- B'jour M'sieur Claude… Il me semblait que Saint-Saëns n'était pas votre
tasse de thé ?
- Heuu… disons que je ne le considère pas comme un très grand compositeur
a contrario d'un Berlioz ou d'un Debussy, plutôt un second couteau…
- Est-ce bien objectif ça ? Ou un a priori sur un style musical que vous
n'aimez guère ?
- Objectif, non et loin de moi un jugement en forme d'anathème sur un
compositeur. C'est vrai que je trouve des facilités et des lourdeurs…
- Cependant, vous avez trouvé une pépite pour nous en parler malgré votre
manque de passion…
- Oui, cet album enregistré par les frères Capuçon et comportant deux des
meilleurs concertos, plus une œuvre en duo mérite franchement le détour
!
- Heuuu, vous avez oublié le h à Gauthier, M'sieur Claude…
- Écoutez Sonia, j'ai été aussi surpris que vous, mais…
il n'y en pas… faites attention dans la publication !
Sonia a raison, on ne peut pas laisser
Camille Saint-Saëns
de coté parce que votre rédacteur n'en raffole pas. Pour moi,
Saint-Saëns
est un peu synonyme d'une célèbre
symphonie avec orgue
(la 3ème, mais en fait la 5ème) qui commence plutôt
bien, notamment le bel adagio, mais se conclut par une choucroute
symphonique de Jericho un peu vaine dans ses effets. Cela dit, la partition
était destinée à être exécutée, entre autres, dans l'immense salle de
concert construite au
Trocadéro lors de l'exposition
universelle en 1878.
5000 places !!! Un grand orgue
Cavaillé-Coll. Il fallait bien
donner une grosse portion orchestrale aux oreilles des auditeurs… La
partition de 1885 se veut
titanesque, mais c'est plutôt bien écrit. Pour em**der vos voisins en pleine
nuit, c'est aussi ravageur que le Hard-Rock de l'ami Vincent ! Et puis le
public aime bien ces débordements, alors…
Le jeune
Camille
voit le jour en 1835 à Alger.
C'est un enfant prodige, rapidement un pianiste chevronné. Il joue à 11 ans
le
3ème
concerto
de
Beethoven
en concert. À 13 ans, il entre au conservatoire de Paris avec les meilleurs
maîtres dont
Charles Gounod. Il va se révéler par ailleurs un ardent défenseur des plus grands de sa
génération comme
Liszt,
Wagner
ou
Schumann. C'est bien !
Il compose beaucoup dans tous les genres. Il va jusqu'à la fin du siècle
occuper les postes d'organistes les plus prestigieux et connaître une
renommée française et internationale incroyable. Et cela est un peu suspect
avec le recul, car en général les génies novateurs crèvent de faim dans le
mépris le plus total. Certains musicologues classent
Camille Saint-Saëns
parmi les postromantiques du fait de sa longévité. Non !
Saint-Saëns
est un postclassique dans un monde romantique. Le compositeur est adulé par
ses contemporains car, précisément, il n'invente rien d'original. Beaucoup
d'habileté et de talent certes, mais pas le génie provocateur d'un
Berlioz
ou d'un
Richard Strauss. Et ce qui plaisait au XIXème à des mélomanes frileux face à
l'innovation a mal vieilli. En
1912, le compositeur qui a 77
ans va paraître ringard face à
Bartók,
Ravel,
Debussy, sans parler de la création par
Schoenberg
de
l'école de Vienne. (Notation modale, polyrythmie, dodécaphonisme sont les nouveaux styles.)
Tant pis si on me fait un procès, les formes de composition et l'inspiration
de Saint-Saëns
flirtent souvent avec l'académisme du XIXème siècle.
Pourtant, même si
Saint-Saëns
ne fait plus partie du panthéon des grands compositeurs français (quoiqu'en
pense les yankees), il reste de fort belles et élégantes partitions dans sa
riche production. Déjà les
deux concertos
de ce jour. Et puis, les
concertos
pour piano N°2 & 4. On monte encore parfois
Samson et Dalila, le moins kitsch de ses 13 opéras. La
Symphonie avec Orgue
remplit les poches des éditeurs de disques. Sa
musique de chambre
mérite plus que l'oubli total. N'oublions pas le
carnaval des animaux
qui lui a permis de rentrer dans l'histoire de la musique…
Saint-Saëns
est mort à Alger en 1921… un
retour aux sources.
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Les frangins
Capuçon
sont médiatisés, notamment lors des victoires de la musique où ils ont été
récompensés en 2000 et 2001 et sont régulièrement invités. Ils sont donc
connus même des mélomanes peu enclins à l'écoute de la musique classique.
Vedettariat et/ou talent ? Examinons-cela…
Renaud, l'aîné a 38 ans. Il est rentré au Conservatoire de Paris à 14 ans dans la
classe de
Gérard Poulet.
Merci de m'éviter les blagues de poulailler.
Gérard Poulet
est un immense violoniste et pédagogue. Renaud
en sort brillamment diplômé à 17 ans pour débuter une carrière de
concertiste et une participation à
l'orchestre des Jeunes Gustav Mahler
fondé par
Claudio Abbado. Première remarque :
Renaud
est un surdoué et on ne travaille pas avec
Abbado
uniquement pour faire briller le CV. Non, on a la musique dans la peau
!
Seconde remarque. Depuis le début du siècle,
Renaud Capuçon enchaîne les succès et les réussites dans divers concours, dans les salles
de concert et au disque. Il joue sur un
Guarnerius de
1737 prêté par une association
philanthropique et ayant appartenu à
Isaac Stern. Déjà une belle discographie à son actif, de l'époque classique (Mozart) à notre temps (Korngold,
Berg
–
le concerto à la mémoire d'un ange
-,
Dutilleux).
Le parcours de son jeune frère
Gautier, violoncelliste de 32 ans, est assez similaire avec un premier prix du
concours
André Navarra
à 18 ans parmi moult récompenses internationales.
Gautier
équilibre sa carrière. D'un côté au service de la musique de chambre,
notamment en interprétant des sonates en duo avec des pianistes remarquables
comme
Martha Argerich,
Daniel Barenboïm,
Hélène Grimaud, les
sœurs
Labèque. Et par ailleurs dans le répertoire concertant.
Bien entendu, les deux frères se sont retrouvés complices dans nombre
d'œuvres : le
double concerto
de
Brahms
ou encore, également de
Brahms, les beaux
quatuors avec piano
en compagnie de
Gérard Caussé
et
Nicholas Angelich.
Mon premier contact avec le jeune chef d'orchestre
Lionel Bringuier
date du 15 janvier 2012, lors
d'un concert Salle Pleyel. Bon souvenir pour le
concerto pour violoncelle
N°1 de
Chostakovitch
avec son ami
Renaud Capuçon
en soliste. Par contre un
poème de l'extase
de
Scriabine
embrouillé et gueulard. Il faut dire que le jeune homme prenait des risques
louables dans une œuvre cataclysmique et métaphysique plutôt destinée à des
maestros hyper expérimentés tels
Pierre Boulez
et Evgeny
Svetlanov. Bref des acouphènes à l'issue de ce galimatias survolté. C'est rigolo, la
vidéo de ce concert donne un meilleur résultat qu'en salle. Ô acoustique, ô
traitresse ennemie, que n'ai-je donc tant dirigé ?...
Mais qu'est-ce que je raconte moi ?
Bref, je ne devais par avoir une bonne place, car le palmarès du jeune
artiste est éloquent et contredit mon impression à l'écoute de
Scriabine. Violoncelliste précoce, il est par ailleurs admis face à 59 candidats
plus âgés dans la classe de direction du conservatoire national de Paris à…
15 ans !! En 2005, lauréat du
concours de chef d'orchestre de Besançon. J'écris en style télégraphique à l'image de la carrière du jeune artiste
qui s'emballe au rythme d'invitations de la part de grands orchestres :
Monte-Carlo, assistant
d'Esa-Pekka Salonen
à
Los Angeles, poste reconduit par
Gustavo Dudamel. Et en cette année 2014, il
atteindra la consécration pour un chef de 28 ans : il sera nommé directeur
de l'Orchestre de la
Tonhalle de Zurich, succédant ainsi au grand patron
David Zinman. (Avec un orchestre de ce niveau, il peut se confronter de nouveau au
Poème de l'extase
sans difficulté.)
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Un album : 3 œuvres concertantes…
Camille Saint-Saëns
compose son
3ème concerto pour violon
en
1880 pour
Pablo de Sarasate.
Le célèbre violoniste était déjà
dédicataire du
1er concerto
et de la
Havanaise. C'est un ouvrage pleinement romantique organisé classiquement en trois
parties.
1 - Allegro ma non troppo
: le premier thème au violon surgit "avec passion" (*) au sein de frémissants trémolos des cordes. À la fois mystérieux et
tragiques, le climat surprend par la variété des couleurs. Un flot
orchestral, tantôt énergique, tantôt aimable, s'oppose aux phrases
langoureuses du violon qui étire son chant dans l'aigu.
Renaud Capuçon
adopte un jeu riche et clair, sans fioriture de star, pour magnifier les
habiles contrastes qui parcourent toute la tessiture de son instrument.
Saint-Saëns
rivalise avec aisance avec les meilleures pages de
Mendelssohn
voire de
Brahms. Une grande poésie prend son envol : mélodies gracieuses, diversité de
l'accompagnement orchestral.
Lionel Bringuier
maîtrise avec brio
l'Orchestre de Radio France, un orchestre auquel Saint-Saëns
a confié des rôles multiples. Le jeune chef n'appuie aucun effet. On trouve
dans ce beau mouvement beaucoup plus de légèreté que dans les concertos de
Max Bruch si souvent joués, mais si… germaniques ! J'avoue que je découvre dans le
détail un must du répertoire concertant pour le violon et ce n'est qu'un
début.
(*) Appassionato précise la partition…
2 - Andantino quasi allegretto
: On songe à une "valse" mélancolique en plongeant dans la sérénité du
second mouvement. Le violon se voit confier l'énoncé d'un rêve fluide et
élégiaque. Le jeu de
Renaud Capuçon
se refuse tout effet liquoreux. Il y a une ambiance pastorale. Saint-Saëns
utilise sa petite harmonie avec grâce. La musique se révèle ainsi bien
française dans le sens où
Lionel
Bringuier
n'écrase pas le discours concertant par une masse de cordes teutonnes. Une
beauté simple, quasi chambriste. Le final se présente comme une marche
voluptueuse avec des sonorités chaloupées et énigmatiques du violon. Renaud Capuçon
nous masque les difficultés techniques de ces pages. Voilà la signature d'un
vrai virtuose qui met son art au service de la musique avant tout.
3 – Molto moderato et maestoso
: Le final laisse présager une lutte entre le violon et l'orchestre. À la
douceur de l'andantino, des motifs mélodiques variés s'affrontent. Le
classique
Saint-Saëns
surprend par l'éclatement de la forme. Vivacité et joie sont les mots clés
de ce passage qui gagne en brillance de mesure en mesure. La coda semble
démarrer plusieurs fois. Ce sont des trompes l'œil (oreilles) et l'on est
surpris par des développements lyriques et sensuels, et non des cadences
bravaches destinées à mettre en vedette le soliste. C'est la véritable coda
qui apportera une puissante détermination avec les interventions viriles des
cuivres jusqu'à présents volontairement discrets.
Avec sa vingtaine de minutes, le
concerto pour violoncelle N°1
surprend par sa concision et son écriture en un seul mouvement découpé
néanmoins en trois parties ; deux passages vifs encadrant un passage plus
calme ! Son écriture date de
1872 et c'est le dédicataire
Auguste Tolbecque, violoncelliste et luthier parisien qui en assure la création en
1873.
1 – Allegro non troppo
: Le violoncelle attaque bille en tête sur un accord hardi de l'orchestre.
Gautier Capuçon
dynamise ce mouvement vif-argent par un jeu virevoltant, clair et précis.
Pas de vibrato précieux.
Saint-Saëns, encore dans la trentaine, nous entraîne dans une partition épicurienne.
Il n'oublie pas d'agrémenter ce court mouvement d'un passage plus
contemplatif qui sera d'ailleurs repris comme porte d'entrée du second
passage… Comme dans le concerto pour violon,
Lionel Bringuier
modèle la pâte sonore symphonique avec distinction et gaîté, en
accompagnateur rappelant qu'un concerto se partage deux premiers rôles : le
soliste et l'orchestre.
2 – Allegretto con moto
: L'enchaînement avec ce qui précède est habile, sans rupture de style ni
pause. Une dansante et baroque aubade des violons accompagne le chant
intimiste du violoncelle. J'adore ce jeu sans esbroufe de
Gautier Capuçon. Un jeu élégant, tendre, d'une grande subtilité.
3 – Molto allegro
: Nouvelle transition avec un final tourbillonnant.
Saint-Saëns
se réapproprie le thème initial puis propose diverses variations évoluant de
la mélancolie à la frivolité. Le compositeur sollicite une tessiture très
large de l'instrument, un jeu très rythmé.
Gautier Capuçon
adapte les couleurs de son instrument à ses facéties avec créativité. Le
jeune virtuose embellit ainsi
un concerto dont la partition d'orchestre laisse un tantinet sur sa
faim.
Moins développé que le
concerto pour violon N°3
plus tardif, ce premier concerto pour violoncelle, très vivant, peut
s'écouter avec plaisir, surtout enjoué par le talent des deux jeunes
musiciens. Ahhh si toute la musique française de la IIIème
république était de cette veine…
La muse et le poète
verra le jour en 1909.
Saint-Saëns, âgé et malade, n'a pas renoncé à la composition et écrit ce morceau qui
n'est pas un concerto. Comme le titre l'indique, les deux instruments
solistes tiennent le rôle d'un duo avec orchestre dans une œuvre qui
pourrait se nommer poème symphonique concertant. L'aigu féminin du violon se
veut muse et dialogue avec le poète masculin habitant le violoncelle. La
composition, très intime dans son esprit - on pourrait dire secrète - est
destinée à mettre en valeur le jeu des deux virtuoses. Quant à l'orchestre,
il se pare de couleurs impressionnistes avec ses arpèges de harpes dans les
premières mesures. L'ouvrage est délicat, même s'il semble d'un autre âge.
Nous sommes en 1909,
Mahler
écrit ses ultimes symphonies,
Stravinsky
travaille sur le
Sacre du
printemps. Peu importe, ce magnifique duo est un excellent complément de programme
pour reprendre l'expression consacrée. Et puis comme disait
Arnold Schoenberg
à ses élèves qui ne voulaient entendre parler que de sérialisme : "Il y a encore plein de belles choses à écrire en do majeur !".
- M'sieur Claude, c'est marqué en mi mineur sur la partition !!!
- C'était une image pour conclure Sonia. Le fond et l'émotion sont
toujours plus importants que la forme…
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Concerto pour violoncelle N°1 par Renaud Capuçon et Lionel Bringuier & Concerto pour violon N°3 par Renaud Capuçon et l'Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Lionel Bringuier et…
La muse et le poète, œuvre concertante pour violon, violoncelle avec en duo
Gautier et
Renaud Capuçon… et Lionel Bringier au pupitre de l'orchestre de Radio France. Extraits et commentaires des artistes…
J'ai connus Saint-Saëns à l'école ou la prof nous avait fait étudier la "Danse Macabre" et "Le rouet d'Omphale" avec Jean Martinon à la baguette, album que je me suis empressé d'acheter avec mon maigre argent de poche.
RépondreSupprimerLe concerto m'était complètement inconnus jusqu'à ce matin encore ! Même si ce n'est pas comparable, j'entends un peut du concerto pour violon en ré majeur op.77 de Brahms.
Bien vu, d'autant que le concerto de Brahms pour violon fut créé le 1er janvier 1879 donc un peu avant cette pièce maîtresse de Saint-Saëns.
RépondreSupprimerLe concerto de Brahms fut mal accueilli en France par Debussy, Lalo ou encore Gabriel Fauré qui le trouvait "morne et triste" (de mémoire). On croit rêver.
Comme je l'écris, Saint-Saëns a bien défendu en France la musique allemande romantique (on ne pourra pas lui reprocher un chauvinisme musical) et avait peut être en tête la partition de Brahms en composant.
Cet opus 77 est l'un des plus techniquement difficile à jouer du répertoire...