samedi 3 septembre 2016

CHOSTAKOVITCH – Symphonie N° 4 - Mariss JANSSONS (2004) – par Claude TOON



- Retour dans l'univers symphonique de Dmitri Chostakovitch M'sieur Claude, la 4ème symphonie cette fois-ci, vous pensez parler des 15 ?
- Non, dans le cycle, il y a des hauts et des bas, mais par son audace cette œuvre est la première totalement hors du commun du compositeur russe.
- A-t-elle été composée lorsque le compositeur était jeune, a-t-il pu échapper cette fois-là à la censure stalinienne ?
- Houlà ! Dans les années 30', Chostakovitch, prudent, a stoppé net les répétitions de cette œuvre d'une noirceur et d'un irrespect total. Elle ressortira des tiroirs en… 1961.
- 1961 et un disque de 1962 de… Kirill Kondrachine. Ah non un album de Mariss Janssons de 2004. Vous changez au moment de rédiger votre article !! Bizarre…
- Eh oui, car, saperlipopette, la vidéo a été supprimée, mais Janssons a signé une belle gravure. Il n'existe pas de version de référence absolue pour cette œuvre polymorphe pour laquelle offrir par l'interprétation une unité parfaite est un pari bien difficile…

Marris Janssons
L'histoire de la 4ème symphonie de Chostakovitch demeure l'un des plus étranges épisodes de la vie dramatique du compositeur russe. Écrite en 1935-36, elle ne sera créée que fin 1961
Moderniste, fracassante et désespérée, l'architecture très libre et erratique a conduit nombre de chefs d'orchestre, même talentueux, à l'échec par un manque de conception d'ensemble. Dans ce cas, le flot musical apparaît comme totalement décousu, voire tapageur.
Existe-t-il une interprétation qui échappe dans sa totalité à cette malédiction ? Non, mais heureusement quelques chefs ont su donner une vision suffisamment cohérente et passionnée de cette œuvre qui à l'évidence reste le premier monument symphonique génial et inclassable du compositeur.
Marris Janssons, dans sa gravure de 2004 se classe dans ce groupe, même si cet avis est contesté par d'autres mélomanes, arguments à l'appui. Un enregistrement qui illustrera cette chronique. Un débat (un peu stérile) conduit les exégètes chipoteurs à confronter le disque historique de Kirill Kondrachine qui fut à la fois le créateur et le premier à enregistrer l'ouvrage, à celui de Bernard Haitink, souvent incontournable dans ce répertoire, ou à d'autres galettes dues à Neeme Järvi ou à l'inattendu Leonard Slatkin… Pour ces deux derniers, les disques sont quasi introuvables. La vidéo Youtube du disque Kondrachine ayant disparue pendant mes vacances (elle est revenue fin août), changement de programme avec Marris Janssons dont l'interprétation reste l'un des fleurons d'une intégrale inégale enregistrée pour EMI au début du siècle. Pour faire simple, tous ces disques ont cumulé en leur temps des récompenses de la presse spécialisée et l'attrait marqué du public. Abondance de biens…

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Mravinsky et Chostakovitch en 1937
Avec sa 4ème symphonie commencée en 1935 (Chostakovitch a 29 ans), le compositeur effectue un virage pour le moins brusque par rapport au style de ses œuvres orchestrales précédentes.
Sa 1ère symphonie écrite en 1925 par un jeune homme de 19 ans  apparaît comme une élégante et vivante fantaisie imprégnée des influences du Stravinsky des ballets russes (Le Sacre ou Petrouchka). On y entend déjà ce qui sera la signature de l'orchestration du maître : cordes scandées, thématiques joyeuses et malicieuses aux percussions.
En 19271929, une période ou le socialisme semble se construire, Dmitri écrit sur commande du régime deux symphonies n° 2 & 3 "expérimentales" et dédiées à fêter le dixième anniversaire de la Révolution d'octobre et le 1er mai, la fête du travail. Un travail hâtif, sans grande nouveauté. Des pièces courtes qui se concluent chacune par un chant patriotique. De cette époque située entre la fin du pouvoir léniniste, de la guerre civile avec son lot de grandes famines et de massacres, et la mise en place de la chape de plomb stalinienne qui va broyer la Russie dès 1930, un semblant de liberté artistique subsiste. Tout le monde connaît les populaires suites Jazz, une musique qui sera bientôt étiquetée comme "dégénérée" et "contrerévolutionnaire". Idéaliste, Dmitri croit encore en un avenir meilleur. Honnêtement, je trouve ces deux symphonies de circonstances assez fades.
1936 : son Opéra "Lady Macbeth de Mtsensk" daté de 1930-32, après un succès public certain, est honni par Staline qui doit détester son intrigue trop dramatique. Ni meurtre ni suicide sur scène en URSS ! On doit chanter à la gloire du régime, se réjouir de crever de faim et de bourlinguer en aller simple vers la Sibérie ! La Pravda se déchaîne contre Chostakovitch.
Chostakovitch serein après la création
de sa 13ème symphonie
À l'heure des premières purges laminant l'intelligentsia russe, Chostakovitch comprend vite le danger. L'opéra ne sera plus donné pendant 30 ans. Son étrange 4ème symphonie à la misanthropie ambigüe a été achevée en mai 1936 et les répétitions commencent pour une création en décembre. Craignant les foudres des caciques à la solde du moustachu au visage grêlé, Dmitri décide de retirer la partition des mains du chef autrichien Fritz Stiedry (alors patron de la philharmonie de Leningrad) en prétextant son incompétence… L'argument peut avec le temps paraître spécieux, d'autant que le compositeur va commencer à se lier d'amitié avec Evgeny Mravinsky qui créera en 1937 sa 5ème symphonie, de style faussement conventionnel et patriotique, une belle partition destinée à redorer le blason de Dmitri (Clic). Le maestro russe, qui va régner pendant 50 ans sur la phalange de Leningrad, aurait fort bien pu assumer deux créations. Mais quand on veut sauver sa peau, on planque les partitions suicidaires dans les tiroirs.
1953 : le tyran et son comparse : le poivrot Jdanov, grand inquisiteur de l'art en URSS, sont partis en enfer. Khrouchtchev lâche "un peu" les rênes sur la création artistique, mais Chostakovitch préfère prudemment attendre 1961 pour ressortir sa partition. En décembre Kirill Kondrachine va créer avec succès la symphonie vieille de 25 ans, la diriger aussi à l'ouest et graver dans la foulée pour Melodya le premier enregistrement. Un an plus tard, presque jour pour jour, Kondrachine créera la 13ème symphonie, ouvrage évoquant les massacres des juifs, à Babi Yar notamment (d'où son sous-titre). Un sujet macabre et bouleversant inacceptable par les autorités dix ans auparavant et qui d'ailleurs choqua Khrouchtchev qui menaça d'interdire la première. (Difficile le changement.)

Pour l'orchestration, la découverte des effectifs cyclopéens chers à Gustav Mahler a porté ses fruits.
4 flûtes + 2 piccolos, 4 hautbois doublés de 4 cors anglais, 5 clarinettes + clarinette basse,  3 bassons et 1 contrebasson. 8 cors, 4 trompettes, 3 trombones et 2 tubas. 2 harpes et un célesta, 6 timbales servies par deux timbaliers. té percussions : grosse caisse, caisse claire, cymbales diverses, triangle, wood-block, castagnettes, tam-tam, xylophone, glockenspiel et bien entendu environ 80 cordes ! Comme me glisse Sonia dans l'oreille : 120 musiciens qui rappellent les débordements de la 6ème symphonie de Mahler
L'imposante symphonie d'une durée dépassant l'heure ne comprend que trois mouvements ! L'allegretto initial et le largo final sont eux-mêmes subdivisés en séquences ou épisodes musicalement très différenciés. On pense ainsi à un livret d'opéra avec ses actes et ses scènes… (6 pour le premier mouvement allegretto, 4 pour le Largo.)
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Kirill Kondrachine (1914-1981)
Allegretto poco moderato — Presto : Trilles combatives des flûtes sur fond de roulement de cymbales, énoncé virulent du premier thème au xylophone, contrebasses et violoncelles qui marchent au pas de l'oie. Rage et ironie masquées par une apparente frivolité de fanfare de fête foraine. Le Chostakovitch nouveau, adulte, lucide et inquiet, est arrivé. Même Mahler (que le compositeur russe admirait sans borne) n'a jamais commencé une de ses symphonies en utilisant une orchestration aussi grinçante. Stravinski est proche. Une introduction qui apparaît comme joyeuse. On pourrait même discerner un éloge gouailleur à la grande marche socialiste… La première partie s'appuie sur la forme sonate autour de son premier thème. Le travail d'orchestration est sans précédent chez le compositeur par sa fougue torrentielle. La rythmique implacable ne cherche aucunement la légèreté comme si un géant d'acier devait marquer le pas. Le socialisme ou la mise "au pas" par la tyrannie ? [1:52] Un passage plus calme présente une seconde idée plus mélodique colorée par les cordes et les notes furtives des bois. Chostakovitch joue ici la carte de la nostalgie et de la poésie chères à l'âme russe en risque de perdition. [3:38] Le charme se rompt crescendo et voit surgir des cris de révolte dans un fracas enflammé de cuivres et de percussions. Ô, pas les clameurs de 1917, plutôt les larmes amères de la désillusion. Mariss Janssons exacerbe la clarté du flot sonore, mais sans la sauvagerie que certains mélomanes attendent dans cette musique. Il gagne en clarté et dynamique, aucun détail ou motif n'échappent à sa direction. L'excellent Orchestre de la Radiodiffusion bavaroise explose dans un kaléidoscope de sonorités étincelantes. Prise de son fouillée.
Le dépravé et sadique Lejov, patron du NKVD (KGB).
Grand ordonnateur des purges, Staline le fera
"disparaitre" en 1940, même des photos officielles…
Ah les braves gens !
Pas étonnant que Chostakovitch
fumait 3 paquets par jour.
[6:54] Seconde séquence parmi les six qui apportent au mouvement cette structure insolite, cette succesion erratique de styles qui donne une impression de morcellement. Dans la première séquence, le discours oscillait entre jovialité et pathétisme paroxystique. Chostakovitch jouera souvent sur cette ambivalence par la suite, le rire jaune l'emportant sur la tragédie suivant la manière d'aborder l'interprétation. Un accord des clarinettes puis un crescendo des cordes conduit à un climax fffff terrifiant. [7:33] Repos ! Un solo de basson nous plonge dans un rêve ténébreux, un climat diffus d'angoisse, une ballade interrogative aux cordes. Des notes isolées à la harpe, indépendantes de toute mélodie déterminée, ne sont que des questions fugaces sur le devenir d'un artiste et d'un peuple. Le compositeur prolonge l'usage de la forme sonate pour éviter un récit confus. Le tempo est lent, l'ambiance étrange et oppressante. [12:01] Une violente coda intermédiaire conclut la séquence avec ses notes coléreuses du tuba dans un orchestre exalté et déchiré  et distille une peur irrationnelle. Que vaut une vie en 1936 face à des forces despotiques ici symbolisées par cette rage symphonique ? Orchestration d'une fantaisie et d'une légèreté superlatives dans la partie centrale .
[13:46] Troisième séquence et nouvelle surprise : à partir du thème initial cité par le xylophone dans les premières mesures de l'allegretto, un bref passage récapitule de manière abrupte vs guillerette les multiples motifs, contrastes et émotions antinomiques entendus précédemment. Cabrioles des bois avec là encore le basson et sa voix souterraine qui joue double jeu. On pense à un mini scherzo d'une minute trente, mouvement de détente dans lequel Chostakovitch tenterait de s'excuser de nous avoir alarmés, d'oser contester le nouvel ordre haineux qui devient la norme.
[15:38] Tempo presto pour cette stupéfiante quatrième séquence : une fugue frénétique des cordes. Une foule en délire ou fuyant la terreur ? Des cuivres et percussions interviennent dans ce passage pris de folie. Une foule qui se piétine, un peuple qui fuit dans le désordre de la survie. On pense à un passage similaire dans le final avec chœur de la 9ème symphonie de Beethoven. Allégresse chez le viennois mais noirceur diabolique ici. Nota : Chostakovitch admirait Bach (il souhaitait composer 24 symphonies, autant de quatuors et écrira 24 préludes pour piano utilisant les 24 tonalités du clavier bien tempéré), mais aussi les romantiques innovants à leur époque, de Beethoven à Mahler. Ce dernier influencera beaucoup le style volubile et bizarre de Chostakovitch et son orchestration prolixe. [17:33] La fugue évolue vers une marche mécanique et brutale aux cuivres et percussions. Le compositeur nous assaille d'"arpèges" de percussions (je ne vois pas d'autre expression) dans lesquels s'enchaînent furieusement timbales, tam-tam, cymbales, grosse caisse, xylophones… Avec un percussionniste par pupitre sollicité, bonjour le synchronisme exigé pour éviter un affreux barouf !!! Un climax d'une grande brièveté mais un défi pour l'orchestre.
[18:24] Reprise pour la cinquième séquence du leitmotiv entendu en introduction dans un nouveau passage étrangement dansant et pastoral après l'apocalypse de la fugue et la tempête de cuivre et de fracas. Ô ça ne dure pas longtemps la promenade champêtre. [19:39] La flûte au vibrato inquiétant annonce une suite d'accords terrifiants aux cuivres à l'unisson (on pourrait presque parler de clusters). Cette courte séquence témoigne du désir ardent du compositeur de dresser dans son œuvre un portrait de son univers en cette année 1936 de tous les dangers : son attachement à sa terre natale et au peuple russe, mais aussi cette peur au ventre face à une patrie trahie par des soudards qui vont mettre en place un enfer avec un Satan fait de chair et de cruauté.
Ah ! qu'il fait bon vivre avec papa Josef en 1936...
[21:01] Comment conclure un mouvement aussi complexe, tant dans sa forme que dans ses intentions expressives. L'ultime et sixième séquence, d'une durée comparable aux deux premières, commence par un déchirant appel des bois et une reprise de l'introduction. Mais à l'allégresse du début, Chostakovitch substitue un style gémissant, une suffocante reptation. Hautbois et basson entonnent une déploration élégiaque. Comme nombre de compositeurs postromantiques ou modernistes, le compositeur confie un rôle aussi important à l'harmonie et aux percussions qu'aux cordes, instruments phares du romantisme. Un solo de violon nous amène petit à petit à une conclusion aux sonorités ténues. Une ultime reprise du thème principal joué avec une ironie mordante par les bassons, les scansions étant assurées cette fois non pas par les cordes graves mais par le hautbois. Magnifique symétrie de la forme sonate transfigurée par le génie. Pas de péroraison ni de coda conquérante au sens stricte, Chostakovitch n'en a à l'évidence pas le cœur.

2 - Moderato con moto : [28:16] Le second mouvement apparaît comme un scherzo de forme classique encadré par le titanesque allegretto et le tout aussi impressionnant largo et ses quatre séquences. On ne peut que songer à l'héritage mahlérien en écoutant ce ländler, air de danse si présent dans les partitions du compositeur autrichien. Un souffle, un temps de repos où transparaît néanmoins un arrière-goût aigre-doux, une aura de désillusion. Chostakovitch introduit dans la coda un motif allègre joué au xylophone et au wood-block, un petit plaisir instrumental que l'on retrouvera souvent, notamment dans la 15ème et dernière symphonie.

3 - Largo : [37:06] Si le premier mouvement avec son thème A utilisé en leitmotiv restait relativement fidèle à la forme sonate et à ses principes de réexposition, ce n'est pas le cas pour ce long largo mortifère découpé en 4 séquences, toutes à la thématique et à l'écriture indépendantes.
Déportés construisant le canal Baltique-Mer Blanche.
Des milliers d'homme sacrifiés pour un canal impraticable !
La première séquence n'est autre qu'une marche pesante initiée par le basson. À l'évidence, cette procession est inspirée par les passages similaires rencontrés dans les lieder ou les premières symphonies de Mahler illustrant les poèmes du Knaben Wunderhorn (cor merveilleux de l'enfant). Mais là où Mahler pensait contes pour enfants, Chostakovitch songe plutôt à une marche funèbre. Une marche véhémente, celle d'un laboureur devant tenir ses quotas ou d'un forçat ployant sous le joug dans un camp de travail forcé. Ce début de mouvement douloureux conjuguant la marche vers la mort sous toute ses formes, y compris et surtout celle d'une victime de la barbarie, justifiait à lui seul le retrait de cette partition de la programmation en concert en ces années de répression absolue. La marche se fait plus vindicative dans le développement avant une reprise da capo suivi d'un chant clarinettes-hautbois d'où surgit une plainte menaçante  au cor anglais, effet glaçant assurant la transition vers la seconde séquence. 
[43:18] Seconde séquence allegro. Furieuse. Encore une étrangeté aucunement réjouissante. Dans cette fausse gaieté, le sarcasme rejoint celui du cher Mahler omniprésent dans ces ultimes symphonies hantées par la mort. On pourrait penser à une marche au supplice, à une fin inéluctable, une course éperdue sans échappatoire. Un crescendo ponctué du martèlement des timbales accentue l'effet tragique du propos. Je ne suis pas encore revenu sur la direction de Janssons. Le chef dirige tout en puissance, mais distille avec brio les innombrables détails et changements de climats qui expliquent que cette analyse soit exceptionnellement longue. La prise de son des bois bien spatialisée sert parfaitement ce souci de transparence d'une partition qui pourrait sembler peu limpide en cas de défaut de mise en place.
[47:23] Qui dit marche vers la mort dit nostalgie et évocation des souvenirs terrestres, d'un paradis intime et perdu. Dans cette troisième séquence, Chostakovitch évoque "le bon vieux temps". On entend un peu de tout, bien sûr, c'est le style de l'œuvre. Se succèdent des fanfares de fêtes villageoises, une satire de valse de Vienne. Les bois virevoltent, presque taquins. Une dizaine de minutes en totale contradiction avec l'esprit global de la symphonie. Une oasis musicale : bonhomie, plaisanterie, une écriture malicieuse.
[57:02] Hormis la 8ème et la 15ème, toutes les symphonies de Chostakovitch s'achèvent de manière glorieuse, par des tuttis. Ici, l’ultime séquence est une forme de Tuba Mirum de Requiem, un jugement dernier sans Dieu le Père ni espoir de résurrection dans ce pays plongé dans l'athéisme d'Etat. Des pas cyclopéens des timbales (deux timbaliers) mécaniques et barbares déchirent l'espace sonore. Une marche brutale, encore une et la dernière, mais cette fois-ci est-ce vers le tombeau ? Un cataclysme symphonique et désespéré. Comment aurait-on pu laisser jouer un ouvrage aussi effrayant et poignant en 1936 ? [59:36] Au sein des tensions funèbres decrescendo, la trompette fait entendre une sonnerie aux morts. Des accords plaintifs de bois sonnent comme les ultimes soupirs d'un agonisant, les cordes semblent haleter. Le climat "de profundis" rappelle celui de la coda final de la 6ème symphonie "Tragique" de Mahler. Dans un orchestre où le néant va gagner l'espace sonore mesure après mesure, quelques notes séraphiques mais d'une tristesse inouïe se font entendre au célesta, autre instrument fétiche de Chostakovitch. Sans doute la symphonie la plus moderne et désenchantée du maître. Une interprétation remarquable qui lui restitue sa grande valeur.
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La discographie de la 4ème symphonie découverte tardivement est moins abondante que celle de la 5ème, de la 8ème ou de la 10ème. Sa complexité tant formelle qu'émotionnelle peut expliquer une certaine crainte de la part des chefs. Un excellent orchestre, notamment au niveau des percussions, est indispensable. Marris Janssons pour EMI est l'un des must, mais il y a des concurrents.
En 1962, Kirill Kondrachine enregistre pour la première fois l'œuvre. Une exécution farouche et glaçante, sans concession aucune malgré les réticences des autorités face à cette œuvre dérangeante, très à part dans la production de Chostakovitch depuis 1936. Melodya-Le chant du monde est l'éditeur et n'a pas la réputation des prises de son et des gravures fluides mais plutôt nasillardes. Ici, miracle, le vinyle présente un son dynamique et clair qui fait de ce disque un moment culte. En effet, "sans concession", le chef russe, attendant son heure pour "passer à l'ouest", n'a que faire des intimidations pour édulcorer le propos. Le CD est disponible en album simple ou dans une intégrale incontournable (Melodya – 6/6.
L'interprétation de Bernard Haitink dans son intégrale des années 70-80 est prodigieuse de clarté grâce à un orchestre de prestige, la Philharmonie de Londres. La précision, qui a fait la réputation pendant les 60 ans de carrière du chef néerlandais, nous a apporté une gravure de haute volée (DECCA – 6/6).
En 1992, le parfois inégal chef américain Leonard Slatkin, à la tête de son bel orchestre de Saint Louis qu'il dirige depuis longtemps, parvient à unifier l'apparente hétérogénéité de l'ouvrage. Un enregistrement salué par la critique. Par ailleurs, l'éditeur a pressé le CD avec des plages qui respectent les diverses séquences de la partition. (RCA – 5,5/6 – Prise de son un peu mate.)
Dernier venu, le jeune Vasily Petrenko avec son excellent Orchestre de Liverpool apporte en 2013 une vision nouvelle et épurée, moins massive, qui nous rappelle que Chostakovitch n'aimait pas la lourdeur même en prévoyant un effectif orchestral démesuré. Des couleurs, oui bien sûr, de l'épaisseur d'inspiration germanique : surtout pas. (Naxos – 5/6.)

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Vidéo du CD de Mariss Janssons et l'orchestre de la radiodiffusion bavaroise. Tiens une bonne âme a recréé une vidéo Youtube avec la version culte de Kondrachine. Ça décoiffe... Je l'ajoute en ayant des espoirs modestes quant à sa durée d'autorisation. (Le son du report est hélas un peu acide.)



2 commentaires:

  1. Je n'ai jamais compris comment certains dictateurs pouvaient créer des critères à de la musique ? ce serait comme si tu buvais un bon vin et qu'en le dégustant tu dirait :"Il a un bon Moderato, mais il manque un peut de Largo..." Comme Hitler ne croyait qu'en la musique de Wagner ou de Beethoven. Sinon je suis resté assez en retrait avec la musique de Dimitri Shostakovitch, mais pas entièrement, j'accepte la symphonie N°5 en ré mineur et la 7e en ut majeur"Léningrad". Je trouve que sa musique est un peut hermétique comme à l'image de son compositeur...ben oui ! Tu connais beaucoup de photos de Shostakovitch en train de rire toi ??

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    1. Pour les dictateurs, l'esthétique n'entre pas en ligne de compte. Hitler prétendait aimer Wagner, Beethoven et aussi Bruckner car il voyait des artistes aryens !!!! Mendelssohn d'origine juive mais converti au protestantisme était banni tout comme Mahler. Quant au sens, quel rapport en le mysticisme brucknérien et la sauvagerie nazie ? Aucun, mais il y a dans la musique de l'autrichien une force granitique qui, détournée de son propos, rappelle les grandes messes païennes de Nuremberg.
      Je possède une histoire de la musique datant de la Libération (le célèbre Paule Druilhe). L'auteure n'a que des mots assassins pour Mahler, Bruckner, Richard Strauss et Brahms entassé sur une page comme des compositeurs médiocres. Gounod et Messager s'offrent des pages entières tout comme Massenet. Enfantillages ?

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