Lorin Maazel (1930 – 2014)
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Partir en vacances sans PC ni Internet est très délassant mais conduit à
rendre hommage à
Lorin Maazel, décédé le 13 juillet, avec quelques semaines de retard. J'avais juste
proposé une vidéo sur notre page FB. Je reviens en ce jour sur la carrière
du chef et en profite pour évoquer l'un de ses plus beaux disques (fort
nombreux) consacré à
Rachmaninov.
La photo de ce gamin de huit ans dirigeant un orchestre du haut de ses 8 ou
11 ans (orchestre
NBC
?) n'est pas un gag. Ce cliché témoigne de la précocité du jeune prodige né
en 1930 à Neuilly sur Seine,
peu avant de partir avec sa famille aux USA. De 8 à 13 ans, il va diriger
les orchestres de
Cleveland
et de
New York. Pour répondre à l'invitation de
Toscanini, à huit ans il interprète la
symphonie inachevée
de
Schubert
à la tête de l'orchestre de la
NBC.
Je jeune garçon devient également un violoniste virtuose et, comme si tout
cela ne suffisait pas, il étudie les maths, la philo et apprend sans grande
difficulté quelques langues étrangère. À cette époque, pour ne pas se couper
de son univers musical, il joue du violon au sein de
l'orchestre symphonique de Pittsburgh
! Orchestre dont, bien plus tard, il sera le directeur de
1984 à
1996.
Lorin Maazel
dirigera d'une main de fer 8 des plus grandes phalanges du monde dont celles
de
New York, de
Pittsburg, de
Munich
et de
Cleveland. Comme
Karajan, il dirige de mémoire. Il s'attache à suivre d'une manière scrupuleuse,
voire maniaque, les indications données par les partitions et cela lui sera
reproché par certains critiques : un manque d'expressivité, le fait de
privilégier la lettre face à l'esprit. Moui... bof... Pourtant
Maazel
devient un chef incontournable dans les années 60-70. C'est à cette époque
qu'il grave des disques cultes : des intégrales des
symphonies
de
Sibelius
et de
Tchaïkovski,
L'enfant et les sortilèges
de
Ravel
avec
l'orchestre National de France, interprétation qui reste inégalée à ce jour. Je pense que le goût de la
médiatisation par l'artiste peut expliquer en partie ces critiques guère
justifiées. Le public Yankee aime bien les écarts fantaisistes à la
Leopold Stokowski.
Maazel
respectait les compositeurs et eux seuls.
Bien que de la même génération que
Claudio Abbado
disparu à 80 ans il y a quelques mois,
Lorin Maazel avait hérité d'un certain autoritarisme propre aux chefs du passé comme
Fritz Reiner,
Herbert von Karajan
ou encore
Sergiu Celibidache. Il y eu quelques mésententes avec les musiciens de certains orchestres
comme
Cleveland. À l'opposé, le chef fut invité 11 fois à diriger le concert du nouvel an
à Vienne (tout en tenant la partie de violon solo). Les musiciens de
L'orchestre Philarmonique de Vienne
appréciaient donc, à l'inverse de leurs confrères américains, les exigences
de précision "solfégiques" du chef. C'est l'orchestre qui désigne
collégialement leur chef pour ce concert annuel…
Lorin Maazel
ambitieux dans sa carrière ? Sans doute puisqu'il refusa de diriger la
Philharmonie de Berlin
après
qu'Abbado
ait été préféré à lui pour succéder à
Herbert von Karajan
à la mort de ce dernier en
1989. Ah ces génies de la
musique, ils ont un peu le "melon". Son répertoire s'étendait de
Bach à la musique contemporaine y compris ses quelques compositions. Il a signé
les dernières années une intégrale des symphonies de
Bruckner avec l'Orchestre de la Radiodiffusion bavaroise
qui n'avait pas à pâlir face à
Wand,
Celibidache,
Jochum
et quelques autres…
Lorin Maazel
avait décidé de se reposer au printemps 2014 et souhaité annuler un
emploi du temps encore chargé à
Munich. Juste quelques mois de retraite et…
Dans la discographie gigantesque, quelques repères :
Au coffret de 30 CDs édité chez Sony, je préfère le coffret
Tchaikovsky-Sibelius-Strauss
gravé aux plus riches heures de chez
Decca, avec la
philharmonie de Vienne
dans les années 60. La réédition du couplage de la symphonie de
César Franck
avec la symphonie "Réformation" de
Mendelssohn
est une excellente idée. La rigueur intransigeante du maître faisant
merveille dans ces deux œuvres à l'orchestration parfois épaisse. Grand
serviteur de
Rachmaninov, outre une intégrale des symphonies,
Lorin
Maazel
a enregistré avec la
Philharmonie de Berlin
dans les années 80 un bel album de pièces symphoniques dont
l'Île des Morts, poème symphonique qui sera le sujet d'une chronique après cet hommage.
Enfin, pour les amateurs d'opéras portés à l'écran, le
Carmen
de Francesco Rosi avec
Julia Migenes,
Placido Domingo
et
Maazel
au pupitre est une réussite du genre toujours disponible en DVD
Blu-Ray.
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Pour beaucoup de mélomanes,
Rachmaninov
rime en premier lieu avec piano… C'est légitime, ne serait-ce que pour ses
nombreuses pièces solistes et ses
quatre concertos. Nous avions déjà écouté ensemble le
3ème concerto
sous les doigts de
Byron Janis
accompagné par
Antal Dorati
(Clic). Une biographie détaillée du compositeur introduisait cet article, je ne
reviens donc pas sur l'histoire du pianiste et compositeur, un géant de près
de 2 m aux mains immenses, et sur son déchirement entre sa
Russie natale et les
USA, terre d'asile après la
révolution soviétique. Piano, oui, mais
Rachmaninov
nous a légué un patrimoine symphonique de grand intérêt :
3 symphonies
et diverses pièces et poèmes symphoniques dont les
danses symphoniques
écrites l'année de sa mort en
1943,
le Rocher
et
l'ile des morts réunis sur le CD sélectionné en hommage à
Lorin Maazel.
Comme tous les slaves,
Rachmaninov
appréciait la poésie funeste et la tragédie. Il n'est pas surprenant qu'il
ait été séduit par le sombre tableau du peintre suisse
Arnold Böcklin :
l'ile des morts dont l'artiste a peint 5 versions différentes à la fin du XIXème siècle.
Nous étions allés à la rencontre du genre "poème symphonique" avec les
Préludes
de
Liszt courant juillet.
Liszt, l'inventeur du genre. J'avais émis des réserves sur l'élégance du style
lisztien, soulignant la lourdeur de l'écriture dans nombre des 13 poèmes
connus qui s'inspiraient la plupart du temps de textes littéraires et de
poèmes.
Rachmaninov
a préféré traduire en musique le climat sombre de ce tableau symboliste et
d'esprit mythologique : le rameur Charon accompagne dans sa barque une âme
perdue vers une île sauvage puis assurer le repos de son passager dans un
temple. L'œuvre d'une vingtaine de minutes est l'une des plus belles pages
de
Rachmaninov
et la richesse de son écriture domine sans conteste même les plus réussis
des poèmes de
Liszt. Nous sommes plus près du génie d'un
Richard Strauss
et de son
mort et transfiguration, pour établir un parallèle entre deux œuvres d'essence pathétique.
Dans son enregistrement de 1982 Lorin Maazel
dirige la
philharmonie de Berlin. Bien que d'une écoute facile, la composition est complexe par son recours
aux sonorités fantasmagoriques obtenues par l'usage du chromatisme wagnérien
et son rythme peu usuel de 5/8. L'orchestre est riche et puissant et même
des grands noms de la baguette ont produit parfois des fouillis sonores qui
sapent la poésie diaphane et élégiaque de la partition. L'œuvre date de
1909 et fut créée la même année à Moscou par le compositeur.
Dès les premières mesures, une pulsation des cordes nous entraîne dans la
barque de Charon : le ressac sur les falaises austères et abruptes de l'île,
le mouvement de la rame. Les cuivres et l'harmonie concertent avec les
cordes.
Lorin Maazel
propose une lecture au scalpel ou plutôt minutieuse qui fait
ressortir à la fois l'ondulation obsédante des vagues et le geste du rameur.
Ce qui chagrinait des critiques (le respect soit disant glacial de la
mesure) sert magnifiquement le flot musical. Les timbales ou les arpèges de
la harpe ne sont jamais noyés dans la masse épaisse des cordes. Le phrasé
est admirablement articulé, les solos de violon ou de flûte d'une présence
palpable…
L'île des morts est découpée en cinq parties enchaînées :
Lento – Tranquillo – Largo - Allegro molto – Largo - Tempo I.
Lorin
Maazel
adopte des tempos soutenus mais la clarté de sa battue, la mise en place
rigoureuse fait jaillir la beauté plastique du subtil dédale de
l'orchestration. dans l'allegro molto, passage animé suggérant les adieux
déchirants aux joies terrestres, l'énergie contrôlée par le chef
fluidifie et allège l'impétuosité dramatique du récit musical et gomme tout
pathos braillard. [15'10'] Le second largo qui évoque le repos définitif de
l'âme du défunt s'embellit du virtuose solo de violon de
Leon Spierer. En écoute comparée, l'interprétation de
Vladimir Ashkenazy
de 1984 avec le
Concertgebouw d'Amsterdam
(un orchestre pourtant idéal pour ce genre d'œuvre) paraît engoncée et
pataude. C'est tout dire ! Même si les ingénieurs du son de chez
Decca trahissent le grand chef
russo-islandais à l'inverse de ceux de
Dgg pour
Maazel.
La gravure culte de
Fritz Reiner
étant introuvable, je pense que ce disque se situe au sommet de la
discographie. Par ailleurs les
danses symphoniques
et le petit poème
Le rocher
bénéficient des mêmes qualités artistiques que
l'île des morts. Une référence pour ces œuvres et pour le maestro disparu.
Pour les fans de Rachmaninov , une interprétation du grand Evgeny Svetlanov (lors d'un concert à la BBC) ; des tempos plus lents ; une approche plus
funèbre. Très différent, mais du grand art…
Ahhh! Ce Claude Toon, quel bloggeur!! Je ne me lasse vraiment pas de ses posts.
RépondreSupprimerQue du beau et du bon.
A l'image de ses petits camarades du Déblocnot'.
A consommer sans réserve!!!
Ah quelle reconnaissance de mes (nos) talents de musicologue et commentateurs dans ces mots, mon cher bubble gum…
RépondreSupprimerQue serais-je sans toi ? Qu'un cœur au bois dormant ? (Heuuu c'est de Ferrat ça…)
Je sens que tu vas bientôt me demander quelque chose ;o)
Pour les fan de ciné opéra
RépondreSupprimerLorin Maazel a aussi dirigé la musique du film "Don Giovanni" de LOSEY
musique d'un certain Amadeus...
pas mal !!
De la part de "Bidule" mouton des alpes,mélomane et accro du déblocnot'.