- Tiens M'sieur Claude, musique New Age aujourd'hui, ça vous change de la musique classique…
- Heuu oui… Le
morceau que vous entendez est de Beethoven ma petite Sonia…
- Tiens, c'est curieux, cette
musique très douce aux cordes seules me fait penser à de la musique contemporaine
comme Ligeti, un peu Vangelis aussi…
- Oui, c'est un adagio étonnant écrit
par Beethoven après qu'il a failli passer de vie à trépas au milieu de la
composition de son 15ème quatuor…
- Une sorte de prière donc, de chant
du cygne métaphysique en somme ?
- Eh bien ma belle Sonia, c'est cela
! Travailler au blog vous a ouvert des horizons culturels nouveaux… On va réfléchir
à vous proposer d'autres responsabilités…
Évoquer le Quartetto Italiano
revient à parler de facto des quatuors
de Beethoven et plus particulièrement de
l'intégrale que l'ensemble réalisa entre les années 1967 et 1975. Ce n'est
bien entendu pas la seule version culte, mais il y avait une symbiose
particulière entre ce compositeur, qui révolutionna le genre au début du
romantisme, et ces quatre musiciens.
C'est en 1945,
dans une Italie qui panse ses plaies du fascisme, que trois jeunes artistes de
l'académie musicale de Sienne se côtoient et décident de créer le Nuovo Quartetto Italiano
qui perdra le préfixe Nuovo
vers 1950. Jusqu'en 1947, l'alto sera tenu par Lionello Forzanti qui les rejoint, puis Piero Farulli reprendra le flambeau. Le
quatuor va conserver sa complicité pendant 30 ans, jusqu'en 1977, date à laquelle Dino
Asciolla occupera le poste d'alto jusqu'en 1980 qui marquera la dissolution de l'ensemble.
Une complicité aussi longue a permis à ce quatuor
d'atteindre une grande pureté de jeu. Hormis quelques associations
exceptionnelles avec d'autres virtuoses comme Maurizio
Pollini (quintette
de Brahms, une gravure de référence en 1974), le Quartetto
Italiano va se concentrer sur l'immense répertoire pour leur
formation : Beethoven, Mozart, Schumann,
Brahms et Webern.
Soucieux de suivre les enseignements de leurs aînés, les
quatre musiciens profiteront d'un récital à Salzbourg pour rencontrer Wilhelm Furtwängler qui leur conseillera
d'oublier tout académisme au bénéfice d'une grande liberté dans leurs choix
interprétatifs ; ce que le vieux maestro savait si bien faire… Rencontre
inestimable et à l'évidence conseil appliqué tant leur discographie témoigne
d'une grande virtuosité certes, mais surtout d'une expressivité qui les a fait
entrer dans la légende comme le quatuor Busch dans la première moitié du XXème siècle…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Gravure de Joseph Teltscher représentant Beethoven sur son lit de mort |
Saut dans le temps en 1969. Ma première rencontre avec un quatuor en général et ceux de Beethoven en particulier a eu lieu avec ce
disque. Et Sonia a raison : commencer une carrière de mélomane avec l'adagio, si
étrange et si long, est un choc pour un ado sensible et un rien mystique, devenu 45 ans plus tard votre chroniqueur classique favori (heuuu j'espère).
Attention à ne pas se méprendre, je ne vous parle pas de cet enregistrement
par nostalgie. Non ! Depuis 1967, ce
disque n'a jamais quitté le catalogue. J'y reviendrai dans la discographie
alternative. Je m'aperçois avec plaisir que leurs intégrales des quatuors de Mozart et Haydn
sont toujours disponibles sous le label Decca
qui réédite le patrimoine Philips.
Si Beethoven
a donné de nouvelles dimensions à pratiquement tous les styles de composition
(sauf l'opéra), c'est sans aucun doute avec les symphonies
(à partir de la 3ème "héroïque")
et les quatuors qu'il montre le
plus son génie novateur. C'est d'ailleurs son travail sur les quatuors qui va
marquer la fin de son activité créatrice avant sa mort en 1827. Une dixième
symphonie, ébauchée, ne verra pas le jour tandis les quatuors
opus 130 à 135 vont constituer son testament musical dans les
années 1825-1826. La grande fugue
opus 133 (la transcription
pour piano à quatre mains porte le numéro de catalogue opus 134) peut être séparée du quatuor opus 130 ce qui fait que Beethoven
aurait composé 17 quatuors.
Désolé pour ces détails, mais cela explique que dans cette embrouille, les
jaquettes et livrets de CD préfèrent recourir aux numéros de catalogue plutôt qu'à
une numérotation chronologique ambiguë.
Ces quatuors représentent un ensemble en état de grâce
qui n'a d'équivalent que chez Schubert
(les 3 derniers, 13 à 15), le quatuor américain de Dvorak
(clic) et une partie des 15 quatuors
de Chostakovitch.
Ignaz Schuppanzigh (1776-1830)
|
Le 15ème quatuor est une pierre angulaire de la musique occidentale. J'ai longtemps attendu avant d'oser commenter une
telle œuvre. Écrit en 1825, on est
surpris d'emblée par sa forme : un immense adagio de vingt minutes encadré par
deux couples de mouvements allegro. Les cinq parties étirent l'œuvre sur une
durée exceptionnelle de presque 50 minutes ! Pendant la composition de
l'ouvrage, Beethoven déjà affaibli et
atteint d'une surdité quasi-totale tombe gravement malade de mars à mai 1825 et doit interrompre son travail. Quasiment
revenu d'entre les morts, il imagine intégrer un adagio démesuré et autonome par son architecture au sein de l'œuvre dont il reprend la
composition. Pour ce quatuor dans le quatuor, il inscrit sur la partition :
"Cantique
d'action de grâces d'un convalescent à la Divinité, en mode Lydien*".
La création a lieu le 9 septembre 1825 par le quatuor d'Ignaz
Schuppanzigh. Contrairement aux autres quatuors contemporains trop
en avance pour leur temps, c'est un grand succès et l'ouvrage est rapidement
redonné en concert. Je pense que le public a été fasciné par le climat hypnotique de l'adagio.
(*) Mode Lydien : pour faire simple, il s'agit
d'une gamme majeure qui sonne comme une gamme mineure, à savoir une tonalité
nostalgique.
1 - Assai
sostenuto – Allegro : Les quatre instruments entrent un à un, en procession
: le violoncelle, l'alto, le violon II puis le I. L'atmosphère de l'allegro est
inscrite dans ce début épuré : des instruments dotés d'une totale liberté, une
conversation animée. Thèmes résolus et élégiaques s'affrontent dans le discours
musical. La richesse mélodique montre à quelle maîtrise le vieux maître est
parvenu dans cette forme quatuor. Une richesse qui explique ma tentative
tardive à vous présenter cette œuvre. Il y a peu à commenter, juste à se
laisser entrainer. Romain Rolland
voyait dans cette introduction pas à pas comme une interrogation, une énigme sur
la pertinence de l'existence. À cette question, toute la ligne mélodique répond
énergiquement par l'affirmative en alternant motifs volontaires de marche, ou phrases
sensuelles aux sonorités épicuriennes. L'interprétation du Quartetto
Italiano explore chaque mesure avec un délié et une finesse
stupéfiants. Ce quatuor voyage dans l'univers beethovénien avec une
compréhension de l'ésotérisme sous-jacent peu commune.
2 - Allegro
ma non tanto : Ce premier intermède prend des allures de
promenade. En la majeur, le mouvement libère les tensions de l'allegro
initiale pour nous préparer à la longue méditation de l'andante. On y discerne un
climat pastoral. Dans ce mouvement de forme scherzo, le trio central virevolte comme une danse
villageoise. Une fois de plus on retrouve les couleurs franches qui firent la
réputation du Quartetto Italiano. Un
passage idyllique et joyeux, brillant certes, mais aussi empreint d'une grande
fraîcheur poétique.
Quatuor au début du XIXème siècle (gravure de Friedrich Gauermann) |
4 - Alla
marcia, assai vivace : Beethoven
avait placé son scherzo en seconde position. Une inversion par rapport à
l'usage déjà mise en pratique dans la 9ème
symphonie. Cette solution trouve sa justification lorsqu'il faut
réserver une pause à l'auditeur entre deux mouvements de grande intensité
émotionnelle. On rencontrera de plus en plus cette organisation dans les œuvres d'importance
de la musique romantique et postromantique (Bruckner,
Mahler). Après l'extraordinaire andante,
Beethoven décide de faire très simple et très léger. Une quarantaine de mesures
et deux minutes de musique, un clin d'œil vers l'âge classique celui de Mozart et de Haydn.
Avant le final, il faut détendre le public, mais ne pas allonger inutilement l'œuvre
déjà imposante. Le Quartetto Italiano ne
précipite pas le flot sonore préférant nous plonger dans une soirée viennoise, illustrer
avec élégance leur propos en style menuet (le passage n'en a pas réellement la forme). Ce petit intermède enchaîne directement sur le
rondo final…
5 - Allegro
appassionato : Le rondo commence par une nostalgique mélopée. On découvre
une évidente symétrie avec l'allegro initial par le traitement très libre et
très concertant des idées romantiques qui se développent. Le Quartetto Italiano, aidé par une prise de
son qui n'a pas pris une ride, montre une capacité à dissocier le jeu de chaque
instrument vraiment charmante voire charmeuse. Et cela sans jamais nuire à la
cohésion voulue par Beethoven. À l'écoute, on est
stupéfait de l'inventivité de la composition. La musique échappe à la forme
sonate traditionnelle, à tout académisme : pas de réexposition da capo évidente
mais des variations qui gagnent en vivacité pour finir dans la joie la plus extrême.
Et là encore, les quatre artistes conservent ce phrasé si clair qui offre une
vision très intimiste de ce chef-d'œuvre.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Ce double album comprend également le quatuor opus 131, une création également
très originale pour l'époque puisqu'il ne compte pas moins de 7 mouvements de
durées les plus surprenantes. Si le Quartetto
Italiano atteint une forme de nirvana par l'équilibre, la
douceur et la fluidité de leur jeu, d'autres interprètes ont marqué la
discographie. Ils sont même très nombreux. Petite sélection :
Si le son monophonique ne vous fait pas peur, le
quatuor fondé par les frères Adolf
et Fritz Busch (actif de 1913 à 1952) a laissé une interprétation
très vivante avec un andante aux sonorités cosmiques et déchirantes (EMI - 1942). On ne peut pas écrire un article
sans parler du Quatuor Alban Berg et de leur
intégrale des années 70-80. Les tempos plus vifs confèrent un style plus viril,
mettant en avant l'énergie toujours présente chez Beethoven
en ses dernières années. Cette gravure peut séduire les mélomanes qui seraient
déroutés par les longueurs par trop ontologique des autres gravures. Une
interprétation très spontanée (EMI - 1979).
Enfin plus proche de nous, le Quatuor de Tokyo
a gravé en 2009 les 5 derniers quatuors
(Ils forment un groupe monolithique). Jouant sur des instruments stradivarius, les membres obtiennent
une sonorité chaleureuse sans pour autant recourir a des vibratos hors de
propos dans ces ouvrages (Harmonia Mundi).
On pourrait aussi mentionner la performance du quatuor
Melos, etc. L'opus 132 est
une partition tellement essentielle qu'il n'est en rien surprenant de voir la
discographie se renouveler au plus haut niveau.
Je colle 6/6 à toute la classe.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire