lundi 18 mai 2015

LE BLUESMAN BB KING EST MORT (1925-2015)

BB KING
Le roi est mort, vive le roi !


     Le nom de B.B King évoque à lui tout seul la musique blues. Beaucoup de bluesmen ont marqué la musique, et les esprits, à commencer par les deux autres « rois » Albert King et Freddy King. Mais par sa longévité, sa jovialité, sa popularité, B.B trônera définitivement sur cette musique qu’il a largement contribué à faire connaître.

     De son vrai nom Riley B. King, il naît le 16 septembre 1925 dans une plantation de coton, à Itta Bena, Mississippi (1). Et ce qui aurait pu faire partie de la légende, n’en est pas une. Ses parents, métayers, logent dans une bien modeste cabane (où le jour et la pluie pouvaient passer entre les planches), et le petit Riley a réellement ramassé le coton, dès ses 8 ans et ce, jusqu'à pratiquement  18 ans. Premier salaire : 35 cents pour 50 kilos de coton cueilli ! Un point commun avec beaucoup de futurs confrères, comme Muddy Waters. Et quotidiennement, il marche près d'une dizaine de kilomètres pour se rendre à l'école.

     Il découvre le Blues en écoutant des disques de Blind Lemon Johnson, Lonnie Johnson et T.Bone Walker.
Comme de nombreux bluesmen, Ben E. Riley apprend le chant par le Gospel. Sa mère l'initie en lui faisant chanter des spirituals dès 4 ans. Puis intègre le St. George Gospel Singers.
A côté, Il gratte un peu de guitare (que lui aurait offerte son cousin "Bukka" White (2)). Il achète à crédit sa première guitare à l'âge de 14 ans, une Stella trois-quarts pour 15 dollars, ce qui correspondait à la totalité de ses revenus mensuels. Son apprentissage se fera à Memphis (ville en perpétuel bouillonnement musical), où il se rend en stop en 1947 (ou en 1946, suivant les biographies), avec sa guitare sur le dos et pas un dollar pour changer ses cordes (il n'en restait que 4).  Enfin, précisément, il part avec 2,50 $ en poche. Un départ précipité parce qu'il venait d'accidenter le tracteur de son employeur (apparemment, un problème d'auto-allumage... signe du destin ?) et qu'il craignait d'affronter sa colère, d'autant plus qu'il n'aurait pu payer les réparations. Il retrouve donc à Memphis son cousin "Bukka" White (autre musicien de renom) qui l’héberge dans son modeste  logement, et lui donne des cours de guitares. Un peu plus tard, dans cette ville où foisonnait les bluesmen, il rencontra - ou croisa - Elmore James, Howlin' Wolf, Sonny Boy Williamson et Robert Lockwood (peut-être le premier à utiliser une électrique dans le Blues). Ce dernier lui enseigne à corriger ses défauts, ses mauvaises habitudes. Lockwood dira : "son tempo ne valait rien, et j'ai eu du mal à lui apprendre".

B.B., 23 ans, 1948.
     Lors de ses moments libres -  il est alors chauffeur de tracteur - il chante et joue où il peut, parfois dans la rue. Il flâne souvent dans Beale Street (d'où l'appellation les "Beale Streeters" pour les jeunes qui y traînent). Parfois, il participe à des soirées régies par Rufus Thomas au Palace Theater.

     Son premier pas vers le showbiz, il le fait en participant à l'émission de radio de Sonny boy Williamson (sur KWEM), puis en officiant régulièrement à la radio (W.D.I.A., la première radio "Noire" du Sud) comme DJ. Son pseudo radiophonique est Beale Street Blue Boy, rapidement raccourci en Blue Boy, initiales : BB (comme disait l'autre...). Un temps écrit : Bee-Bee KingC'est à cette époque qu'il commença sa collection de disques qui atteindrait les quelques 30 000 pièces. C’est comme chanteur qu’il est engagé, et rapidement reconnu, par sa voix puissante et chaude. Entre quelques disques qu'il présente et passe en écoute, il chante et joue en direct. Après la guerre, un copain lui ramène de France des disques de Django Reinhardt. Et BB King découvre que la guitare peut être davantage qu’un simple accompagnement pour le chant, elle peut en être le prolongement. Il s’efforcera donc de pratiquer ardemment la guitare, écoutant religieusement Charlie Christian (il est séduit par les grands orchestres de Swing, dont celui de Benny Goodman) et T Bone Walker, glissant progressivement du gospel au blues. Pendant toute cette période, il reste ouvrier agricole pour gagner sa vie. Fort de sa curiosité et de sa soif de Blues, de Gospel, de Jump, de Swing, de Jazz, sous diverses formes, B.B. King crée un style propre (bien qu'encore bien imprégné de T.Bone Walker). Un brouet d'où naît un Blues urbain, clinquant et riche. Un Blues qui sera désormais souvent copié, pas toujours de façon heureuse...

     C’est à Memphis qu’il réalise son premier 78 tours, avec "Miss Martha King" (en l'honneur de Martha Lee Denton, épousée prématurément la nuit du 11 mai 1946) en 1949 (enregistré au studio "A" de la radio WDIA et pressé par Bullet Records). En 1950, il obtient un contrat avec RPM, label de Los Angeles et filiale de Modern, tenue par les frères Bihari. Il enregistre en 1951 une série de singles - dont  "Three o’clock blues" (1951) son premier hit - à Memphis (dans le futur studio Sun) produit par Jules Bihari, avec l'aide de Sam Philips (qui lancera Elvis Presley) ou celle d'Ike Turner. Par la suite, Bihari le fait enregistrer à Houston, Texas,  (« Please love me », 1952 ou 53), puis directement à Los Angeles "You upset me Baby" (1953), "Wake up this morning", "Sweet sixteen", "Eyesight to the blind", "Everyday I have the blues" (1955 - reprise de Memphis Slim) "Sweet little angel" (1956), "Rock Me Baby" (1958) . En 1957, une part de ce catalogue fera l'objet d'un premier 33 tours : "Singin' the Blues" (édité par le label Kent). Des chansons qui font désormais partie du patrimoine du Blues.

     C’est en  1949 que se produit un autre épisode de la légende : alors qu’il joue dans un bar, une bagarre violente éclate, un poêle se renverse, le feu se répand, musiciens et clients évacuent les lieux. B.B a oublié sa guitare à l’intérieur, et sachant qu’il n’aurait pas de quoi s’en racheter une d’ici un bon moment, il replonge dans le brasier pour la récupérer. Apprenant que la femme à l’origine de la rixe s’appelle Lucille, il baptise sa guitare du même prénom. Prénom qu'il gardera pour toutes ses guitares suivantes, afin, d'après ses dires : "de se souvenir de ne plus refaire quelque chose aussi insensé"
Et donc, la "Lucille", première du nom, n'est pas une Gibson ES-355, ni même une Les Paul Gold Top, ni une Fender Esquire (présente sur ses premiers enregistrements) ou une L-5CES (que l'on voit sur certaines pochettes de ses premiers vinyles), mais une Gibson acoustique équipée d'un micro. Ce n'est qu'au début des années soixante qu'il adopte la ES-355TD, version haut-de-gamme des demi-caisses Gibson, équipée d'un Varitone. Inverseur à 6 positions permettant de splitter les humbuckers (innovant pour l'époque) et de jouer en stéréo. Pour limiter les risques de larsen, B.B. la bourre de chiffons par les ouïes. Dans les années 80, Gibson lui confectionne un modèle signature qui, tout en gardant un corps creux, n'a désormais plus ses ouïes en "f". 

Avec Albert, et deux jeunots...
     BB King commence une tournée interminable aux États Unis, en bus s’il vous plait, avec l’orchestre bien sapé, des pros qui ont des connaissances avérées en musique, alors que BB est un autodidacte, ce qui ne sera pas sans poser quelques problèmes, et qui explique que BB King joue essentiellement sur la gamme pentatonique, bien qu'il sache lire la musique, sans être un lecteur émérite. Illustration que cette musique est davantage basée sur le feeling, le ressenti, que sur la technique et la virtuosité. Pourtant, indéniablement, il a créé un style (qui découle de Lonnie Johnson, Charlie Christian et T.Bone Walker), qui est étudié dans les écoles de musiques américaines. Je me souviens d'un documentaire (avec le groupe U2 ?) où pour jouer un morceau, il demande la présence d'un guitariste rythmique, parce que "je ne sais pas jouer en accords"...

BB King passe aussi bien dans les salles de concerts cossues que dans les juke joint infâmes, le Chitlin' Circuit. Il ne quittera plus la route, always on the road et nothing but the Blues !

     En 1964 il sort un des plus célèbres enregistrements de blues : « LIVE AT THE REGAL » (clic). Il faut s’arrêter un moment sur cet album, court (38 minutes) qui est un sommet du genre, enregistré devant un public noir chaud bouillant, hurlant, vociférant, approuvant chaque mot chanté par BB. Des morceaux courts, mais enchaînés les uns aux autres, formant de longues plages intenses, magnifiques, au swing redoutable. Point de démonstration virtuose ici (d’ailleurs dans aucun album) mais une communion de pensée entre un artiste et son public, issus de la même communauté, une ferveur que l’on peut retrouver sur les concerts de James Brown à l’Apollo.

     Il sera choisi en 1969 par les Rolling Stones pour assurer leur première partie (Ike et Tina Turner seront aussi du voyage) pour la tournée « Get Yer Ya Ya’s out », et la même année il sort un autre tube planétaire, le miraculeux et sublime titre «Thrill is gone », un tempo lent, binaire, délicatement enrobé de violons, devant lequel je défie quiconque de ne pas frissonner de bonheur.
En 1974, pour les festivités précédents le fameux combat de boxe entre George Foreman et Cassius Clay-Mohamed Ali coordonné au Zaïre, les organisateurs convient des artistes afro-américains qu'ils considèrent comme les plus populaires du moment (et qui sont aptes à faire le déplacement). Ainsi, B.B. King (avec James Brown, et quelques autres dont Bill Withers) réalise à Kinshasa un concert dans un stade devant 50 000 personnes.

     Riley B. King, c'est 250 concerts par an (3), à travers le monde (j'ai eu le bonheur de le voir à la fin des années 80) près d'une cinquantaine d'albums, dont de nombreux Live, enregistrés notamment en prison (euh... il y était en visiteur...) des concerts qu'il donnait gratuitement, dans les lieux désolés, pour les exclus, ayant toujours à l'esprit des valeurs de partage et de dévouement. 

     Sans vouloir sombrer dans le larmoyant, il faut expliquer que le jeune Riley a perdu sa mère quand il avait 9 ans, elle est quasiment morte sous ses yeux, lui faisant promettre de célébrer les valeurs qu'elle lui avait transmises. Riley a évidemment souffert de cette absence, de cette amour maternelle, et a toujours voulu être reconnu, apprécié, entouré (il a eu 13 enfants !) aimé. D'où ce foisonnement de prestations. Il va là où on le réclame. On ne compte plus ses innombrables participations à des festivals, concerts,  disques hommages, duos, y compris avec des artistes issus du monde du rock (et qui tous le considèrent comme un père spirituel). Il aura croisé le fer avec Gary Moore, les Stones, et Clapton (la célèbre jam de 1967, et le disque réalisé en binôme : "Riding with the King"), ainsi que des participations à son festival CROSSROADS en faveur des intoxiqués de la seringue. En son temps, il avait jammé aussi avec Jimi Hendrix, et on se souvient que c'est à ses côtés que le jeune Johnny Winter était monté sur scène la première fois, osant solliciter de son idole une jam impromptue. On peut rajouter Elton John, Jeff Beck, Tracy Chapman, Ray Charles, U2, Derek Trucks, et même Bruce Willis, et...  Pavarotti

     BB King était (et restera) certainement le bluesman le plus populaire, qui, des rives du Mississippi aux palaces de Montreux (en passant par Moscou !), en vieux bus, ou en Cadillac, a perpétué cette idée d'une musique festive et engagée, tout en rondeur, swing, décontraction, humour, grivoiserie, mimiques et grimaces, déhanchements subjectifs... Son jeu est limpide, quelques notes, beaucoup de silence, à l'économie donc, et ce célèbre vibrato de la main gauche sur le manche, ces questions/réponses entre son chant et sa guitare, quasiment brevetée "Gibson Lucille Ebony". Un vibrato singulier, qui a depuis fait école, réalisé en déplaçant l'index de la main gauche par de petits mouvements en travers de la corde (et non sur la longueur), qu'il a créé en cherchant à reproduire la technique de la slide mais sans bottleneck (soit comment approcher le son du cousin "Bukka" sans utiliser de bottleneck). Un jeu à l'économie où chaque note à son importance, où pratiquement chaque note est jouée avec intensité et valorisée.
Un journaliste de la presse musical écrivit que sur scène, BB King chantait et faisait chanter Lucille. L'intéressé considéra cela comme l'un des plus grands compliments qu'il eut jamais reçu. Effectivement, depuis ses débuts, B.B. avait toujours travaillé son jeu afin qu'il soit le plus expressif possible. Qu'il puisse chanter donc, mais aussi crier, pleurer, bref émouvoir. Sans avoir besoin de déballer un torrent de notes. 
"Quand je chante, je joue dans ma tête. Et dès que j'arrête de chanter, Lucille prend le relais et chante à son tour"

     B.B. King doit être le Bluesman le plus récompensé avec 15 Grammy Awards remportés de 1971 à 2009, plus un Grammy Lifetime en 1987 et un Grammy Hall of Fames pour "The Thrill is gone" en 1998. sans oublier les nombreuses récompenses honorifiques : introduction au Blues Hall of Fames en 1980, au Rock'n'Roll Hall of Fames en 1988, docteur honoraire en musique à l'université Brown en 2007, médaille présidentielle de la Liberté en 2006, National Medal of Arts en 1990, Prix Polar de l'Académie Royale de musique de Suède, des diplômes honorifiques d'universités prestigieuses (tels que Berklee, Brown, Rhodes et Yale). A indianola, où Il existe d'ailleurs un "B.B. King" Museum, il est célébré annuellement le "B.B. King Homecoming".

     A l'âge de 80 ans (il y a 9 ans, donc) il avait commencé une tournée d'adieux, qui à l'instar d'un Bob Dylan ou d'un Charles Aznavour, n'avait aucune date de fin de programmée... Maintenant si. Il devait être au Japon ces jours-ci, mais ses soucis de diabète l'avaient contraint à se faire soigner, à Las Vegas, où il est décédé ce 14 mai 2015.



  Sélection d'albums : 
Nous en parlions sur ce blog, en 1976 sort "BB King & Bobby Bland : Together again... Live" 1976 (lien), un disque de chevet, puissant, rugissant, sensuel, renversant ! 
"King of the Blues" 1960
"Live At The Regal" 1964  (lien)
"Blues on Top of Blues" 1968
"Completely Well" 1969
"Live In Cook County Jail" 1971
"Live At San Quentin" 1991
"Live at in Appolo" 1991
"BB KIng Gold" - Best Of - (en double CD avec 34 titres) ou le coffret "King of the Blues" avec 4 CD couvrant toute sa carrière de 1949 à 1991 (77 pièces de choix).

(mais parmi ses préférés, B.B. aimait à citer "Indianola Mississippi Seeds" où l'on retrouve Joe Walsh et Leon Russell)

(1) Dans la même circonscription qu'Albert King, ainsi que James Cotton, Jimmy Reed, Ike Turner, Muddy Waters, Son House, Skip James, Sonny Boy Williamson, et bien d'autres.
(2) il a parfois été écrit qu'il lui avait également donné sa première guitare à l'âge de 9 ans.
(3) En 1956, il réalisa un record de 342 dates dans l'année !

Trois classiques de BB, "The thrill is gone" et un meddley en duo avec son compère Bobby Bland, "Sweet sixteen" un de ses premiers hit, et l’inusable "Everyday I have the blues" ici sur un tempo survitaminé !



2 commentaires:

  1. Bel hommage, tout est dit. Pour le documentaire où on le voit avec le groupe U2, il s'agit de "B.B. King, the Life of Riley". Le documentaire a été rediffusé samedi dernier sur Arte.

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    1. Merci de la précision, Knud. A noter que la petite chaine TV i-concert diffuse un concert de BB King (récent) en ce moment, dont samedi soir, et que j'ai évidemment regardé religieusement !

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