samedi 11 juillet 2015

Antonio VIVALDI – GLORIA RV 589 – Michel CORBOZ – Par Claude Toon



- Tiens M'sieur Claude, Vivaldi n'a pas écrit que des concertos en tout genre (600 je crois) ?
- Point du tout, ma douce Sonia, Vivaldi a composé pour la voix : des opéras et en tant que prêtre (roux) de la musique religieuse…
- Des œuvres un peu sinistres et graves, des requiem, etc. ?
- Non, la musique de Vivaldi est toujours gorgée de vie et de soleil, exemple ce Gloria, sujet du jour…
- Oui, un gloria comme son nom l'indique se doit d'être joyeux, c'est vrai... Qui est Michel Corboz ? Vous n'en avez jamais parlé…
- Un chef d'orchestre Suisse qui a merveilleusement servi la musique baroque mais sur instruments modernes. Un choix qui n'est pas trop à la mode, mais quelle vitalité !

Michel Corboz (né en 1934)
Eh oui, Antonio Vivaldi avait d'autres cordes musicales à son arc que les innombrables et savoureux concertos qu'il a composés pour les formations les plus variées par centaines (600 est le chiffre avancé par Sonia, il est exact). Vivaldi a pénétré dans le blog par la porte des célèbres 4 concertos du cycle "les quatre saisons" en mars 2012 (Clic). Un second article explorait l'univers des concertos pour mandolines accompagnées par une flopée d'instruments les plus fantaisistes (Clic).
Retour en deux mots sur ce contemporain italien de Bach, donc de l'époque du baroque tardif. Virtuose du violon, le prêtre Roux (surnom dû à ces cheveux) a vécu de 1678 à 1741. (1785-1750 pour Bach). Il excellera dans tous les genres et sa production sera pour le moins abondante. Un seul bémol, sa musique sera oubliée pendant deux siècles et ce n'est guère que depuis la seconde guerre mondiale qu'il a retrouvé une gloire passée, surtout grâce à ses concertos.
Pourtant Vivaldi a écrit des dizaines d'opéras (de 50 à 94, on ne sait guère). Les partitions (beaucoup sont perdues) proposaient des livrets un peu indigents essentiellement destinés à mettre en valeur les prouesses des chanteurs, notamment des castrats. La mode était aux vocalises virtuoses plus qu'au fond de l'histoire, mais la musique colorée vaut que l'on redécouvre les manuscrits encore existants et que des enregistrements voient le jour. Ce qui est le cas… Orlando Furioso est le plus connu de ce corpus lyrique.
Et la musique religieuse dans tout ça ?
Pour répondre à des commandes, Vivaldi aurait composé une cinquantaine d'œuvres religieuses de toute nature. La plupart agrémentait les offices de l'église de la Pietà ou de la basilique Saint-Marc de Venise, ville dans laquelle Vivaldi a passé la plus grande partie de son existence. L'intérêt est varié. Deux œuvres à double chœur ont marqué l'histoire de la musique : le Stabat Mater et le Gloria écouté ce jour. Je ne peux faire l'impasse sur l'oratorio Judith Triomphante, œuvre à la fois sacrée et dramatique, qui concentre la quintessence de l'art du musicien et dont nous parlerons un jour…
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La place Saint-Marc et la Basilique au temps de Vivaldi - Canaletto (1697-1768)
Michel Corboz dit de lui-même qu'il est né dans un trou de gruyère. Le chef suisse est de tous les artistes de sa génération d'une discrétion proche de la timidité. Ce jeu de mot vient de son lieu de naissance en 1934 : la bourgade de Marsens dans le comté de Gruyère en plein pays vaudois.
Il suit toutes ses études à Fribourg et très tôt, en 1961, il crée son propre ensemble destiné à l'exécution de la musique baroque : l'ensemble instrumental et vocal de Lausanne.
Michel Corboz est avant tout un amoureux de la musique vocale. Cela peut expliquer qu'il n'est pas suivi les traces d'un Harnoncourt en faisant jouer ses musiciens sur des instruments d'époque, en transposant le diapason, etc. La voix est moins sensible que le son des instruments à cette révolution de l'interprétation baroque lancée dans les années 50. Je ne connais pas d'enregistrement de Corboz pour une œuvre simplement symphonique, ou alors on me cache tout… La firme Erato qui cherche dès 1964 à créer un catalogue d'œuvres baroques fait appel à son talent, une association qui durera des décennies, jusqu'en 2001, date à laquelle la firme jette l'éponge. Cela ne mettra pas fin à la carrière discographique du maestro.
Pour Corboz, la ferveur et la spiritualité doivent prendre le pas sur les préoccupations musicologiques formelles chères aux baroqueux. Attention, sa direction ne reflète en rien la majesté un soupçon sulpicienne que l'on pouvait déplorer parfois chez les grands anciens comme Klemperer, malgré la grandeur indéniable de leur conception. Avec des ensembles réduits, Corboz a apporté tant au concert qu'au disque une approche d'une grande fidélité au texte.
Le baroque est omniprésent dans la discographie de Michel Corboz comme Bach, avec plusieurs gravures de la Messe en si ou des Passions. On trouve également moult exécutions des œuvres de compositeurs du baroque primitif : Monteverdi, Gabrielli, ou encore des français comme Delalande. Michel Corboz a bien entendu élargi son répertoire jusqu'à la musique classique : Mozart ; romantique : Mendelssohn et ses oratorios Paulus et Elias ; Fauré et Duruflé et leurs Requiem, et même des œuvres contemporaines de ses compatriotes : Arthur Honegger ou Frank Martin. Une seule constante : des motets, des cantates, des pièces religieuses de tous les styles, bref et en un mot conclusif : de la musique vocale a capella ou avec accompagnement orchestral… Liste non exhaustive.
À 81 ans, Michel Corboz n'a jamais été aussi actif. Il est fréquemment invité à des festivals à vocation pédagogique comme les Folles journées de Nantes.
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Chœur et Ensemble instrumental de Lausanne
Révision pour les athées pratiquants et les mécréants, ou pour nos amis de diverses religions, tous ouverts à l'histoire religieuse. Le gloria est la seconde grande prière de l'ordinaire d'une messe catholique. Elle comprend 22 versets + l'amen conclusif. Elle est en principe réservée aux messes un peu solennelles, mais les règles exactes m'ont toujours échappées. C'est un article musical, pas un cours de catéchisme… hi hi !
Le Gloria se veut un Hymne à la gloire du Très haut et de Jésus-Christ. Il se prête donc bien à une mise en musique à la fois reconnaissante, extatique et radieuse.
Vivaldi a composé plusieurs Gloria mais celui-ci catalogué RV 589, de par ses proportions, sa beauté musicale et sa célébrité est appelé "par défaut" Gloria de Vivaldi. Il date de 1714-1716.
Le compositeur a regroupé en 12 parties les 23 versets de manière thématique : notamment le Laudamus qui en réunit quatre et le Qui tollis qui fusionne deux implorations.
Au-delà de ces considérations de regroupement des textes liturgiques qui permettent d'apporter un climat particulier de douceur ou de glorification dans la composition suivant le sens du texte, Vivaldi a fait preuve d'une belle imagination dans la distribution vocale et l'effectif orchestral propres à chaque passage. Pour ceux qui souhaiteraient découvrir la pertinence des choix de Vivaldi, voici le texte que l'on trouve rarement dans les pochettes.
Deux sopranos et un(e) contralto constituent le groupe des solistes vocaux. On les entend seuls ou en duo avec le Chœur. Le chœur peut chanter seul. Par ailleurs l'orchestre comporte des cordes mais également un hautbois, des trompettes, un clavecin et un orgue. Inutile d'apporter un commentaire à chaque passage, mais s'intéresser à chacune des combinaisons voulues par Vivaldi met en évidence la richesse de l'ouvrage, ce qui n'est pas une limpide lors d'une première écoute…
1
Gloria in excelsis Deo,
Gloire à Dieu, au plus haut des cieux,

2
Et in terra pax hominibus bonae voluntatis.
Et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.

3
Laudamus te. Benedicimus te. Adoramus te. Glorificamus te.
Nous te louons, nous te bénissons, nous t’adorons, nous te glorifions,

4
Gratias agimus tibi
Nous te rendons grâce,

5
Propter magnam gloriam tuam
Pour ton immense gloire, 

(5)
Domine Deus, rex caelestis
Seigneur Dieu, Roi du ciel,

6
Domine Fili unigenite, Jesu Christe
Seigneur, Fils unique, Jésus Christ,

7
Domine Deus, Agnus Dei, Filius Patris,
Seigneur Dieu, Agneau de Dieu,le Fils du Père.

8
Qui tollis peccata mundi, miserere nobis.
Toi qui enlèves le péché du monde, prends pitié de nous
Toi qui enlèves le péché du monde, reçois notre prière ;


9
Qui sedes ad dexteram Patris, miserere nobis.
Toi qui es assis à la droite du Père, prends pitié de nous.

10
Quoniam tu solus sanctus, tu solus Dominus, tu solus Altissimus, Jesu Christe
Car toi seul es saint, Toi seul es Seigneur, Toi seul es le Très-Haut, Jésus Christ,

11
Cum Sancto Spiritu in gloria Dei Patris. Amen.
avec le Saint-Esprit. Dans la gloire de Dieu le Père. Amen.


Antonio Vivaldi
XX
XX
1 - Gloria in excelsis : Vous avez tous dans l'oreille les premières notes pétulantes du "Printemps" des quatre saisons. Le début du Gloria s'y réfère par son rythme saccadé des cordes. Et puis : sur le mot Gloria, Gloire, Glorieux, le chœur ne chante pas du bout des lèvres, non, il proclame avec énergie et fougue le Gloria, ce qui s'applique aussi aux instrumentistes. Vivaldi survolte le discours, mêle le staccato trépidant des cordes aux appels virulents des trompettes. Michel Corboz module avec agilité et contraste la ligne de chant. Aucune gravité sulpicienne comme l'on en entendra à l'époque romantique, mais un chant coloré par les lumières féériques venues des vitraux de la Basilique chauffée à blanc par le soleil vénitien.
2 - Et in terra pax (2':25") : Pax = Paix, recueillement dans l'esprit du compositeur. Vivaldi propose une somptueuse psalmodie du chœur avec un accompagnement des cordes seules qui scandent avec un délicat legato cet hymne à la sérénité entre les hommes exigée par les Écritures. Le chef suisse équilibre de manière émouvante le flot orchestral et la polyphonie vocale de ce long passage en forme de prière.
3 – Laudamus te (8':35") : La réunion de quatre versets en une suite de quatre verbes de louange offre à Vivaldi la possibilité d'écrire un air très lyrique pour duo de soprano, ici deux chanteuses : Jennifer Smith et Wally Staempfli (à l'époque, on recourait à des enfants). Tour à tour ou ensemble, les louanges sont chantées de manière réjouissante. Seul le latin permet d'affirmer que nous entendons une mélodie religieuse et non un air d'opéra.  Les cordes assurent quelques intermèdes gracieux entre les interventions vocales. Nous sommes bien après l'écoute de ce troisième passage en présence d'une œuvre dans laquelle Vivaldi explore toutes les fantaisies possibles dans le choix des combinaisons vocales et instrumentales.
6 – Domine Deus (12':15") : Encore un air, mais pour voix d'alto. L'introduction est une merveille avec un solo débonnaire du hautbois. Un simple continuo avec cordes graves et clavecin ajoute une touche de couleur à l'instrumentation du morceau. La voix très limpide de l'alto apporte une quiétude à ce passage en forme de voyage astral (normal avec le mot caelestis-ciel).
8 - Domine Deus, Agnus Dei (19':10") : Cette mélopée s'inscrit comme une œuvre dans l'œuvre. L'expression Agnus Dei fait référence à la dernière prière de la messe que l'on retrouve disséminée dans le Gloria, un chant de pitié et d'espoir. Rien d'étonnant que Vivaldi ait souhaité développer ce verset dédié à la miséricorde du Christ et proposer une nouvelle formation. Ce morceau méditatif commence par une sombre prière élégiaque du violoncelle soutenue par l'orgue positif. La partie vocale est de nouveau confiée à l'alto qui rencontre le chœur lors du développement. Encore un passage bouleversant avec un tempo favorisant la spiritualité inhérente au texte. Spiritualité ? La signature de la direction de Corboz… L'absence de l'ensemble des cordes renforce la priante intimité du propos. Vivaldi retrouve la profondeur cosmique du chant polyphonique de la Renaissance. 

Depuis 1974, ce disque n'a pris aucune ride par sa ferveur... Pour ceux qui recherche une interprétation sur instruments d'époque, à la limite de l'excitation opératique, le disque de Rinaldo Alessandrini est pour eux (Naïve - 5/6).
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L'enregistrement de Michel Corboz dans son intégralité suivi du du disque de Rinaldo Alessandrini.


7 commentaires:

  1. Très belle version que celle de Michel Corboz. J'ai écouté la version de Riccardo Muti de 1990 avec Teresa Berganza et Lucia Valentini, tu n'est plus dans la musique religieuse, tu te retrouve dans dans l'opéra pas comique ! Mais l'interpretation n'en est pas moins magnifique.
    J'aime bien la version d'Alessandrini que je ne connaissais avec son intérpretation du Stabat Mater de Pergolèse

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    1. Oui Muti, et ce qui est très curieux c'est qu'une étude comparée de 10 versions par le magazine Classica dudit Gloria ait placé cette version en premier !!!!! Je l'ai aussi écoutée, on pense à Cherubini ou à la grande messe en ut de Mozart jouée à la Scala de Milan............ Certes les musiciens sont excellents (techniquement) mais Vivaldi est un homme du baroque. Enfin je crois :o)

      Corboz est éliminé parce que trop "pâteux" alors de Vittorio Negri (excellent au demeurant) l'est vraiment plus et obtient le 2ème place...

      Quant à Alessandrini, il a un train à prendre ou quoi... ???? C'est de la musique sacrée bordel (pardon mon Dieu).

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    2. Cette fois je te tiens claude toon et pour mon bonheur j'ai retrouvé ta critique du Gloria de Vivaldi !

      Je ne suis pas d'accord : Alessandrini n'a pas de train à prendre et puis j'aime tellement la musique sacrée surtout italienne que j'aurais du mal à critiquer quoi que ce soit. Pour moi, rapide ou pas, on est dans le merveilleux. Et le merveilleux, c'est sacré. Continue...

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    3. Pour la remarque "Quant à Alessandrini, il a un train à prendre ou quoi", elle ne s'applique que pour l'introduction. Les tempos de toutes les autres parties sont tout à fait dans le ton de l'ouvrage...

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  2. Vivaldi ! Même ceux qui ont les oreilles bouchées (comment ça comme les miennes ??) aiment. La grande classe. On voyage.

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    1. Oui ! Il faut écouter le concerto pour mandoline et sont très connu Allegro

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  3. Si vous voulez toutes la magie de Vivaldi (chant, instruments concertants en tout genre, etc.) en une seule partition : Judith Triomphante. Un oratorio d'une incroyable diversité... La gentille Judih y coupe la tête de Holophèrne... Une affaire biblique dans l’ancien testament.

    Je n'ai jamais entendu mieux que l’enregistrement de Vittorio Negri à la fin des années 70.....

    Dispo sur Deezer : http://www.deezer.com/album/6492706

    Pas édité pour le moment mais plein d'occases à pris décent !!!! Que fait donc Decca qui réédite le must du catalogue Phillips.... ????

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