vendredi 15 janvier 2016

LES HUIT SALOPARDS de Quentin Tarantino (2016) par Luc B.



Trois ans après DJANGO UNCHAINED, Quentin Tarantino ressort les colts pour un nouveau western. Atypique, forcément. Qui tient plus d’une pièce de théâtre classique (unité de temps, de lieu) découpée en 5 chapitres. L’idée de départ était simple : et si on enfermait 8 mecs armés dans une pièce, pour voir ce qui se passe ?

Le générique est fabuleux : un très long plan qui part du détail d’un crucifix, pour embrasser tout un paysage enneigé, une diligence qui arrive du lointain, la musique crépusculaire d’Ennio Morricone.

Premier huit-clos : la diligence. Deux chasseurs de prime s’y retrouvent, John Ruth avec sa prisonnière Daisy Domergue, et le Marquis Warren avec trois cadavres à livrer au shérif de Red Rock. On se jauge, on se méfie, mais on s’apprécie. Un troisième personnage s’invitera, lui aussi coincé par le blizzard : Chris Mannix, qui se prétend shérif de Red Rock ! (vous remarquerez qu'à chaque fois, on se vérifie les papiers, la confiance règne !).

Et déjà Tarantino s’amuse lui-même de son dispositif en faisant dire à un de ses personnages, que cette situation relève du hasard le plus improbable, à moins que ce ne soit prévu d’avance… Prévu par qui ? Le scénariste bien sûr ! Tarantino him-self interviendra plus tard, en voix off, comme des apartés aux spectateurs.

Plus que dans n’importe quel film de Tarantino, ce sont les dialogues qui font l’action. Pas décalés comme dans PULP FICTION, ou DJANGO, pas non plus à double sens comme dans INGLORIOUS BASTERDS. Ici, les dialogues renseignent sur les personnages, leurs intentions, leurs passés. Même si plusieurs personnages se connaissent de réputation (le far West est un petit monde) c’est en discutant qu’ils en apprendront davantage, que les masques vont tomber.

Les personnages de Tarantino ne sont jamais ce qu'ils paraissent être. Ce qu’ils se disent est-il vrai, ou faux ? Les dialogues servent à manipuler l'autre, à obtenir quelque chose plus surement qu’en maniant le flingue. Ainsi, quand Chris Mannix veut sa place dans la diligence, voici ce qu’il expose aux deux autres : vous allez toucher votre prime de la main du shérif de Red Rock. Or, c’est moi le shérif. Vous me croyez ou non, mais c’est moi. Donc soit vous me faites confiance, vous m’emmenez, vous avez votre fric, soit je reste là, je meurs de froid, et vous ne touchez rien. Mais ma mort sera considérée comme un homicide. Vous serez pourchassés, jugés, pendus.

Mannix, Ruth, Warren et Daisy Domergue doivent s’arrêter pour la nuit chez Minnie, un relais. C’est le second huit-clos. Minnie est absente pour raison familiale, son établissement est tenu par un certain Bob. Et il y a là trois voyageurs : Oswaldo Mobray, un anglais, bourreau de profession en route pour Red Rock... Vous pigez encore ce hasard improbable ? Y’a Joe Gage, cowboy patibulaire qui va passer les fêtes de Noël chez sa maman. Ben voyons, on y croit… Et le vieux général Smithers, sudiste, qui s’étrangle de devoir partager l’espace avec un nègre (Warren).

Tarantino orchestre les présentations des uns et des autres, par petits groupes. Il redécoupe son espace, le coin cheminée pour le général, une table pour Joe Gage, le bar pour John Ruth, qui se renseigne, tâte le terrain, et annonce clairement sa pensée : l’un de ces fieffés salopards est un menteur, venu pour libérer Daisy Domergue. Et il n’y compte pas.

C’est dans ce troisième chapitre que les choses vont s’envenimer, où les mots font encore plus mal. La manière dont Warren arrive à gagner l’écoute et le respect du vieux général Smithers, lui avouant qu’il a connu son fils, avant de l’humilier et lui faire souffrir le martyre en lui racontant comment ce fils est mort. C’est abject ! Puis Tarantino renverse son point de vue, rembobine l’histoire de quelques secondes : on avait raté un détail (nous dit le narrateur) cette fiole de poison versée dans la cafetière.

Effet incongru et jubilatoire ! Le film vire au cluedo, on pense à un Agatha Christie. La tension monte d’un cran, Tarantino commence à faire parler la poudre, ça vire au gore, ça saigne, ça gerbe, ça explose, c'est répugnant, Daisy Domergue déambule couverte de sang comme l’héroïne de CARRIE. Tarantino aime salir ses films par des effets de séries Z. LES 8 SALOPARDS tient plus de John Carpenter (THE THING, avec la neige, Kurt Russell, et des tripes à l’air) que de Sergio Leone. On est davantage dans le huit-clos horrifique que dans le western, fut-il italien.

Mais avant ça il va y avoir un autre flash-back, situé le matin même, à l’arrivée des trois voyageurs. Une petite parenthèse enchantée, où on découvre cette fameuse Minnie, légende locale, une jeune noire gouailleuse, chaleureuse. C’est surréaliste, en total contraste avec la violence atteinte juste avant à l’image. Évidement, l'angélisme ne va pas durer...

C’est ici que Tarantino aurait dû songer à conclure. Parce qu’à la fin de ce flash-back, on a bouclé le récit, on a les clés pour comprendre l’ensemble de l’histoire. L’épilogue n’aurait dû être qu’une formalité, mais Tarantino ne peut pas s’empêcher d'en remettre une grosse couche. Le chapitre 5 est de trop. Il ne reste que trois personnages, en piteux état, et Tarantino ne résiste pas à poursuivre son jeu de faux-semblant et de massacre, mais la magie n'opère plus. Si on admire le savoir-faire, le savoir-dire, la durée de 2h48 est tout de même excessive. Tarantino est habile, fécond, il le sait, en use, mais là, en abuse. 

Il y a des trucs fabuleux dans ce film, à commencer par les acteurs, des habitués, comme Samuel L. Jackson, et sa diction caractéristique, Tim Roth, Michael Madsen, Kurt Russell. Et Jennifer Jason Leigh, qui a bien du mérite, qu’est-ce qu’elle se prend dans la gueule !! Le leitmotiv autour de la porte du relais, cassée, que chaque entrant est contraint de reclouer ! La lettre de Lincoln… quelle idée fabuleuse ! C’est ce que Warren, le nègre, a trouvé pour se protéger des blancs (le film n'est pas une fable politique, pourtant, certaines saillies sur le racisme en Amérique font mouche). Et encore, le mensonge de Bob dénoncé grâce à la recette du ragout ! Jody Domergue qui parle français, ce que Minnie trouve si charmant ! Elle apprend à dire "oui", en français, et veut s'entrainer : Et, demande-moi si j'ai un gros cul ? Hein... mais non... Demande-moi ! Mais euh... Demande-moi je te dis ! Bon ok, Minnie, t'as un gros cul ? OUI !!! 

LES 8 SALOPARDS c’est un best-of de Tarantino. On y retrouve tout ce qui fait son cinéma : une construction ludique, maline, une mise en scène élégante et sabrée d’effets gore, délicatesse des mots mêlée à une extrême vulgarité, échanges à priori anodins mais moteurs réels de l’action, l’hommage aux maîtres (L’HOMME DE L’OUEST d’Anthony Mann, LA CHEVAUCHEE FANTASTIQUE de Ford, LE GRAND SILENCE de Corbucci), la musique pop (White Stripes, Roy Orbison en plus de la partition originale de Morricone). C’est justement aussi la limite de son film. On en connait tous les ingrédients. 

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Quentin Tarantino a tourné ce film sur pellicule, et pas n’importe laquelle : la Ultra-panavision 70mm, utilisée que 10 fois jusqu’ici (L’ARBRE DE VIE, UN MONDE FOU FOU FOU, BEN HUR…) qui rend un format d’image de 1 x 2.76, plus large que le format scope, et une définition 4 fois supérieur au 35mm. 99% des spectateurs verront (comme moi) le film transféré en numérique, car très peu de salles possèdent des projecteurs adaptés. Et comme il n'y a plus trop de labo sachant traiter ce genre de matos, c’est un petit plaisir (caprice ?) qui a coûté bonbon. C'est aussi un moyen de conserver le film (Tarantino songe déjà à sa légende !), puisque la pellicule reste à ce jour, le support le plus sûr et le plus pérenne. La projection en 70mm dure 15 minutes de plus, avec prélude et entre-acte, ce qui explique la voix off (Tarantino) qui nous résume la première partie.

THE HATEFUL EIGHT(2016)
Couleur  -  2h50  -  70mm scope 2:76



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12 commentaires:

  1. le titre du film fait fortement penser aux 7 mercenaires et aux douze salopards, y'a t'il des clins d'oeil à ces films ? Sinon dans "Le relais de l'or maudit" avec Randolph Scott on a aussi une bande de desperados enfermés dans un relais..

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    1. Non, pas d'allusions, les 12 salopards est un film d'action, là, c'est un huis-clos, pareil pour les mercenaires. Mais le titre, oui, est clairement une allusion, même le titre américain, d'ailleurs, c'est pas innocent... C'est pour ça que je ne comprends les gens qui critiquent le titre français, alors que c'est l'exacte traduction !
      Je ne connais pas "Le relais des maudits", mais j'aime bien les films de Scott.

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    2. Et ya un jeux de mots dans "Hateful 8".... Hate avec 8 (eight)

      Ca me tente pas de voir Tarantino s'écouter écrire pendant 3 heures... Y m'a tellement gonflé dans l'ensemble de son oeuvre, que là, j'ai vraiment envie de dire "Stop !"

      ;o)

      http://big-bad-pete.blogs.fr/index.html#a536466

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  2. Le chapitre 5 de trop??
    M'enfin, ça nous apprend si Daisy parvient à embobiner jusqu'au bout, ça rapproche les 2 mecs qui se haïssaient le plus au début, on a la lecture de la lettre et la Daisy subit ce que lui promettait John Ruth(qui l'a jamais lâchée...).
    Pas trop compris pourquoi ça dure aussi longtemps le plantage de piquets dans la neige(à part le même genre de plan dans The Thing.
    Vu aussi en numérique, mais le fiston a assisté à une avant première en 70mm à Aix en Provence avec accueil d'une smala fringuée comme Fantasio redingote et galurin rouges, les 8 mns c'est surtout au début la zique de Morricone sur fond noir.
    Ce sont les mêmes bobines qui ont fait la tournée en France avec le même opérateur(plus personne ne sait se servir de l'argentique on dirait).
    Jennifer Jason Leigh est toujours aussi chtarbée, je l'avais découvert dans La Chair et le Sang et y'a qu'elle pour jouer(et subir)des trucs pareil!
    Voilà un vrai film rock'n roll! No Future!!

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    1. Oui, Juan, mais l'embobinage dure trop longtemps. La partie de ping-pong (verbale) à trois personnages, c'est un peu trop, à mon sens. Et à partir du moment où on sait, je pense qu'un épilogue de 5 ou 10 minutes aurait suffit... Il faut se souvenir que le scénario avait été dévoilé sur Internet, obligeant Tarantino à réécrire la fin... Apparemment, le frangin sous le plancher, était dévoilé plus tard...

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  3. Un petit détail Luc si je peux me permettre.......? Quand Minnie veut absolument qu'on lui dise qu'elle a un "cul de vache", c'est pour employer le mot francais "certes", mot qui semble la ravir! A part cela d'accord avec toi, même si le film est un poil en dessous des deux précédents, c'est quand même du sacré cinéma!

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    1. T'es sûr ? Dans la VO, elle demande : what does it mean... "oui". Jody lui répond "yes". Et elle veut pouvoir placer un "oui" français à une question qu'on lui poserait. Pour toi, c'est "certes" ?

      J'ai appris que dans le premier scénario, Bob n'était pas mexicain, mais un français, joué par l'acteur qui jouait le paysan au début d'Inglorious basterds. Quand le scanar a filtré sur Internet, Tarantino a été obligé de modifier la structure de son film, changer la fin, et donc, il a sucré ce personnage. mais visiblement, a gardé l'idée qu'un des mecs parlait le français.

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    2. J'ai vu la version française, ceci expliquant peut-être cela! Je vais visionner la VO pour voir, mais bon c'est un détail.

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    3. J'ai vu la version française, ceci expliquant peut-être cela! Je vais visionner la VO pour voir, mais bon c'est un détail.

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  4. Moi je suis un peu dans le même état d'esprit que BBP. Je sais pô trop !!!

    Le réalisateur me donne aujourd'hui l'impression de toujours tourner de la même façon. Et j'avoue que l'équation "joutes verbales/bain de sang" finissent par me fatiguer moi aussi.
    Comment, avec la culture cinématographique qu'il a et son amour immodéré du septième art, pourquoi ne cherche-t-il pas a s'extraire une bonne fois pour toute de l'univers qu'on lui connaît depuis si longtemps maintenant ? Les galeries de portraits... Ça suffit !

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    1. Parce que justement c'est son univers, sa patte, son originalité. Tarantino, c'est du cinéma d'auteur (au sens noble !) + du cinéma de genre + du cinéma bis. Mais je pense aussi qu'il devrait garder sa spécificité, tout en évoluant ("Jackie Brown est un peu différent, plus "adulte"), et notamment apprendre à faire des films de moins de deux heures !!

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  5. Voilà Luc, c'est exactement ça !

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