le précédent avait déjà été récompensé comme le meilleur album auto-produit par l'International Blues Challenge de Memphis, et le meilleur album "tout court" par le gala Lys Blues (où Hill parvient à totaliser pas moins de cinq trophées !).
Un "Solo Recordings - Volume 3" est sorti tout récemment. Encore un bon cru, et encore plus diversifié et élaboré, avec notamment un intérêt accru pour les instants acoustiques. Cependant, à mon sens, il est moins équilibré que ses prédécesseurs. A mon avis, des trois et demi, le "Volume 2" remporte la palme.
Parallèlement à ses "Solo Recordings", Steve Hill joue de la Country au sein du Steve Hill & The Mountain Daisies. De la Country inspirée de celle des Outlaws des années 60 et 70.
Le matos : Gibson ES225 de 1956, Les Paul Jr TV 59', Gretsch 6120 64', amplis Fender Bassman 63 et 66, Deluxe de 1949 (!!) et de 69, Fender Bandmaster de 62 et 63, ampli Supro 62', un Echo à bande Fulltone, Et peut-être, quelque part, un clean-booster.
De quoi faire saliver tous les fondus de vintage. Un joli petit trésor.
acoustique
Autre article sur Steve Hill (cloc/lien) : Steve Hill & The Majestiks "The Damage Gone" (2010)
C'est mieux qu'une flopée de groupes à 3, 4 ou 5 membres....
RépondreSupprimerC'est également mon avis.
Supprimerouai c'est étonnant ce qu'arrivent certains gars à faire tout seul; ma fait penser à ce que fait le breton Ronan (http://ledeblocnot.blogspot.fr/2016/06/bayou-breizh-festival-5-juin-2016.html)
RépondreSupprimer