vendredi 11 septembre 2015

DHEEPAN de Jacques Audiard (2015) par Luc B.


Les premières images sont fascinantes et augurent du meilleur. La nuit, la jungle du Sri Lanka, des flammes. On découvre Dheepan, soldat Tamoul, qui prépare un bucher sur lequel seront incinérés ses frères combattants. Dheepan doit fuir son pays et les massacres qui ne finissent plus. Il est plus aisé d’obtenir le statut de réfugié si on part en famille. Dheepan va s’en créer une, avec  Yalini, qui elle-même se cherche une gamine qui fera office de fille.

Jacques Audiard frappe d’entrée très fort, le film nous happe en deux secondes, les images parlent, tout s’enchaine vite. Pas de déchet dans ce film, d’effet de style, juste le bon plan, la bonne scène. Jusqu’au générique énigmatique. Des halos de couleur bleu qui dansent, viennent vers nous. Quand la netteté revient, on comprend que ce qui clignote sont des oreilles de Mickey fluo, que Dheepan porte sur la tête. Ridicule, jusqu'à ce qu'on comprenne qu'il est vendeur à la sauvette, à la merci des descentes de flics.  

Une association de réfugiés offre à Dheepan de prendre la loge de gardien dans une cité ("La Coudraie" près de Poissy). Il s’y installe, avec Yalini et la gamine, Illyaal. Le film décrit très bien cette période d’adaptation pour le héros. D’abord, faire avec cette « famille » improvisée, donner le change. Se faire au boulot (trier du courrier quand on ne lit ni parle le français…), et à l’environnement. Car Dheepan découvre que la cité est gangrenée par les gangs. Ce sont eux qui font la loi, édictent les règles. Dheepan y est toléré, son statut de gardien aide, et si chacun restent à sa place, il y aura pas de problème. La vie continue, Dheepan est apprécié, les vieilles le laissent porter leur sac, il repart l’ascenseur. Illyaal est inscrite à l’école, tout le monde profite de ses leçons de français. On s’intègre… 

Jacques Audiard résume cette première partie de film en un seul plan, magnifique : Dheepan marche dans la cité, la caméra le suit en travelling, il croise une femme qui revient des courses, qui le salue, il répond, et la caméra s’élève, toujours plus haut au-dessus des barres d’immeubles. Ca y est. Dheepan est inscrit dans le décor, accepté, cette ville est désormais la sienne. 

La tension monte chez les dealers, des histoires de clans, de territoire. On n’en saura pas plus, Jacques Audiard ne précise pas. Car il nous raconte son histoire par le point de vue de Dheepan. Qui comprend mal le français, qui est étranger à tous ces gens. Qui est monsieur Habib dont s’occupe Yalini ? On n’sait pas… Mieux vaut pas poser de question… Ça discute derrière les portes, ça complote, mais Yalini et Dheepan, on leur demande juste de descendre les poubelles, le reste n’est pas leur problème.

Mais ça va le devenir quand Dheepan voit sa sécurité, et celle de Yalini, menacée. Scène fameuse. Il prend une brouette et du plâtre, et trace une ligne de démarcation dans la cité. Vous de ce côté, moi du mien. Celui qui passe la ligne, je le cogne. Ca les fait marrer en face, ils sont 50 armés jusqu’aux dents. Le caïd du coin (Vincent Rottiers, parfait) fait gentiment comprendre à Yalini de calmer les ardeurs de son mari. Sinon, on le tue. Le message est clair. Yalini, elle, est priée de revenir bosser pour monsieur Habib. Elle est morte de trouille, mais on ne lui demande pas son avis. On sent que ça va dégénérer…

Et ça dégénère salement, fusillade, menace, appel au secours. Dheepan va faire le ménage. 

On en est à 1h40 de film, et jusque là, ça frise la perfection. Un cinéma narratif, pas psychologique, surtout pas mélo (mais assez froid) et audacieux. Et puis Jacques Audiard change de style, donnant dans l'onirisme sur fond de choeurs lyriques, grandiloquents. Le problème est moins qu'il choisisse de conclure à la manière de Charles Bronson dans LE JUSTICIER DE LA NUIT ou des CHIENS DE PAILLE de Peckinpah [clic pour la chronique] dont Audiard avait d'abord pensé faire un remake, que la manière de le montrer. On ne comprend pas trop la tactique, l'enchainement des scènes. Et on passe d’un film très concret, à l’abstraction totale ! Je n'ai pas été convaincu. L'épilogue est aussi ambiguë...
  
Jacques Audiard a toujours revendiqué de faire de la fiction (et du cinéma de genre). Même si ses histoires sont ancrées dans le réel, le contemporain, que le style est réaliste, il ne faut pas y chercher trop de vraisemblance. Une chose est sûre, ses histoires, toujours très fortes, humaines, peuplés de paumés, de déracinés qui espèrent voir un peu de lumière, Audiard les raconte brillamment. C’est viscéral, filmé près de l'os, jamais intello. Et dans le cas de DHEEPAN, vachement osé : le film est parlé à 80% en tamoul, donc sous-titré, sans acteurs connus. Sans doute la fin aurait-elle mérité d’être traitée et travaillée autrement, on sait qu’Audiard n’avait pas fini son montage quand son film a été projeté à Cannes, et qu’ayant reçu la Palme d’Or, il l’a laissé en l’état.

Avant de sélectionner un film parce que ça fait chouette d'avoir un grand nom en compétition, ce serait bien qu'on laisse les réalisateurs finir leur travail. 


DHEEPAN (2015)
couleur  -  1h50  -  scope 2:35



ooo

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