Clint et Frankie (les vrais) |
Mais
alors qu’est-ce que Clint Eastwood est allé faire dans cette galère ? Il
avait du temps, son projet de tourner un remake d’UNE ETOILE EST NÉE a été mis de côté. Initialement, Béyoncé devait reprendre le rôle tenu par Judy Garland dans le film de Cukor, mais elle s'est retrouvée enceinte. Et la musique a toujours était au centre de son
cinéma, depuis cette chanson d’Errol Gardner dans UN FRISSON DANS LA NUIT
(1971) « Play Misty for me », la ballade au festival de Newport dans BREEZY (1973),
évidemment HONKYTONK MAN (1982) où il jouait un chanteur de country tuberculeux,
évidemment BIRD (1988), biopic du saxophoniste Charlie Parker, sans compter les
documentaires produits ou réalisés sur Thélonious Monk, ou PIANO BLUES.
Pianiste lui-même, il compose ses thèmes musicaux, et son fils Kyle Eastwood
est un contrebassiste de jazz à la petite renommée.
JERSEY
BOYS ne restera pas dans le peloton de tête de ses grands films, c’est une
aimable récréation, dont on sent comme je le suspectais, un scénario trop
attendu, qui n’écorche rien ni personne.
Et
pourtant la sauce prend tout de suite. Reconstitution classieuse des années 50,
les filles à couettes, les clubs, mise en scène alerte, où chaque membre du
groupe est narrateur à tour de rôle, s’adressant à la caméra, précisant un
détail, confrontant les points de vue. The Four Seasons est groupe de pop (d'abord appelé The Four lovers), dont
le leader et guitariste Tommy De Vito est une petite frappe frimeuse liée à la mafia. Il engage son pote Frankie Valli, garçon coiffeur, à la voix phénoménale.
Nasillarde comme pas permis (assez insupportable pour moi, mais ça plaisait)
plus de trois octaves couverts, et cette manière de passer en une note en
falsetto, voix de tête, très haute, pour redescendre aussi sec. Le succès ne
viendra qu’à l’arrivée de Bob Gaudio, pianiste et surtout compositeur, présenté
au groupe par Joe Pesci, oui, le Pesci devenu plus tard acteur chez
Scorsese ! « Sherry » (1962) est leur premier tube, il y en aura
beaucoup, The Four Seasons, considérés comme les Beach Boy de la côte Est,
seront les seuls à ne pas se faire bouffer tout cru par les Beatles.
Ce
qu’il y a de remarquable dans ce film, et de la part d’Eastwood il ne saurait
en être autrement, c’est que les parties musicales sont parfaitement recrées.
J’ai maté le batteur dans chaque scène, enregistrements, concerts, et jamais je
ne l’ai pris en défaut de playback ! Chaque geste correspond à la musique
qu’on entend. Et les chansons sont interprétées en entier, ce n’est pas du
saucissonnage. Les coulisses du métier sont bien décrites, le fameux Brill
Building de New York (où travaillaient Leiber et Stoller) les arrangeurs, les producteurs (Bob Crewe, qui sera aussi leur parolier),
les contrats foireux.
Les
embrouilles de fric, de mafia, met fin aux Four Seasons, Frankie Valli doit
rembourser une grosse dette contractée par Tommy De Vito. Il continuera à chanter solo ou
non, avec Bob Gaudio, mais versera tous ses bénéfices. Cette dernière
demi-heure est décevante, le côté martyr de Valli, est trop vite expédié, comme
quelques séquences en famille, avec sa fille fugueuse, et qui mourra sans qu’on
en sache davantage. Parce qu’il fallait des sentiments, des
hommes blessés… Mais ça ne prend pas. Jusqu’à la dernière scène, la création de
« Can't take my eyes off you » (1967) dernier immense tube (repris en disco
plus tard), et un superbe générique de fin où tous les protagonistes du film se
retrouvent dans la rue, chantant et dansant sur le hit « December 1963, Oh what a night » (1975) que Claude François traduira en « Cette année-là ».
Une
scène retient l’attention. Celle où Bob Gaudio, visiblement puceau, préférait
mater la télé dans sa chambre que de s’amuser avec les filles. Il regarde un
feuilleton très en vogue, RAWHIDE, dans lequel débuta Eastwood ! Clin
d’œil du vieux maître au jeune acteur qu’il était.
Côté
distribution, on se réjouit de la présence de Christopher Walken, en parrain
bienveillant, mais moins de la composition de John Llyod Young en Frankie Valli, aussi
expressif qu’une porte de chiotte, et qui jamais n’arrive à hisser le film hors
des sentiers rebattus de la success story. Les drames et fêlures ne sont là que
pour la déco. Les liens spectacle-mafia trop peu exploités, alors que Valli
était fan de Franck Sinatra, ce qui aurait dû être un signe du destin. Les
personnages sont dans leur ensemble peu creusés, plusieurs pistes restent
inexploitées.
JERSEY
BOYS, dans sa première heure et demi, et un spectacle bien huilé, rythmé, très
agréable, divertissement léger et coloré, qui permet de découvrir ce groupe
célébrissime aux Etats Unis, mais qui n’a jamais franchement marqué l’Europe et
la France. Il aurait fallu que Clint Eastwood puisse amener cette histoire dans
une autre dimension, plus profonde, tragique. Option visiblement non inscrite
au cahier des charges des producteurs Valli et Gaudio, dont rien ici n’égratigne
le portrait, jusqu’à la reconstitution de leur intronisation au Rock’n’Roll Hall of Fame.
JERSEY BOYS (2014)
Couleur - 2h15 - scope 2:35
La bande annonce :
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