- Dites
M'sieur Claude, elle est bien jolie cette jeune femme Afro, mais pas de
compositeur mentionné sur la jaquette, nous sommes bien dans une chronique
classique ?
- Classique,
jazz et chant traditionnel africain puisque cette soprano nous vient d'Afrique
du Sud et chante indifféremment, et avec talent, Mozart Puccini ou des airs
folk en zoulou, en swahili…
- Un disque
qui ne s'adresse pas uniquement aux amateurs d'opéras purs et durs…
- Exactement
ma petite Sonia, l'exemple même du disque pour écouter quelques beaux airs classiques et d'autres standards de la culture Afro…
- Voix
d'Espoir si on traduit littéralement le titre. Cette chanteuse est restée
fidèle à son pays qui a tant maltraité la majorité noire…
- Oui, un
grand chemin parcouru pour Pumeza qui a connu les bidonvilles du Cap, la
violence, les balles perdues… Mais qui n'a pas renié ses origines…
Visite dans l'école de son enfance... |
C'est ma chère Maggy qui m'a fait découvrir cette
soprano au répertoire éclectique grâce à un article paru dans la revue anglophone Vocable… La chanteuse n'a pour l'instant enregistré que ce disque
mélangeant avec bonheur quelques airs d'opéras classiques de Puccini et Mozart
et des chansons dans diverses langues africaines ou encore des standards jazzy
en anglais.
L'histoire de cette chanteuse est romanesque (pas
forcément romantique). Elle naît en 1979 dans un township du Cap alors que
l'Apartheid atteint son paroxysme et que Nelson Mandela purge des dizaines d'années de
prison. Deux lieux de survie : sa baraque et l'école au bout d'un chemin
putride où, gamine, elle assiste aux règlements de compte dans une population
méprisée et poussée à bout par la misère et l'injustice. Un soir une balle frôle son
oreille, son visage se couvre de sang… De caractère volontaire, elle participe
aux marches de soutien à Mandela.
Pumeza a une étrange
passion dans son refuge : écouter la radio et rechercher les morceaux d'opéras
occidentaux qui sont diffusés sur une chaîne Classic FM plutôt fréquentée par
les blancs. Elle chante dans une chorale du ghetto : des chants traditionnels de
son pays et dans les langues locales.
1989 : Frederik de Klerk devient président et
fait libérer un an plus tard Nelson
Mandela détenu depuis 27 ans ! L'Apartheid va se terminer et Mandela accède au pouvoir en 1994. Entre temps Pumeza,
devenue une jeune femme, entre à l'Université. Sans formation musicale, on la
dirige vers les mathématiques… Mais elle essaye de suivre les cours du music college
du Cap, apprenant adulte le programme pour jeunes enfants ! Le compositeur
sud-africain Kevin Volans repère sa voix
chaude et miraculeuse. Il va la soutenir pour partir à Londres intégrer le Royal College of Music. En tout,
sept longues années d'études et une carrière qui commence tard, oui, mais à Covent Garden, le temple de l'art
lyrique (dans le cadre du programme pour jeunes artistes). Son premier rôle :
une fille-fleur dans Parsifal
de Wagner. En 2011, la chanteuse part rejoindre la
troupe de l'opéra de Stuttgart. Elle retourne souvent dans son pays pour agir en faveur de l'éducation musicale de…
TOUS !
Elle débute sur scène dans des rôles de plus en plus
ambitieux : Nanetta du Falstaff de Verdi, Annchen dans Der Freischutz de Weber, Mozart
bien entendu avec Susanna des Noces de Figaro, et Zerlina de Don Juan. Enfin
des premiers rôles : Pamina dans la
flûte enchantée et Mimi de
La Bohème de Puccini.
Elle entreprend une tournée aux côtés de
Rolando Villazón. Pour sa trentaine, Pumeza a atteint la consécration !! Pumeza, rescapée de l'enfer, rejoint la
légende des cantatrices Afro-américaine : Leontyne Price,
Katleen Battle, Barbra
Hendrix, Jessye Norman et aussi Sumayya Ali pour la nouvelle génération…
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Rolando Villazón, Pumeza Matshikiza et le chef Guerassim Voronkov |
Puccini et
Mozart
Pour ce premier album de 15 titres, Pumeza a retenu trois airs célèbres de Puccini et un de Mozart.
Deux compositeurs qui lui ont valu ses premiers succès sur la scène lyrique. Pumeza est accompagnée par l'orchestre
d'état de Stuttgart dirigé par Simon Hewett.
Le premier air est extrait de Gianni
Schicchi, l'un des trois courts
opéras du Triptyque : "O mio babbino
caro" (Ô mon cher petit
papa). Un air du personnage de Lauretta
implorant son père de la laisser épouser l'homme objet de son amour. Quelle soprano
ne l'a pas chanté ? Du Puccini
le plus pur. La voix surgit d'une mélodie évanescente des cordes et des harpes. Techniquement, rien
à redire. Le phrasé est articulé, la voix d'une justesse parfaite tangente le
mezzo, l'expression est bouleversante. Le rôle est un tantinet surjoué (mais moins
que par la diva® Angela Gheorghiu) et peut
encore gagner en tendresse juvénile (Ah Maria Callas…).
Une intro très prometteuse de Pumeza
par l'humanité et la chaleur de sa ligne de chant, qualités propres aux
chanteuses d'origine afro…
Poursuivons avec un air de Turandot, dernier
opéra du maître italien : "Signore, Ascolta". Un air chanté par Liu, la petite amie de Calaf, le prince qui va tomber amoureux
de l'énigmatique et cruelle princesse Turandot
(Clic).
Un vibrato subtil de jeune femme meurtrie, Pumeza
joue la carte de l'humilité sans maniérisme. Dernier air extrait de la Bohème "Donde lieta uscì"
: un chant d'adieu. Encore cette voix limpide, Mimi accepte de se séparer de Rodolfo
et la chanteuse incarne avec simplicité cette résignation sans accents
déchirants qui seraient sans fondement.
Pour conclure le registre classique : l'air célèbre de
Zerlina de Don
Giovanni de Mozart
"edrai,
carino, se sei buonino". Un chant mozartien clair, sans
emphase. Oui bien sûr, certains auront dans l'oreille la souplesse ductile
d'une Lucia pop à la voix plus
colorature, en un mot incomparable et jamais égalée dans Mozart.
Je me dois même d'écrire "il n'y a
pas photo". Mais je ne suis pas de ceux qui vénèrent le passé, se
prosternent devant les grandes voix historiques. Sinon on n'enregistrera plus
jamais rien et la musique deviendra un patrimoine de prouesses passées. Je
l'aime bien moi cette petite Zerlina
à la voix chaude et tendre !
Chants
traditionnels
Dans les titres du folk sud-africain, Pumeza ne pouvait faire l'impasse sur les
hits chantés par le passé par sa compatriote et aînée Miriam
Makeba.
Petit retour sur une grande voix du combat contre
l'apartheid : Miriam Makeba née en 1932 verra les nationalistes Afrikaners
gagner les élections de 1948 et
mettre en place l'apartheid. Pour les afros, le cauchemar absolu commence. Sa
mère emprisonnée, son père mort, la jeune fille qui s'appelle encore Zenzi Makeba survit de petits boulots
ingrats. Elle aime chanter et décide de mettre son talent au service du combat
contre l'iniquité. Deux chansons vont la propulser sur le devant de la scène : Pata
Pata et Thula baba. Elle
tourne dans un film antiapartheid. C'en est trop. Elle va purger 31 ans d'exil de la Guinée à
la France en passant par l'Algérie. La chanteuse continuera la lutte jusqu'au
début des années 90, date à laquelle Mendela
lui demande de revenir dans son pays natal. Miriam
Makeba se fera connaître en occident dans
un genre qui mêle jazz et folk. Pendant sa carrière d'exilée Miriam chantera souvent dans les langues
autochtones telles le zoulou et le swahili.
Après Puccini,
Pumeza enchaîne sur Thula
baba. Une berceuse en langue Xhosa et Zoulou. L'orchestre
symphonique de Puccini laisse place à un accompagnement
"de genre" : un orchestre allégé avec des arpèges cristallins de
harpe. Un phrasé chaloupé, langoureux. Quelle douceur et quelle tendresse. Pumeza confirme son aptitude à produire
des aigus d'une justesse et d'une finesse qui enchantent. Tout vibrato justifié
dans l'art lyrique disparaît dans ce traditionnel où la voix se doit de rester
naturelle, une voix du quotidien même si le timbre se veut magique…
À l'écoute, on admire cette fabuleuse capacité de Pumeza à changer de timbres suivant qu'elle chante Mozart ou des musiques plus africaines où un registre plus guttural et nasal est de mise. Sa tessiture étendue lui permet ainsi de descendre dans un registre de Mezzo dans des chansons folk (pour ne pas dire ethnologiques), là où la meilleure des sopranos coloratures risquerait de faire pâle figure (je parle de chanteuse d'origine caucasienne).
Merci à Decca de nous fournir le texte en phonétique
accompagné de sa traduction en français (déjà que mon anglais est minable,
alors le zoulou…)
Tout le monde a en tête Pata Pata, le
succès planétaire de Makeba
de 1950. Pour cette chanson très
rythmée, un soupçon jazzy, les djembés et maracas et autres instruments
d'origine africaine s'allient à quelques cordes, essentiellement des violons
volubiles. Pata Pata est le nom d'une danse Xhosa qui en anglais peut se
traduire par "Touch touch"… Tout un programme ! On retrouve ce chant
détimbré, non opératique, et puis ces claquements de langues incroyables que
peut produire la chanteuse sans interrompre sa ligne de chant. Une percussion
vocale à elle seule. Il existe une vidéo dans laquelle, dans une franche
rigolade, Pumeza apprend cette
technique étonnante à Rolando Villazón. En professionnel pointu du chant,
le ténor apprend en moins d'une minute à maîtriser au mieux, mais essayez sans arrêter
de chanter… Ben, il y a un truc. Quel peps, on se prend à taper du pied ou, pour
les plus aventureux, à se trémousser sans trop connaître les pas…
Une contrebasse en pizzicati, de nouveau des maracas…
l'univers du jazz ? Oui ou de la grande tradition du chant afro US. The
naugty little flea (la vilaine petite puce).
Encore un succès, mais en anglais cette fois-ci, de Miriam
Makeba et de 1950… C'est tout aussi farfelu que le "chant de la
puce" dans la Damnation de Faust de Berlioz (La puce a un rôle important dans
l'art musical !). Nouvelle langue dans cet album, nouveau style, nouveau moment
joyeux.
Un album de 15 titres à découvrir pour ceux qui aiment
la rencontre des genres, la volubilité de la musique africaine, l'émotion des
mélodrames véristes. En un mot, une réussite totale.
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Thula baba puis O mio babbino caro, un air de Puccini. Après : l'extrait d'une émission de Arte dans laquelle Rolando Villazón a invité Pumeza à chanter un traditionnel... Les claquements que vous entendrez viennent bien de la bouche de la chanteuse... si, si !
Elle a tous pour elle, non seulement elle est très belle et en plus elle a une voix....magnifique ! Plus proche quand même de Barbara Hendricks que de Léontyne Price dans les cantatrices Afro-américaine que tu as cité. J'ai farfouillé dans ses vidéos et j'aurais bien voulus la trouver dans l'aria de Ännchen ("Einst träumte meiner") dans Le Freischütz de Weber, dommage, il n'y est pas ! un air qui lui va comme un gant vu sa texture de voix. Pour info que je viens de trouver, un deuxième album sort en juin !
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