- L'auteur de la symphonie
du Nouveau Monde est de retour M'sieur Claude… Je ne savais pas si d'autres
symphonies avaient été enregistrées…
- Autrefois, les dernières
symphonies de Dvořák étaient numérotées de 1 à 5 ma petite Sonia, mais il
existe quatre partitions dites "de jeunesse"…
- Des travaux d'études ou
des œuvres déjà accomplies ?
- Heuuu… un peu les deux :
un peu trop longues et pas toujours de la dentelle, mais la 3ème,
très bucolique, fait exception à la règle, à mon sens…
- Quant à Vclav Neumann,
vous n'en avez guère parlé je crois…
- Juste cité dans les
discographies alternatives des 6ème et 9ème symphonies de
Mahler. Cette fois-ci, cet article est bien réservé au maestro tchèque !
Pour
la biographie du compositeur tchèque, rendez-vous dans l'article consacrée à…
La Symphonie du "Nouveau
Monde", une œuvre très populaire et plus particulièrement
connue par son final dont le thème épique reste dans toutes les oreilles grâce
à la télévision et à la publicité (Clic). Intéressons-nous à ses jeunes années.
Contrairement
à Brahms qui affronta tardivement le monde
symphonique, intimidé par la hauteur de vue du cycle beethovénien, Antonín Dvořák va aborder ce répertoire très
jeune, dès 1865 à 24 ans ! Pendant près
d'un siècle, on ne parlera et ne jouera que les cinq dernières symphonies. Je me rappelle
d'une pochette d'un vinyle paru chez Dgg de la Symphonie du nouveau monde dirigée
par Karajan dans les années 60 portant ce
titre : Dvořák – Symphonie Nr 9 (5)…
Le
catalogue chronologique des œuvres du compositeur resta longtemps très confus,
certaines partitions n'étant pas imprimées et les organisateurs de concerts
négligeant ce travail prémonitoire. Il faut attendre 1877 et la composition de son douloureux Stabat Mater (écrit
par un Dvořák qui a vu trois de ses
enfants mourir en bas âge) pour que le compositeur soit reconnu hors de Bohème.
C'est à partir des années 60 que l'on redécouvre ses symphonies disons "de
jeunesse" et que quatre grands chefs décident simultanément d'enregistrer
l'intégralité du cycle symphonique : deux tchèques d'origine : Rafael Kubelik à Berlin (Dgg) et la première mouture de Vaclav Neumann à Prague (Supraphon), le hongrois Itsvan Kertesz
à Londres (Decca) et enfin le
polonais Witold Rowicki, également à Londres (Philips). Quatre labels prestigieux qui
se concurrençaient ; la grande époque du disque… Coup de chance, ces gravures
sont toutes remarquables, et aujourd'hui seuls les anciens se rappellent de l'époque
des cinq symphonies.
Pourquoi
cette mise au rencart ? C'est assez banal. Parfois les jeunes compositeurs
veulent en faire trop et les quatre premières symphonies sont trop longues, 40
à 50 minutes, d'une invention mélodique un peu légère pour tenir la distance et
d'une orchestration plutôt académique. Pourtant la poésie paysanne et l'élan généreux
propres au style musical de Dvořák
sont déjà bien présent et, bien interprétées, on ne boude pas un certain plaisir
à l'écoute de ses symphonies.
La
3ème
symphonie ayant été écrite 8 ans après la 1ère, on
discerne une plus grande densité mélodique et la prise en main plus personnelle
des techniques d'écriture ; il n'y a que trois mouvements comme si le
compositeur estimait (on ne peut pas lui donner tort) qu'un scherzo, pour
respecter dieu sait quelle règle formelle, allongerait inutilement le propos.
On
verra plus loin que, par ailleurs, le matériau thématique de l'allegro initial
est pour le moins inhabituel. Une œuvre très originale en somme que Smetana (auteur de La Moldau) en personne créera en 1874. Quelle chance que le compositeur
qui avait fait du ménage dans ses œuvres dites "de jeunesse" ait
épargné cette belle et pastorale symphonie.
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Vaclav Neumann |
Des
années 40 à la fin des années 80, l'Orchestre
philharmonique tchèque de Prague a rivalisé avec les meilleurs
phalanges européennes : Vienne, Berlin ou encore Amsterdam. Et cela grâce à
trois chefs d'exception : le jeune Rafael Kubelik
de 1942 à 1948, Karel Ančerl de 1950 à 1968 et enfin Vaclav Neumann
de 1968 à 1989, soit pendant plus de 20 ans. Karel
Ančerl avait fait la une du blog pour son interprétation de
légende de la Symphonie du Nouveau Monde de
Dvořák. (Clic)
Pour
être complet, n'oublions pas le maestro et violoniste historique Václav Talich qui, de 1919 à 1941, amena cet
orchestre à ce niveau superlatif. Un quatuor tchèque porte le nom de cet
artiste illustre.
Né
en 1920 à Prague, Vaclav Neumann étudie le violon et l'alto,
et cofonde avec des amis le quatuor Smetana
en 1940. Il prend la place de
premier violon jusqu'en 1943 puis
d'altiste jusqu'en 1946. Pendant
trois ans, après le départ de Rafael Kubelik
pour les USA, il occupe le poste de chef de la Philharmonie tchèque en
alternance avec Karel Šejna et cela avant
l'arrivée en 1950 de Karel Ančerl. Sa carrière de chef de haut
niveau démarre. Il conduira notamment le Gewandhaus de
Leipzig de 1964 à 1968, époque à laquelle il réalise des
gravures des symphonies 5, 6, 7 et 9 de Mahler
pour Phillips, disques qui font toujours autorité mais rares à trouver.
En
1968 le printemps de Prague est
laminé par l'armée rouge. Ančerl
fatigué (séquelles de l'enfer de la déportation à Terezin puis Auschwitz), et
menacé par le KGB, part pour les USA. Il cède la place à Vaclav
Neumann qui hérite d'un orchestre d'exception au répertoire rénové
: les tchèques modernes comme Janáček,
Martinů, Bořkovec, Suk, Kabeláč,
mais aussi les russes Prokofiev,
Chostakovitch… sans oublier Mahler, peu joué avant et même interdit
pendant les années noires du IIIème Reich.
Karel Ančerl |
Pour
tous ces disques, les gravures Supraphon
des années 70, souvent nasillardes en vinyle, ont retrouvé des couleurs
superbes lors du report numérique.
Plus
sage voire moins habité que Karel Ančerl, Vaclav Neumann, par une direction souple et raffinée, a permis à l'orchestre Philharmonique Tchèque de nous
léguer une discographie bien captée et incontournable pour la musique de la
culture slave. Il abandonne son poste en 1989. Cette année-là, la libération de la Tchécoslovaquie du joug
soviétique conduit de nombreux éléments de valeur à quitter Prague et la Philharmonie Tchèque pour l'occident.
L'orchestre va hélas commencer à décliner. Vaclav Neumann
est mort en 1995 à 75 ans. Le chef Jiří Bělohlávek qui connaît bien cette formation en a repris les rênes en 2012 et devrait redorer le blason de l'orchestre...
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Village de Zlata Ulicka (Antonin Slavicek) |
Pour
une symphonie romantique écrite en 1873,
et donc contemporaine de la 3ème de Anton Bruckner et antérieure de 3 ans de
la 1ère de Brahms,
l'orchestration est particulièrement rutilante, proche de celle d'un Berlioz, avec : 2/2/2/2 + piccolo et cor
anglais, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, tuba, timbales, triangle, harpe, et
cordes. Dvořák adorait la sonorité
du cor anglais. Le timing indiqué est celui de la vidéo.
1 - Allegro moderato : Un martèlement
léger et arythmique accompagne l'introduction du très grand thème à la fois solennel
et pastoral qui va charpenter tout le premier mouvement. Dvořák
innove ou plutôt revient à l'âge classique d'un Haydn
en écrivant un allegro monothématique. Une entorse aux règles
structurelles de la symphonie de forme sonate, et surtout un pari risqué sur une durée de
dix minutes ! Ce thème unique va se répéter sans cesse, son style étant typique de la culture
musicale de bohème. Toute monotonie est pourtant absente de par le travail
d'orchestration savoureux auquel se livre le compositeur.
Ce
thème peut évoquer une joyeuse danse folklorique dans un village de bohème. Au-delà
des variations de couleurs orchestrales et des timbres, Dvořák
insuffle également une dynamique contrastée et une rythmique mouvante et variée. Ainsi Dvořák interrompt de manière abrupte le premier
crescendo glorieux [2:23] pour reprendre plus tendrement le leitmotiv. Le
compositeur nous promène à la fois dans un climat patriotique (au sens noble de
l'attachement à son pays) et dans les paysages de Bohème. La seconde partie du
mouvement s'oriente vers une ambiance plus
élégiaque.
Pas
surprenant que Bedřich Smetana qui dirigera
la création ait été influencé par cette page lors de la composition de sa suite
de poèmes symphoniques "Ma Patrie" (dont le célèbre "La
Moldau") et particulièrement dans les deux poèmes nommés Vyšehrad
et Par les prés et
les bois de Bohême. Vaclav Neumann
met en relief chaque détail et fantaisie de cette page pleine d'allant. Les cuivres
tchèques sont somptueux, jamais agressifs. Chaque méandre et reprise du thème se
révèle surprenant avec une direction aussi souple, au tempo délicatement retenu.
2 - Adagio molto, tempo di marcia : [11:34] la
longueur de ce mouvement lent (17 minutes) est surprenante. Un adagio très riche qui montre les progrès dans la technique de composition de son auteur. On parle
souvent de climat funèbre pour cet adagio… Je préfère les mots "recueilli" et "tempétueux", tout au
moins dans la première partie introduite par deux longs accords d'où surgit une
idée martiale certes, mais pas funèbre comme chez Beethoven
dans la symphonie "héroïque". À l'opposé du principe du thème unique de
l'allegro, plusieurs motifs se succèdent dans un discours lyrique. Vaclav Neumann ne s'épanche jamais mais
suit la ligne mélodique avec gravité, et fait chanter les belles cordes tchèques.
La richesse des idées fait implicitement penser à un poème symphonique dans
lequel se succèdent des épisodes épiques et dramatiques. [16:47] Reprenant le
thème principal avec pathétisme, la musique aborde [18:02] une seconde partie toujours rythmée,
plus incisive, agrémentée d'arpèges de harpes et [19:49] comportant un
développement diaphane et tendre chanté par le hautbois, un îlot bucolique dans de ce
mouvement sévère. [21:35] Dvořák imagine une
péroraison grandiose et tourmentée. Vous l'aurez compris, cet adagio est une
symphonie dans la symphonie. Les contrastes d'un flot musical réinventé de
mesure en mesure sont une antithèse à l'uniformité thématique de l'allegro. Cette
originalité est la signature d'un compositeur qui saura encore révolutionner son
langage dans les ouvrages de la maturité, notamment les 3 dernières symphonies et les quatuors.
Cette 3ème symphonie, la plus aboutie des quatre dites
(presque à tort ici) de jeunesse, devrait prendre sa place dans les programmes
de concerts hors de la ville de Prague. La coda est un sublime résumé du mouvement
avec ses émouvants arpèges de harpes.
3 - Finale : Allegro vivace : [28:25]
L'allegro final, plus banal, a néanmoins le mérite de rester assez bref. Le matériau
mélodique possède un petit air de déjà vu (ou entendu). La mélodie caracole, très
guillerette avec ses solos de flûtes. Le tuba, le picolo et le triangle
ajoutent de belles notes colorées à ce passage conclusif très festif.
On pourra cependant constater que dans la partition, la marche est un élément
récurrent de l'écriture. Cela donne un sentiment de rudesse un peu trop
soutenu, il faut bien le dire. Vaclav Neumann
évite de précipiter le phrasé en appuyant modérément sur le vivace prévu. Il en ressort
un style de direction précis et jubilatoire qui atténue toute brusquerie. Sans
conteste, l'une des plus belles interprétations de cette œuvre très marquée de
l'empreinte virile et bon enfant de Dvořák.
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Des
enregistrements de cette symphonie figurent dans toutes les intégrales citées
dans le premier paragraphe de cet article. Pourtant, l'énergie de Vaclav Neumann n'est guère égalée.
L'interprétation
de Rafael Kubelik déçoit un peu par un manque
de fougue malgré le son splendide de la Philharmonie de
Berlin. Mais justement un orchestre allemand, si bon soit-il,
convient-il bien pour donner la saveur et l'emportement slave si présents dans
cette musique. Oui, c'est possible et c'est le chef coréen Myung-Whun
Chung qui a apporté ce démenti en 1997 en gravant avec rien de
moins que la Philharmonie de Vienne 3
symphonies de la maturité (6-8) complétées par cette troisième qui a tout à fait
sa place auprès de ses sœurs ! La critique salua cette parution de 2 CD rééditée
dans un double album à petit prix… (Dgg
– 5/6 pour l'album). Myung-Whun
Chung, avec son orchestre virtuose, apporte dans sa
conception une poésie qui complète avec bonheur l'ardeur de la gravure de Neumann.
C'est vrai que les six premières symphonies de Dvorak ne comptent pas au rang de ses meilleurs productions... C'est aimable et assez bien fait, mais peu marquant en définitive !
RépondreSupprimerJ'aime assez kersetz dans son intégrale, un peu moins Kubelik dans cette oeuvre, même si globalement, je préfère l'intégrale du second à celle du premier ! Bref, en la matière, rien n'est simple, et je m'en vais à la découverte de la version Neumann !