- Bonjour M'sieur Claude, le brouillon de l'article de samedi est prêt je
vois. Ah, Nikolaus Harnoncourt, trois semaines après l'hommage lors de sa
disparition, et… Mozart !
- Oui Sonia, Nikolaus Harnoncourt a enregistré un grand nombre de
musiques des époques classique et romantique. Comme le premier article
était consacré à Bach, donc au baroque, explorons une autre facette de son
art…
- Et vous avez choisi une symphonie de Mozart surnommée "Linz", comme il
y a une "Prague". Vous allez nous expliquer pourquoi je pense…
- C'est l'une des plus grandes symphonies du prodige, écrite sur "un coin
de table" en quelques jours, une de mes préférées et l'une des plus jouées
en concert.
- Ah je vois que l'enregistrement a été réalisé avec l'orchestre
d'Amsterdam, c'était déjà le cas dans votre chronique pour les symphonies
40 et 41 "Jupiter" dirigées par Josef Krips, me semble-t-il ?
- Oui ma petite Sonia, vous avez une bonne mémoire. Mais ici l'orchestre
sonne moins romantique, retrouve
les couleurs expérimentées
par le pionnier de l'interprétation authentique. Un très grand cru !
Pochette originale de 1984 XXXX |
Je ne reviens évidemment pas sur la biographie du pionnier de
l'interprétation sur instruments anciens, ce dépoussiérage du pathos hérité
de l'époque romantique, que le chef viennois avait entrepris dès les années
50.
(Clic). Dans ce R.I.P., je proposais en illustration sonore du
Bach, du
Monteverdi
(un renouveau tellement surprenant pour cette musique des années 1600 que la
critique se déchaîna jusqu'à la déraison), mais aussi
Mendelssohn
et
Bruckner, deux chefs de file du XIXème siècle romantique. Donc
aujourd'hui, passage par l'époque classique relativement courte (1750 –
1806), le siècle des lumières où des génies comme
Mozart,
Haydn
et
C.P.E Bach fils
vont révolutionner l'écriture en perfectionnant le solfège, les formes de
compositions mais aussi l'inspiration. Ils vont commencer à délaisser
l'opéra mythologique, le concerto grosso ou la musique religieuse pour une
approche plus psychologique avec les opéras bouffe, les concertos et
symphonies incluant une réflexion métaphysique.
Haydn
(104 symphonies) et
Mozart
(une cinquantaine) vont inventer la symphonie moderne en étoffant la durée
et la richesse du discours. Un formalisme qui perdurera jusqu'aux
gigantesques fresques orchestrales de
Mahler
et même après. Le nombre de partitions inspirées par ce moule originel créé
par les deux hommes doit se compter par millier…
J'ai préféré mettre en en-tête une photo de
Nikolaus Harnoncourt
au regard brillant d'intelligence plutôt que la jaquette du CD à
l'esthétique médiocre.
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Mozart en 1783 (attribué à Joseph Hickel) XXXX |
La
symphonie N°36 "Linz"
K 425 est le résultat d'une aventure que seul le surdoué
Mozart
pouvait assumer.
1783
:
Mozart
a 27 ans et est marié depuis un an à
Constance Weber, un mariage que
papy
Léopold Mozart
désapprouvait. La vie à Vienne est tendue. Le père et le fils s'écrivent
néanmoins !
Wolfgang Amadeus
décide de se rendre à Salzbourg pendant la période estivale pour tenter
d'enterrer la hache de guerre. Rien n'y fait, le mariage ayant eu lieu sans
son consentement,
Léopold
reste inflexible.
Mozart
décide de rentrer à Vienne en faisant étape à Linz où le couple arrive le
30 octobre. On accueille
chaleureusement les jeunes époux et on propose à
Mozart
de participer à un concert. En cette fin du XVIIIème siècle, les
compositeurs ne voyagent pas en diligence avec leurs partitions d'orchestre,
et encore moins avec un CD-Rom ou une clé USB.
Mozart
ne veut pas décevoir ses hôtes et va improviser.
Avec
Mozart, improviser, c'est : composer une symphonie géniale, partitions et copies
des musiciens, de quarante minutes (sa plus longue, la
5ème
de
Beethoven
n'en fait que 35), et le tout en trois jours (60 double pages) !? Il
écrit même à son père, qu'il aime beaucoup malgré les frictions : "j'ai composé à toute allure", doux euphémisme…
L'œuvre est créée le
4 novembre a priori en lecture
directe à vue, sans répétition. On aurait pu s'attendre à un divertissement
bourré de répétitions. Ce n'est pas le cas, mais pas du tout, le compositeur
a couché sur les portées une des symphonies les plus populaires et
élaborées. Et voilà comment cet ouvrage reçut le sous-titre de "Linz".
La symphonie reçoit la tonalité élémentaire de do majeur. Mon esprit
facétieux s'interroge sur ce choix qui évite d'écrire une armure de # ou de
♭ à la clé.
Mozart gagne-t-il du temps par
tous les moyens ? Plus sérieusement,
Mozart
composait presque systématiquement en mode majeur mais, en avance sur son
temps, les basculements majeur-mineur sont légions dans cette symphonie, à
l'instar du futur
Schubert.
L'orchestration est également typique de son style économe : 2 hautbois et
2 bassons ; 2 cors et 2 trompettes ; des cordes et deux timbales.
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1 - Adagio, Allegro con spirito
: Première surprise, la symphonie s'ouvre sur un adagio majestueux ! Une
suite de 3 accords
f joués à l'unisson
par tous les pupitres se
poursuit par une méditation rythmée et secrète. Une
introduction
quasi mystique jamais
entendue dans les 35 symphonies précédentes.
1ère page sur les 120 composées en 3 jours (de
nos jours on les assemble par 2) XXXX |
[1:47] l'allegro très enlevé commence entre enthousiasme et fureur.
Mozart
tourne le dos définitivement aux divertissements et sérénades qu'il
affectionnait tant. À partir de motifs vigoureux, le flot musical s'élance
comme un cheval au galop. La mélodie oscille entre félicité et sourde
inquiétude par un jeu subtile de chromatismes, donc de transitions
surprenantes et fantasques entre mode majeur et mineur. Une musique qui
semble mugir.
Mozart
utilise toutes les ressources de sa petite harmonie, des cuivres et même des
timbales (à la sonorité franche et sèche car vraisemblablement en peau
naturelle ; Harnoncourt
conserve les réflexes de sa révolution baroque…),
timbales dont le rôle se révèle plus virtuose qu'à l'accoutumée.
Nikolaus Harnoncourt
malgré un tempo retenu (comme toute son interprétation), déchaîne avec une
précision d'orfèvre les forces du
Concertegbouw.
Linz en 1762 |
2 - Andante
: Il est de nouveau surprenant que disposant de peu de temps pour composer,
Mozart
ait eu l'énergie et
l'imagination au top pour écrire un andante aussi long, 14 minutes dans
cette interprétation. Certes, une vaste reprise peut être omise, ce qui
ramène la durée de ce mouvement à seulement 8' (Josef Krips
avec le même orchestre en 1972).
Harnoncourt
choisit donc l'option "Divine longueur" comme chez
Schubert. Oui, mais avec un tel brio que l'on ne s'en lasse pas…
Une mélodie aux cordes assombrie par la mélopée du basson établit un
contraste saisissant avec la vélocité débridée de l'allegro. Les cors
interviennent, si proches et si lointains par
leurs crescendos opposant
sonorités pastorales et chasseresses. Jamais lent, noté en fa majeur, gorgé
de motifs contrastés, cet andante respire la quiétude, évoque une marche
dans les forêts autrichiennes ou tout simplement la bonhomie proche de la
truculence propre au caractère de
Mozart.
Quelques passages plus sombres semblent rappeler la désillusion suite à la
rencontre paternelle orageuse à Salzbourg.
Mais la sérénité qui domine
dans tout le mouvement montre un
Mozart
qui garde son optimisme.
Harnoncourt
articule avec ardeur le discours, continuant
à donner la parole à chaque
pupitre avec une science accomplie des nuances. Il est vrai que certains
mélomanes trouveront inévitablement répétitive la reprise malgré la
souplesse du flot musicale et la beauté des sonorités de l'orchestre
d'Amsterdam. (Mesures 36 à 104, oui… quand même !)
3 - Menuet et Trio
: Après ce long andante méditatif,
Mozart
nous propose l'un de ses menuets les plus mordants jamais écrits.
Décidément, l'air de Linz lui a donné des ailes, et surtout une liberté de
composition qui préfigure les grandes
symphonies 38-41
à venir, ouvrages échappant totalement à un style de musique limité à
l'unique vocation de divertir. Bref et d'une énergie folle, Mozart nous
plonge dans l'ambiance survoltée d'une fête. La musique sautille et
virevolte. La partition montre qu'à chaque note est associé un soupir ou
demi-soupir donnant ce rythme staccato pour ne pas dire saccadé au menuet.
Mozart
danse, les fêtards tapent des pieds… Le trio offre un dialogue en duo ou des
solos du hautbois et du basson que
Harnoncourt dirige avec facéties. En 3'15, Mozart vient d'inventer le scherzo.
4 - Presto
: Le final se présente de nouveau comme un presto halluciné et débridé d'une
dizaine de minutes. Avec ses 416 mesures (2/4) et un tempo diabolique,
Mozart
pulvérise la densité usuelle des symphonies de son temps. Les mots seront
fades : une farandole de thèmes voltige dans toutes les directions mais avec
une clarté et une logique implacables. Dans cette précipitation, les cors et
trompettes s'éclatent (dans tous les sens du terme), les cordes se
bousculent et se pourchassent, passant de quelques mesures poétiques à des
trilles endiablées.
Mozart
innove encore et toujours, conduisant l'orchestre à la limite de l'apoplexie
orchestrale (marrante cette expression). J'ai entendu nombre
d'interprétations vivifiantes, mais là, Nikolaus Harnoncourt
outrepasse toute retenue, mais sans omettre le moindre détail ludique, en
allégeant, grâce à un legato sur le fil du rasoir, cette frénésie qui
annonce la fugue survoltée concluant la symphonie "Jupiter" de
1788.
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Cet article étant consacré à l'art de
Nikolaus Harnoncourt, je ne m'étendrai pas sur une discographie alternative. Peu de chef ont
enregistré cette symphonie en conservant les reprises. Certes, on gagne en
concision, notamment dans l'andante. Mais si
Mozart les a prévues… Et puis la discographie des symphonies mozartiennes est bien
connue :
Bruno Walter
et
Otto Klemperer
pour les nostalgiques du style "romantique" mais sans pathos ;
Karl Böhm
pour l'intelligence malicieuse du phrasé,
Josef Krips
: l'élégance viennoise. Je me ferai le défenseur de la gravure de
Charles Mackerras avec le
Scottish Chamber Orchestra, qui redonne des couleurs authentiques à cette œuvre tout en respectant
les reprises à l'instar de
Nikolaus Harnoncourt. Le seul rival à mon sens dans le style "classique".
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La symphonie sous la baguette de Nikolaus Harnoncourt avec la partition défilante et, très curieusement, la version complète la plus légère disponible est
offerte par papy Karl Böhm à Berlin dans les années 60. (Pas de reprise dans le premier
mouvement.)
On pourrait ajouter la version de Fritz Reiner, qui n'a pas pris une ride -ses symphonies de Mozart sont d'ailleurs toutes superbes, précises, lumineuses et pleines de fougue.
RépondreSupprimerBravo pour vos articles, toujours passionnants.
Je me suis permis de référencer Le Deblocnotes sur mon blog, Jefopera.
Merci pour ces encouragements…
RépondreSupprimerJe viens d'ajouter le lien vers votre blog dans notre liste des blogs partenaires (onglets Contacts / Liens) Je vais visiter Jefopera avec gourmandise…
Oui Fritz Reiner ou la transparence et le tempérament fougueux (quoique le presto en 4'40'… un peu furioso à mon goût :o) ; 23' la symphonies – sans les reprises au lieu de 40' pour Harnoncourt… )
Encore merci et à bientôt