jeudi 26 février 2015

ARISTIDE BRUANT : LE POÈTE DE L'ARGOT - par Pat Slade







Aristide Bruant un enfant de la butte ?





Je dois l’avouer, je voulais titrer cette chronique : «Aristide Bruant un fils de butte»(*), mais pour ne pas être vulgaire et respecter ce monstre de la chanson populaire française qu’était Aristide Bruant, je me suis ravisé au plus vite pour ne pas avoir à subir les foudres de la censure et le mécontentement de certains lecteurs (Ce qui aurait été compréhensible et justifié). De toute manière cela aurait été faux puisque Aristide Bruant est né à Courtenay dans le Loiret en 1851 et non à Paris et plus précisément sur la butte Montmartre, l’endroit qui fera sa célébrité. Issue d’une famille bourgeoise, il fera des études jusqu’à 17 ans, ce qui était assez exceptionnel pour l’époque. Il décrochera des premiers de prix de Grec, de Latin, d’histoire et de musique vocale (le chant ?).
- Enfin M'sieur Pat, un homme comme vous, aussi cultivé, aussi raffiné, quelle idée !!!
- C'est bien pour cela, ma petite Sonia, que j'ai changé mon titre, par souci de raffinement en effet...

XXXX
Suite à  des problèmes d’argent, en 1863 la famille Bruant quitte Courtenay pour Paris, et plus exactement pour le quartier de Ménilmontant. Commence une course poursuite contre les divers créanciers. Son père décide qu’il est en âge de travailler et le place comme avoué (Juriste). C’est Aristide qui fait chauffer la marmite chez les Bruant. Mais les déménagements successifs pour fuir les huissiers et autres débiteurs lui feront changer souvent de métier, il sera ainsi apprenti-bijoutier. Il suit ses parents et traîne dans les gargotes et les cafés pour ouvriers où il fréquente une faune qu’il ne connaissait pas, il écoute les palabres des consommateurs et commence à apprendre leur jargon : l’argot.

En 1870, à l’âge de 19 ans, il est engagé comme franc-tireur dans l’armée de Napoléon III. Démobilisé un an plus tard, il entre au service de la compagnie des chemins de fer du Nord. Tout en regardant vivre  ses compagnons de labeur, il approfondit ses connaissances de l’argot, fait des recherches sur les origines de ce langage en remontant jusqu’à François Villon. Dès lors, il se met à composer des chansons, mais ses premier vers seront tendres et l’argot n’aura pas encore sa place. Vers 1873, il s’essaie à la scène des cafés-concerts à Nogent, mais si vous l’aviez croisé à cette époque, vous ne l’auriez pas reconnu. Il joue sur la carte du dandysme, jaquette noire, pantalon «bois de rose», gilet à ramages, souliers vernis et chapeau tube. Sa voix forte, sa verve, son allure ne passe pas inaperçu, il commence à écrire des chansons dans un style que le peuple de la rue et la classe laborieuse comprendra. Le style Bruant est lancé ! Je tenais à préciser qu'Aristide Bruand s’écrivait avec un D et c’est à cette époque qu’il remplacera cette lettre par un T.





Aristide Bruant créateur prolifique et homme d’affaire





Il démissionne des chemins de fer pour se consacrer à la chanson. Il fait un service militaire express au 113e de ligne à Melun qui ne durera que... 28 jours. Il en profite pour écrire quelques textes comme «V’là l’cent treizième qui passe !» tout en continuant à se produire dans divers caf’conc’ avec succès. Il change d'allure : le sombrero, les bottes et l’écharpe sur l’épaule, et en guise de manteau une immense cape noir. Son apparence sera aussi son fond de commerce. En 1881, il rentre au cabaret du «Chat Noir» au 84 boulevard Rochechouart tenu par Rodolphe Salis. Il crée ses chansons les plus populaires, mais ce n’est pas encore la fortune, c’est plutôt la vie d’artiste, de bohème. Le «Chat Noir» n’est pas un couvent de bonnes sœurs ; un soir, au cour d’une rixe, des voyous tuent un serveur et blessent Salis qui ira chercher protection dans un quartier plus sûr. Bruant en profite pour reprendre l’ancien local et monter sa propre affaire «Le Mirliton». Il confiera la décoration à ses amies Théophile Steinlen (à qui on doit l’affiche du Chat Noir) et à Henri de Toulouse Lautrec (un nain connu !)
Le soir de l’inauguration il n’y a que… trois clients ! Complètement dépité, Bruant leur envoie une volée de bois vert à sa manière et ce sera de cette manière qu’il accueillera les clients, un style très particulier qui fera sa renommée. Tous les soirs, cela devient une règle : les spectateurs sont accueillis par des épithètes ordurières et des plaisanteries scabreuses débitées par Bruant
A croire que les snobs, les bourgeois et certains grands de ce monde, comme un grand duc russe ou le prince de Galles en personne, qui viennent s’encanailler dans son cabaret prennent plaisir à ce faire houspiller par le maître de céans : «Tas de cochons ! Gueules de miteux ! Tachez de brailler en mesure. Sinon fermez vos gueules». Tout le monde en prend pour son grade et les dames en crinoline n’étaient pas non plus oubliées quand il les traitait de «Pimbêche» ou de «Vieille vache».  Il se donne le titre de chansonnier populaire et financièrement les choses s’arrangent. Il rencontre un certain Georges Moineaux, plus connu sous le nom de Courteline. Il crée un journal qui portera le même nom que son cabaret «Le Mirliton». Ce dernier paraîtra entre 1885 et 1894, un bimensuel qui deviendra un hebdomadaire illustré par Tréclau et Jean Caillou qui ne sont autres, respectivement, que Toulouse Lautrec et Théophile Steinlen. Parmi les pigistes et collaborateurs du journal, on peut trouver les noms de Courteline et Alphonse Allais.

Avec la gloire, la fortune le récompense de ses efforts ! Rien qu’avec ses cachets et les droits d’auteurs de «Nini Peau d’Chien», il peut s’offrir un château à Courtenay, la ville qui l’a vu naître. En 1895, il cède la direction du «Mirliton» à son pianiste Marius Hervochon en se réservant la moitié des bénéfices. Ce dernier changera alors de nom et deviendra «Cabaret Bruant» qui vivra quelques temps sur sa lancée, mais l’insuffisance du spectacle et surtout un "faux" Bruant qui n’a du vrai que le costume, n’attire plus que les provinciaux et les étrangers. Une affaire commerciale qui tiendra tout de même jusqu’en 1958.





L’agilité du lapin




Aristide Bruant part en tournée en France et à l’étranger (en Afrique notamment). Il se retire peu à peu de la chanson pour se consacrer à l’écriture et à la fructification de son capital. En 1899, il prend la direction de la salle «Le Grand Concert de l’Epoque» qui plus tard deviendra le «Concert Pacra», il revendra la salle agrandie et transformée en théâtre en 1905. Il retourne à Courtenay ou il achètera domaine, ferme et hectares de terre, et élèvera son fils dans le culte de la religion et de l’armée, ce qui est surprenant de la part de l’auteur de «Biribi» avec ses couplets franchement anticléricaux. Il écrit 11 romans populaires ou patriotiques comme «Les bas fonds de Paris» ou «L’Alsacienne». 

Le Père Frédé
A Paris, il était un client régulier d’un cabaret de Montmartre nommé «Le Lapin Agile» tenue par une certaine Berthe Sébource et sa fille Marguerite (future épouse de Pierre Mac Orlan). Elles sont rejointes par Frédéric Gérard dit «Le père Frédé» une figure pittoresque de Montmartre, vendeur de produits de quatre saisons avec son âne Lolo. La ménagerie du «Père Frédé» suit au «Lapin Agile» ; soit : un singe, un chien, un corbeau et des souris blanche.
Lorsque le bâtiment est promis à la démolition en 1913, Aristide Bruant le rachète et en laisse la gérance à «Frédé». «Le Lapin Agile» devient rapidement une institution Montmartroise et cela jusqu’à aujourd’hui.

La mort de son fils en 1917 à l’attaque de Craonne, laisse Bruant dans un profond désarroi.  Il sortira de sa retraite pour une série de concerts au théâtre de l’Empire du 21 novembre au 4 décembre 1924. Sa santé se détériore rapidement et il décède deux mois plus tard le 10 février 1925 à Paris d’une angine de poitrine. Il a 74 ans.

Aristide Bruant le poète de l’Argot, sa présence sur scène et sa voix rauque en font un monument de la chanson française populaire, une chose qui n’existe plus de nos jour.



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