PESTE
& CHOLÉRA est présenté comme un roman. En réalité, c’est une biographie romancée,
ayant comme héros le médecin Alexandre Yersin (1863-1943). Et comme la vie de
ce type est elle-même un fabuleux roman, on s’y perd un peu ! Ce qui
compte, c’est que ce bouquin soit vraiment formidable.
Alors,
qui est ce bonhomme ? Alexandre Yersin est d’origine suisse (naturalisé
français plus tard), il est médecin, finit ses études à Paris, et entre à l’institut
Pasteur en 1886. Il reçoit l’enseignement du grand Maître, travaille
avec Emile Roux, Albert Calmette, autres biologistes de l’équipe pasteurienne. Yersin travaille
sur la tuberculose, la diphtérie, et alors que l’avenir lui souriait derrière
ses paillasses, le voilà qui se pique d’aventures, pour suivre l’exemple de son idole, le médecin et explorateur David Livingston (I presume que vous connaissez…).
Alexandre
Yersin va choisir de s’installer en Asie, et devient d’abord médecin des
Messageries Maritimes, entre Saigon et Manille. Prétexte pour voyager,
découvrir l’autochtone, mais surtout cartographier des territoires entiers. Car
Yersin s’intéresse à tout : la biologie, la botanique, l’agriculture, les
mathématiques, la mécanique, l’astronomie. Il mesure, il pèse, compare, croise, greffe,
bricole. Il s’installe à Nha Trang (la photo ci-contre est son labo, dans sa maison), vit en reclus, refuse les honneurs, les
pinces-fesses, mais sera toujours soutenu par la bande à Pasteur, qui plaide en
sa faveur auprès de l’Etat pour le doter de subventions.
C’est
Yersin qu’on envoie à Hong Kong en 1894
lors de l’épidémie de peste bubonique. Il se retrouve en concurrence avec les japonais,
et l’institut Koch, il n’a que sa bite et son couteau (ou presque) et c’est
justement ce qui va lui rendre service. Quand les autres travaillent avec du
matos de pros, des étuves à 37°C (température du corps humain), Yersin lui,
travaille à température ambiante, il n’a pas le choix. Et bingo ! Il isole
le bacille, fabrique le sérum (oublie de déposer le brevet), et repart en ballade,
explore les jungles, monte un village entier, plus tard un sanatorium à Dalat,
recrute et forme ses assistants parmi la population locale.
Copain
avec un certain Édouard Michelin, il importe l’hévéa, l’arbre à caoutchouc, l’acclimate,
en sort la gomme qui servira aux pneus. Aux pneus de vélo, entre autre, puisque Yersin serait aussi copain avec un certain Armand Peugeot... On raconte même qu’il a créé la formule
du Coca-Cola sans le savoir, en mélangeant de la Coca importée d'Amérique du Sud, et de la cannelle (pas de brevet déposé non plus...)…
Après la première guerre, il développe la cinchonas en Indochine, et produit de la quinine, contre
le paludisme.
A
la toute fin de sa vie, Yersin se met à étudier le phénomène des marées !
Il a 80 ans.
C’est
l’écrivain Patrick Deville qui nous raconte la vie trépidante d’Alexandre
Yersin, et une grande partie de la réussite du livre tient dans le style
employé par l’auteur. Il ne se contente pas d’énumérer des faits, des rencontres, des
dates. Il opte pour la construction romanesque (le parallèle avec 1940, quand Yersin quitte une dernière fois une France occupée par les Allemands) et manie les
mots avec délectation. C’est merveilleusement bien écrit, c’est vif, érudit mais jamais sentencieux
ni pompeux, car souvent drôle et cocasse. Quel bonheur de se sentir à la fois diverti et moins con quand on referme un bouquin !
Editions Seuil, 224 pages. Sorti en "Points" Poche en 2013.
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