- Et un autre R.I.P M'sieur Claude… Nikolaus Harnoncourt était une
légende du renouveau dans l'interprétation de la musique baroque, je
crois…
- C'est le moins que l'on puisse dire Sonia. Très décrié dans les années
50-60, ce chef ignorant le mépris,
a retrouvé
la magie et les couleurs chez Monteverdi, Bach, etc.
- Vous avez illustré votre intro avec une photo où l'artiste semble
"bouffer du lion" si je puis me permettre cette expression en cette
circonstance ? Un choix
volontaire ?
- C'est Très volontaire ma chère. Harnoncourt était un homme qui
galvanisait ses musiciens, luttait
sans relâche contre
l'opprobre. On disait de lui qu'il "aurait animé des pierres" !
- Je vois que vous aviez déjà parlé
de ce musicien à propos de l'oratorio de Noël de Bach. J'attends la suite…
J'avoue mon embarras pour commencer cet hommage indispensable. J'avais déjà
écrit l'essentiel et même plus sur le rôle de
Nikolaus Harnoncourt
dans l'article
Bach de décembre 2012 sur ce pionnier qui a revisité l'univers baroque
pour retrouver l'authenticité de la sonorité originelle. Je fais donc un
copier-coller modifié dans un premier temps. Vous allez tous penser que je
ne me foule pas. Mais, d'une part je n'aime pas les redites et puis mettre
un "Clic" pour se rendre trois bonnes années en arrière n'est pas très
emballant. Donc, le même texte, oui, mais je dois désormais changer de temps
et parler au passé et bien entendu le réviser…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Le comte
Nikolaus de la Fontaine und d’Harnoncourt-Unverzagt
(rien que ça, descendant des
Habsbourg) mieux connu sous le
nom de
Nikolaus Harnoncourt
était né à Berlin en 1929. Il commença sa carrière
musicale comme violoncelliste dans l'orchestre
Symphonique de Vienne. C'est
Herbert von Karajan
qui l'avait engagé, nous sommes en 1952. Le jeune artiste
s'ennuyait-il face à l'académisme de bien des interprétations de l'époque ?
En 1953, il a 24 ans, il fonde avec
Alice Hoffelner, son épouse, le
Concentus Musicus de Vienne. Son objectif : retrouver l'authenticité de l'exécution des œuvres en les
replaçant dans les contextes sonores et stylistiques de leur époque. Cela
concerne d'abord les instruments : violons à cordes en boyau, flûte à bec,
viole, cuivres naturels sans pistons, diapason différent, etc. Pour les
voix, même chose : plus de femmes dans l'interprétation baroque (ce n'est
pas de la misogynie mais de la musicologie), des contreténors et contraltos
masculins (proche des castrats aux tessitures redécouvertes par
Alfred Deller), et des chœurs de garçons qui remplacent les sopranos et altos féminins.
Les effectifs se réduisent pour retrouver les couleurs noyées dans la masse
des grandes phalanges romantiques.
200 cantates de Bach en 60 CD ! |
Dans ces années-là, des artistes visionnaires envoyaient "valser" les
interprétations "romantiques" recourant à des effectifs brucknériens et
épais, et rejetaient les conceptions sulpiciennes. En effet,
Harnoncourt
a été bien suivi par une génération de baroqueux, et seules quelques
interprétations spirituellement habitées des chefs de l'ancienne garde ont
survécu dans les discographies. Et encore, seuls les mélomanes compulsifs y
attachent de l'importance.
Nikolaus
n'est pas seul, il rejoint
Gustav Leonhardt
(clic) dans ce mouvement. Les deux hommes vont graver l'intégrale des cantates
de
Bach
connues (environ 200, 60 CDs). Un projet sans concurrence entre deux hommes
pourtant très différents. Au radicalisme de
Leonhardt
(pas de femmes dans les chœurs !) s'oppose une certaine souplesse de la part
de
Harnoncourt. Remise en cause permanente de son travail et de ses recherches qui lui
offrira une belle carrière dans le registre non baroque. Un monument
toujours au catalogue qui a renvoyé
Münchinger aux oubliettes. Dommage sans doute, mais on n'arrête pas l'histoire. Depuis
2012, une autre intégrale s'est imposée, celle de
John Elliot Gardiner, autre grand défenseur du retour aux sources. Sacrée entreprise que cette
intégrale où un jeunot,
Philip Herrewege
(clic), participe à l'aventure en préparant les chœurs. On connait quelle
carrière fabuleuse attend ce jeune disciple...
60 ans plus tard, on n'imaginera plus jouer la musique baroque avec 300
interprètes. Le radicalisme de
Harnoncourt
avait muri vers une approche plus chaleureuse. Les chanteuses formées au
chant détimbré ont fait leur retour.
René Jacobs,
Frans Brüggen,
Paul McCreesh
et tant d'autres ont magnifié le style avec plus de douceur et d'émotion.
Curieusement, chez
Harnoncourt, ce même virage ne réjouissait pas toujours autant que l'enthousiasme
fougueux des années 60-70.
Je considère
Nikolaus Harnoncourt
comme le
Pierre Boulez
du baroque. Les deux hommes partageaient ce souci scrupuleux du respect
musicologique et de ne pas s'approprier la partition pour y appliquer une
vision trop personnelle. Il en résulte à mon sens chez
Harnoncourt
une certaine froideur dans ses exécutions au cordeau.
Pour ma part, je
n'arrivais pas souvent à
entrer dans ce monde presque aseptisé. Cela dit,
Harnoncourt
a de nombreux fans qui admireront justement cette fidélité au texte, cette
recherche de l'authenticité. Il est important de souligner que dans ses
enregistrements des années 60-70,
Harnoncourt
proposait une lecture allégée dans lesquels toutes les subtilités des
partitions reprenaient vie, une démarche courageuse face à l'opprobre des
critiques officiels ancrés dans la tradition (les Goléa et Cie). Je
me dois de préciser que certains critiques de l'époque ont largement tourné
leurs vestes, quitte à traiter désormais
Otto Klemperer
de pachyderme dans
Bach
(sic) ! Je ne cite personne…
Depuis une vingtaine d'années,
Nikolaus Harnoncourt
s'était tourné vers une carrière de chef plus classique. Dirigeant les
meilleurs orchestres à Vienne ou Amsterdam, il revisitait
toujours, avec une infinie précision dans la lettre, le répertoire classique
et romantique. Il continuait
de diviser les mélomanes. A mon sens ses interprétations de
Bruckner n'apportaient rien de
nouveau, mais ses symphonies de
Schumann bénéficiaient du
dépoussiérage cher au maestro.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Bon voilà une nouvelle version de mon texte. Le musicologue
Antoine Goléa
hurlait aux loups dans les années 70. Le bonhomme, pittoresque, violoniste
raté à ses dires et obsédé par le sérialisme, vociférait parce que : comme
à l'époque de
Monteverdi
dans
l'opéra Le couronnement de Poppée, Harnoncourt
faisait chanter des rôles masculins tenus par des castrats par des
cantatrices alto ou contralto.
Ô crime. Andreas Scholl ou Philippe Jarousky
n'étaient pas nés ou très gamins… Qui, à part Pat et moi et quelques
fondus se souviennent de Goléa ? Personne. Le critique à la
diatribe théâtrale n'a pas fait école – contrairement à l'art de
Harnoncourt
– et il est tombé dans l'oubli des chantres de l'obscurantisme et de la
mauvaise foi.
Harnoncourt
était le premier à avoir compris, que, même si le travail profondément
salutaire de redécouverte de
Bach
par
Mendelssohn
évitait de perdre à jamais un tel patrimoine musical, le compositeur avait
un peu trahi le style baroque en ressuscitant les passions de
Bach
à sa sauce romantique.
Et puis au-delà des considérations musicologiques, il y avait un musicien
et un chef d'une fougue sans pareille. La photo en préambule montre
l'énergie projetée vers ses instrumentistes.
Harnoncourt dirigeait aussi avec les yeux, exorbités, habités par un génie intérieur et
foudroyant avec aménité les effectifs.
Depuis mes débuts de chroniqueur dans le Deblocnot en 2011, j'ai écrit les
RIP des trois fondateurs du renouveau baroque :
Gustav Leonhardt, Frans Brüggen
et en ce jour :
Nikolaus
Harnoncourt. Longue vie à ses disciples et bonnes discussions au paradis entre le
maître
Harnoncourt
et
Bach,
Monteverdi
et tant d'autres qu'il a si bien servis.
J'ai prévu dans le
programme 2016 de vous parler de la
symphonie n° 36 "Linz"
de
Mozart
par ce chef. Nous pourrons encore évoquer son talent, son style clair et
vivifiant lors de cette chronique à venir…
J'ai appris la mort
d'Harnoncourt
survenue samedi 5 mars ce matin chez… mon kiné, également amateur de musique
classique. Merci aux médias et JT d'avoir fait l'impasse totale sur un
musicien qui a révolutionné à jamais l'écoute de la musique baroque... Vive
le foot !
Vidéos
: La
Cantate BWV 147 de
Bach
avec le
Concentus de Vienne
en 2000 suivi d'une lumineuse interprétation de la
symphonie "écossaise" de
Mendelssohn
avec l'Orchestre de Chambre d'Europe.
Puis le début de l'Orféo
de
Claudio Monteverdi
(1600, le premier opéra connu) dans un enregistrement de
1968 également avec le
Concentus de Vienne. Des sonorités des plus étranges ! Pas étonnant que les mélomanes, moi le
premier, aient été déconcertés à l'époque… Enfin, une lecture passionnante
car très idiomatique et vivace de la
3ème symphonie
de Bruckner
avec le
Concertgebouw d'Amsterdam, un orchestre qu'il dirigea souvent.
Eh oui ! L'intégrale des Cantates de Bach et les concertos Brandebourgeois par Nikolaus Harnoncourt. La dernière fois que je l'ai entendus,c'était à un concert du nouvelle an à Vienne je ne sais plus quand.
RépondreSupprimerC'est vrai que l'invitation par le Philharmonie de Vienne à être dirigée par Nikolaus Harnoncourt pour ce concert du nouvel an a du en surprendre plus d'un !
SupprimerIl a assuré ce concert d'audience planétaire en 2001 et 2003.