- B'jour M'sieur Claude… Tiens un disque avec le pianiste chinois Lang
      Lang, je croyais que vous ne l'aimiez pas…
  - C'est vrai que ses gesticulations face au clavier sont pour le moins
      pittoresques, comme si le jeune homme avait un peu "le melon" comme on dit
      de nos jours…
  - Mais, musicalement, si vous avez décidé de parler de ce disque, c'est
      que…
  - Eh oui, si on n'aime pas ce style de comportement type décathlon, et
      que l'on ferme les yeux, un grand pianiste est là, il faut
      l'admettre…
  - Et sur un CD, il n'y a pas l'image… donc…
  - Et bien, on parle de ce disque fort passionnant musicalement ma petite
      Sonia. Une fois de plus vous avez plein de bon sens !
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  Raconter la vie de l'auteur de
    Pierre et le Loup
    en quelques lignes est un défi.
    Serge Prokofiev
    est le seul compositeur russe d'importance à avoir fui le bolchevisme pour
    revenir au pays en pleine période stalinienne. Un amour du pays qu'il
    regrettera un peu…
  Le jeune Serge voit le jour en
    1891. Il est d'une famille
    aisée (mais pas trop) et sa mère assurera ses premiers rudiments au piano.
    L'enfant est doué et va suivre la voie royale des conservatoires de Moscou
    et Saint-Pétersbourg où il bénéficiera de l'enseignement des meilleurs
    maîtres dont
    Nikolaï Rimski-Korsakov
    pour l'orchestration. Le must dans ce domaine à l'époque. Le jeune homme a
    des idées progressistes mais part pour le Caucase lors de la révolution
    d'octobre en 1914. En
    1918, c'est la guerre civile,
    l'anarchie, les millions de mort. Il crée sa
    symphonie Classique, mais la censure bolchévique n'est pas prête à entendre les ouvrages plus
    modernistes que concocte l'anticonformiste
    Prokofiev. Ayant pu goûter la liberté de création occidentale lors de voyages à
    Paris avec
    Stravinsky
    et les ballets russes, Il part sans un sou en poche pour
    San Francisco. Exilé russe aux
    USA, il a du mal à se faire une place et en
    1921, il rejoint
    Paris.
  Une période productive s'annonce : les
    premiers concertos pour piano, la violente
    Suite Scythe… Il fréquente Montparnasse et les peintres, comme
    Matisse et
    Picasso. En
    1922, il écrit sa
    seconde symphonie, la plus avant-gardiste des 7 qu'il écrira. L'œuvre d'une grande puissance
    mécanique fait songer au tableau d'un Fernand Léger ou au futur
    Pacific 231
    d'Honegger
    voire à
    Edgar Varèse. C'est un bide, évidement.
  En 1927 il assure une tournée
    triomphale en Russie. Il a le mal du pays et décide du retour sur sa terre
    natale en 1933. Deux ans avant
    les premières purges staliniennes d'envergure !
    Prokofiev
    tombe de haut, son style est taxé de trop bourgeois pour les uns, de moderne
    et dégénéré pour les autres. Et oui, bonjour dans les contrées du "réalisme soviétique" ! Le compositeur, comme son compatriote
    Chostakovitch, va survivre en jouant sur les deux tableaux : de la musique qui plaît au
    régime comme la B.O. pour le film d'Eisenstein "Alexandre Nevski", et à l'opposé la tragique
    6ème symphonie, œuvre géniale mais très sombre et angoissée. (Elle partage l'état
    d'esprit désespéré de la
    symphonie "Stalingrad" de
    Chostakovitch.)
  Pendant 20 ans, le KGB et le gardien suprême de la vie culturelle,
    Jdanov, lui tourneront autour.
    Mais même les œuvres de commande comme le ballet
    Roméo et Juliette
    (1938) restent d'une qualité de composition exceptionnelle. Le 5 mars
    1953,
    Prokofiev
    meurt d'une crise cardiaque. Tout le monde s'en fout, car ce jour là on
    annonce la disparition de
    Staline le
    Petit Père des Peuples… La Pravda mettra 6 jours à annoncer la mort
    de
    Prokofiev. Priorité au Tyran !
  ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
  Parlons maintenant du jeune prodige chinois et plus généralement de la
    nouvelle génération d'artistes classiques, car oui, il y a du neuf ! Un
    certain nombre de mélomanes reproche à
    Lang
    Lang, lors de ses concerts ou en visionnant un DVD, ses gesticulations, une
    dislocation chorégraphique du corps pour appuyer ses effets et, en fin de
    concert, ses coquetteries de toréro suivies d'étreinte et d'embrassade
    énamourée du chef d'orchestre ; on dirait
    Brejnev-Léon Zitrone. Oh et
    bien, je ne donne par totalement raison aux grincheux nostalgiques du temps
    où les artistes "classiques" ne s'épanchaient guère, saluaient l'auditoire
    droit comme un i. Une époque ou les pianistes, certes talentueux, jouaient
    avec un faciès aussi expressif que celui de l'organiste du dimanche. Au
    disque, on ne voit pas
    Lang Lang
    faire ce que les fâcheux appellent du maniérisme acrobatique, et là, force
    est de constater que le gars maîtrise son clavier autant qu'un
    Pollini
    ou un
    Horowitz
    (qui soit dit en passant, pour ce dernier, était un fat qui se prenait pour
    le nombril du monde et savait le montrer…). Et puis
    Lang Lang
    respecte et aime son public, il ne se lève pas au milieu d'un concert pour
    claquer la porte comme le faisait
    Arturo Benedetti Michelangeli
    quand il entendait, ô sacrilège, un spectateur tousser, même le plus
    discrètement possible.
  
  Plus concrètement, le jeune pianiste né en
    1982 découvre le piano et la
    musique à 18 mois en regardant
    Tom et Jerry à la télé (2nd Rhapsodie
    de
    Liszt). Cela peut expliquer sa gestuelle cartoonesque face au clavier :o) (Voir
    les deux vidéos en fin d'article.) Il suit les cours des conservatoires
    chinois dont celui de Pékin où,
    à 5 ans, il remporte ses premiers concours. À 13 ans, il remporte le
    concours Tchaïkovski des jeunes
    musiciens. On pourra épiloguer sans fin sur le personnage, mais on ne
    remporte pas ce prix par esbroufe. De
    1997 à
      2002, nanti d'un palmarès exceptionnel pour un gamin, il est admis dans la
    classe de
    Gary Graffman
    au Philadelphia Institute. Il
    va ainsi partager le même professeur que
    Yuja Wang, autre jeune surdouée chinoise (clic). Je rappelle que
    Gary Graffman
    ne peut jouer que de la main gauche… Sacré pédagogue !
  La suite on la connait ou on la devine. Une carrière éclair, des
    enregistrements d'une fougue qui stupéfie les mélomanes, même si l'esprit
    des œuvres est encore à approfondir. Et cette maturité apparaît avec le
    passage de la trentaine comme en témoigne ce disque
    Prokofiev-Bartok
    de 2013.
  
  Le chef anglais
    Simon Rattle
    a commencé jeune une carrière exemplaire au début des années 80. Il se fait
    remarquer en enregistrant à 25 ans avec le City of Birmingham Orchestra la
    Xème symphonie
    de
    Mahler
    dans sa version exécutable de Deryck Cook. (Il va diriger cet
    orchestre pendant 20 ans.) Ce disque fait toujours référence même confronté
    à son propre remake en
    2000 avec la
    Philharmonie de Berlin, orchestre dont il est le directeur depuis
    2002, prenant la succession de
    Claudio Abbado
    épuisé par la maladie (clic). Je l'ai entendu lors d'une soirée salle Pleyel avec l'illustre orchestre
    allemand. C'était bluffant et pourtant ça fait 45 ans que je fréquente les
    salles de concerts. On en reparlera dans une chronique dédiée à ce grand
    artiste.
  ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
  Prokofiev
    écrit son 3ème concerto pour piano dès son arrivée en France en
    1921, à
    Saint-Brévin les pins,
    sympathique petite station balnéaire située sur l'embouchure sud de la Loire
    (je connais, c'est très calme…).
    Prokofiev
    réutilise quelques ébauches datant de
    1913. La composition est menée
    rondement et l'œuvre est créée lors d'un voyage aux USA en décembre de la
    même année, avec
    Prokofiev
    au piano accompagné par
    Frederik Stock
    à la tête du
    Symphonique de Chicago. La création en Russie aura lieu en
    1925.
  
  Le concerto est classiquement découpé en trois mouvements. Tout classicisme
    s'arrête là, car
    Prokofiev
    va faire preuve d'une grande imagination dans sa composition en s'éloignant
    de la forme sonate usuelle. La tonalité la plus basique de do majeur suggère
    une partition résolument optimiste, ce qui se confirme à l'écoute… Dans les
    années 20,
    Prokofiev
    était considéré comme l'un des pianistes les plus talentueux de son époque,
    tant par sa virtuosité que par la puissance de son jeu. Le concerto est
    brillant et exige des prouesses techniques extrêmes du soliste.
  1 – Andante – Allegro :
    Une douce mélodie aux clarinettes (un instrument favori de
    Prokofiev) est suivie par un accelerando des cordes. [0'48"] Le piano s'immisce
    énergiquement dans ce préambule. Le jeu du piano est virevoltant, ludique,
    il flirte avec les percussions.
    Lang Lang
    assure un staccato très énergique et fluide. Un jeu clair tel que le
    compositeur aurait souhaité. Un legato romantique n'a aucune place dans ces
    chassées croisés entre de belles phrases poétiques des cordes et des bois et
    le jeu allègre du piano.
    Simon Rattle
    apporte lui aussi un accompagnement équilibré et transparent. Le phrasé
    n'est jamais brouillon notamment dans la reprise tourbillonnante et
    sarcastique qui suit le développement central plus intimiste [4'16"] à
    [6'24"]. La puissance de frappe sur le clavier du pianiste chinois est
    justifiée. Le jeune artiste fait preuve d'une aisance et d'une précision
    confondantes dans la démente vélocité requise dans la coda par le
    compositeur. La prise de son est excellente et la dynamique virile (coup de
    grosse caisse en point d'orgue particulièrement réaliste !)
  2 – Tema andantino - variations I – V
    :
    Prokofiev
    choisit une forme originale pour le mouvement central : un thème et des
    variations. Après la joyeuse folie du mouvement initial, nous sommes bien
    dans la voie du modernisme. Le mouvement commence par une élégante petite
    marche à la flûte et au bois. Un petit air pastoral, une musique toute
    simple. Le piano musarde dans un solo empreint de légèreté. Prokofiev
    surprend par un tempo accéléré et une force tellurique dans la première
    variation.
    Lang Lang
    joue le jeu. Il alterne les caresses dans la 3ème variation, et
    la franche détermination pianistique dans les passages plus volcaniques de
    la 4ème. Les belles couleurs de la
    Philharmonie de Berlin
    sont au rendez-vous.
    Simon Rattle
    et le pianiste sont au diapason et totalement complices dans l'impétueuse
    5ème variation, juste avant la reprise du thème initial en guise
    de conclusion…
  3 – Allegro ma non troppo :
    Le dernier mouvement est totalement fantasque et fort difficile tant pour le
    pianiste que pour l'orchestre. On devine les prémices de cette musique aux
    accents provocants qui seront la signature de la 2nd symphonie.
    Très curieusement Prokofiev confie à l'orchestre un développement central calme avec un piano rêveur.
    Lang
    Lang
    égrène les notes finement, cisèle le contour de la mélodie. C'est très
    serein et prenant. Il est vrai qu'un passage de détente se révèle
    indispensable avant la furie finale. Et puis ce long passage retrouve l'âme
    slave, il peut faire penser à l'univers de
    Rachmaninov. [8'19"] La coda pourrait décourager tout apprenti pianiste. C'est une
    folie organisée autour de glissandi, de flots d'accords, de mains qui se
    croisent. La densité de note est souvent préjudiciable à une écoute au
    disque. Ici, c'est ludiquement vindicatif, très aéré. On ne perd pas une
    note de cette bacchanale concertante. D'ailleurs le mieux est d'écouter et
    de voir la fin de la vidéo. Les mots sont un peu vains. Une interprétation
    exceptionnelle.   
  ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~++++
  Pour les fans de
      Martha Argerich, le tempérament de feu de la pianiste argentine devait s'épanouir dans
      ce concerto. C'est le cas par deux fois. Une première fois en
      1967 avec le jeune
      Claudio Abbado et la
      Philharmonie de Berlin. Un feu d'artifice pianistique aux mille couleurs de la féline du
      clavier, un orchestre qui brille de tous ses feux, une prise de son de
      légende, sans aucun doute une référence. (Dgg
      – 6/6).
  Plus tardivement en 1998, le jeu du clavier de
      Martha reste racé, mais pourquoi diable le piano est-il capté autant en retrait.
      La direction de
      Charles Dutoit
      à la tête de l'excellent
      Orchestre de Montréal
      lorgne du coté du romantisme. Donc volontairement moins couillu que
      Lang Lang
      –
      Rattle
      mais quelle élégance. (EMI –
      4,5/6).
  Pour ceux qui aiment le style à la fois enfiévré et percutant des
      concertos de
      Prokofiev, la belle intégrale de
      Vladimir Askenazy
      accompagné par
      l'Orchestre Symphonique
      de
      Londres
      dirigé par
      André Previn
      a de l'allure. (DECCA
      2 CD – 4,5/6).
    
  
  
      
      
      
      
      
      
 
  
      
      
      
 
  
  
    
    ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
  
  
    
  
    Le disque de
          lang Lang
          est disponible en vidéo depuis 2016 et sur Deezer. En vidéo
          complémentaire je vous propose un concert en live de
          1977 avec 
          Martha Argerich au piano et
          André Previn dirigeant l’Orchestre symphonique de Londres.
        
  
  
      
    Tiens une petite vidéo des victoires de la musique de 2009. Le jeune
          pianiste chinois se donne des airs métaphysiques option aérobic pour
          jouer un simple divertissement (only pour virtuose) : la
          2ème Rhapsodie hongroise
          de
          Liszt. C'est poilant dans son excès. Ça frise le cartoon et je m'y
          connais… Oui, ça peut agacer… D'ailleurs j'ai ajouté la version
          Tom
          et
          Jerry
          pour imaginer la précocité pianistique du bébé
          Lang Lang
          fasciné par les deux Toons survoltés sur le petit écran !
  
  
       







 

Comme je te disais, le concerto n°3 de Prokofiev est un peut hermétique aux oreilles des personnes qui ne connaissent que Mozart et Beethoven. Pourtant la partition est superbe, je ne connaissais que la version de Argerich et le regretté Abbado. Pour ce qui est de Lang Lang, je le découvre. Je ne dis pas que c'est un pianiste mauvais ( loin de moi cette idée) mais la version de la rhapsodie Hongroise de Liszt me déplait fortement, comme tu le dis, ça m'agace un max ! Il en fait vraiment trop !
RépondreSupprimerC'est un peu pour cela que je l'ai mis, un peu de provoc' de ma part :o) Maggy a réagi de la même manière. Cela dit en écoutant le CD sans voir le gaillard, y a pas à dire.... ça le fait !!!
RépondreSupprimerBonsoir cher chroniqueur,
RépondreSupprimerJe vous propose une alternative de choix sur ce 3ème concerto de Prokofiev: Byron Janis accompagné de Kondrashin et de l'orchestre de Moscou, capté en live par Mercury. Je vous encourage à en lire le livret qui rapporte une anecdote for amusante au sujet de ce concert.
Merci Sylvain de mentionner ce disque. En effet une version survoltée et quelle prise de son !!!
RépondreSupprimerHélas peu disponible sur le marché...