LE
LOUP DE WALL STREET est la cinquième collaboration de Martin Scorsese et
Léonardo Di Caprio. Cette fois, ils en sont tous les deux producteurs. Qu’un
acteur soit à l’origine d’un projet n’est pas nouveau. Déjà, les Bogart, Wayne,
Douglas, Lancaster, et plus tard les Nicholson, les Beatty, avaient mis leur
poids dans la balance. Hollywood n’a jamais été le règne des réalisateurs. Rappelons
que l’oscar du meilleur film est remis au producteur. Et pour être sûr qu’un
metteur en scène ait son indépendance artistique, face à la suprématie des
studios, les stars coiffaient leur casquette de producteur. Et s’assuraient les
royalties en cas de succès… Malgré sa renommée et son talent, un type comme
Scorsese ne décide plus des films qu’il veut tourner. HUGO CABRET était une
commande. Son seul nom ne suffit plus. Celui de Di Caprio, oui. C’est donc lui qui achète les droits du livre autobiographique de Jordan Belford, et
propose le projet à Scorsese. Aussi excessifs qu'ils paraissent, les évènements de cette histoire sont donc réels...
Scorsese
revient à un genre qu’il maitrise bien : la fresque. Grandeur et décadence
dans le monde des voyous. La construction renvoie à CASINO, et aux AFFRANCHIS.
On y retrouve un long récit (2h45), la voix off, le flashback, la paranoïa, les
personnages mis sous surveillance par le FBI, l’explosion de la cellule
familiale, divorce, guerre pour la garde des gosses… Du déjà vu, sauf qu’ici
les voyous ne viennent pas de la Mafia, mais de la haute finance. Scorsese
filme ses traders comme ses gangsters. Et le film ne s’apparente plus à une
tragédie antique (souvenez-vous de CASINO, et La Passion de St Mathieu, les
violons de Delerue) mais à une farce. Scorsese avait déjà gouté au genre dans
LA VALSE DES PANTINS.
Les
premières minutes nous plonge dans un univers qu’on connait bien, voix off,
riff de blues. On commence par « Dust my broom » (pas le plus mauvais
choix), la musique est supervisée comme toujours par Robbie Robertson, ex de
THE BAND, rencontré à l’occasion de THE LAST WALTZ). On entendra « Boom
boom », ou « Respect », « Mrs Robinson » version punk
rock (et oui, le temps de l’insouciance pop-folk est enterré) et même « Ça
plane pour moi » !! Le film démarre à 100 à l’heure, présentation de
Jordan Belfort, 22 ans, apprenti courtier, qui gagnera ses galons quand la
banque qui l’emploie dépose son bilan. Il décide de monter son affaire, minable
au départ, avec une bande de guignols, à vendre des actions de 6 cents. Sauf
que vendre des produits pourris aux pauvres incrédules, c’est bien, mais en
vendre aux riches c’est mieux. Il ne s’agit pas d’équité sociale, mais
simplement de prendre dans les poches qui contiennent le plus. L’argent. Le
nerf de la guerre, de la vie, pour Belford. Quand Belford nous expose par le
menu toutes les drogues qu’il prend, on le voit finir par sniffer de la coke
avec un billet. Sa meilleur dope. Pas la coke. Le billet !
L’argent
permet tout. Il achète tout, y compris les femmes, y compris les banquiers (surtout
en Suisse, avec Jean Dujardin dans le rôle), y compris le FBI. Enfin, pas
toujours, là, Betford tombe sur un os. Un agent qui l’a dans le collimateur.
Jordan Belford, grisé par le succès, se croit invincible. L’homme n’est pas
très malin. Encore moins sympathique. Alors qu’il avait l’occasion de faire
profil bas après ses ennuis avec la C.O.B. il persiste et signe, et perdra
tout. Belford n’a pas de recul. Il ne semble pas en mesure d’analyser sa
trajectoire, de prévoir les coups. On croit voir une success story, mais Scorsese
filme le parcours d’un looser. Denham, du FBI, a cette réplique : d'habitude j'arrête des fils à papa, qui reprenne l'héritage familial. Vous, vous vous êtes fait tout seul... D’ailleurs, tout au début, dès sa première
embauche, un type lui explique qu’il n’est qu’une sous raclure de merde. Scorsese
reste flou sur les aspects techniques, financiers. Ce n’est pas un décryptage du
CAC 40. Dans un plan, Belford commence à nous expliquer sa tactique, et
brusquement, regard caméra : vous ne pigez rien ? Ce n’est pas grave…
On n’est pas dans un documentaire.
Le
film est excessif jusqu’à la nausée ! Le petit Marty frappe fort ! Ce
ne sont que partouzes à répétition, montagnes de coke, kilos de pilules, et
hurlements. Jordan Belford s’adresse à ses employés en hurlant dans son micro,
comme une rock star, mais davantage comme un gourou, un prédicateur qui scande
son sacerdoce à ses ouailles, qui le suivent aveuglément, célébrant dans des
cérémonies païennes leur foi envers le dieu dollar. Tout le monde souhaite
gagner de l’argent, dit Belford. Non, pas les Amish, eux ils veulent juste
fabriquer des meubles en bois, rétorque un pote. Réplique ironique, mais qui en
dit long sur l’asservissement à l’argent. Plus on en a, plus on en veut, plus
on veut le faire savoir, et en même temps, le soustraire, le cacher, par des
moyens que seul l’argent, justement, permet !
Dans
cette débauche de scènes excessives (les séquences au bureau vont très, loin la
femme à qui on rase les cheveux met mal à l’aise) quelques moments de répit,
avec trois scènes de dialogues, longues, et admirablement construites. Au
début, le déjeuner avec Matthew McConaughey (extraordinaire avec son brushing
irrésistible), qui fera date. Apparemment en partie improvisée. Ou l’échange
entre Belford et l’agent Denham, sur le bateau, où chacun avance
masqué. Ou cette discussion à propos du règlement exact du lancer de nains, scène
presque tarantinesque.
Scorsese
se caricature-t-il lui-même ? Les détracteurs pourraient le penser. Mais
je crois qu’il adapte son style au genre (la farce, donc, le grotesque) et
aussi à son époque. On a l’impression que si les héros de MEAN STREET (1973)
avaient grandi deux décennies plus tard, ils auraient donné ça, filmé comme ça.
Scorsese ne porte pas de jugement moral. Pas besoin. Les personnages se
condamnent eux-mêmes par leurs comportements. Quand on bout de 2 minutes de
film, Di Caprio sniffe sa coke sur le trou du cul d’une blonde, ça en dit long
sur les exigences du monsieur ! Et puis la crise économique est passée par
là entre temps. Pas besoin d’expliquer où ce genre d’agissements, de
philosophie peut mener.
Mais à force de caricature, les personnages perdent en
consistance. Belford n’évolue pas. On pourra reprocher cet aspect. Dans CASINO,
LES AFFRANCHIS, les personnages avaient de l’épaisseur, même camée jusqu’aux
yeux, la Sharon Stone de CASINO faisait vivre son rôle, on ressentait de l’empathie,
escrocs ou pas, tueurs ou pas, le spectateur faisaient corps avec eux. Il y
avait des enjeux personnels, sentimentaux. Ici, Scorsese ne nous en donne pas l’occasion.
Même le père de Jordan lui sert la soupe (joué par Rob Reiner), car il bouffe au passage. C’est sans doute la limite du film, parce qu’ils sont tous bêtes, méchants,
grossiers, vulgaires. De même qu'on ne retrouve pas le thème de la rédemption, chère à notre italo-américain préféré. N'y aurait-il rien à sauver chez ces gens-là ?
Martin
Scorsese nous bluffe encore sur sa capacité à narrer son intrigue. C’est
fluide, rythmé, inventif, drôle. La scène de l’overdose au « Lemon »
périmés est grandiose, ou les scènes dans l'avion ! Tout est centré sur Belford, et Di Caprio est de tous les plans, sort
évidemment la grande prestation, donne de sa personne ! Il ne bouffe
pas le film pour autant, les seconds rôles sont nombreux, même si celui de sa
femme aurait mérité d’être mieux écrit. L'actrice est jolie, c'est à peu près tout... Mention pour son pote Donnie, que Joe
Pesci aurait pu jouer y’a 20 ans, là c'est Jonah Hill, et il est formidable, déjanté et inquiétant, ou la tante Emma, jouée par Joanna Lumley (la Purdey de Chapeau Melon) bourgeoise british pas si digne
que ça !
Je viens d'aller le voir: "Pu*ain d' bord*l de m*rde !!!!" comme dirait l'autre. Il y va fort le Belfort. Très fort même.
RépondreSupprimer"Welcome to the Jungle" chantaient les Guns and Roses à la même époque. Tu l'as dis bouffi !
Pas franchement ce qu'on appelle un "spectacle familial", hein ?!!! Lu une interview de Di caprio qui rappelait tout le mal à monter financièrement le projet, car ils voulaient faire (je cite) "un film adulte, pour les adultes, et ça à Hollywood, c'est quasiment une insulte !".
RépondreSupprimerAi vu le film également. Faut quand même rappeler que Di Caprio s'est "battu" avec Brad Pitt pour avoir les droits du bouquin pour en faire un film. Il devait quand même savoir où il allait...
RépondreSupprimerDu mal à comprendre ceux qui lui font un "procès" quant à l'apologie du personnage!! Comme tu dis y'a "rien à sauver chez ces gens-là". D'ailleurs ils se bouffent entre eux à la fin et l'autre il continue de faire du fric en tenant des conférences. Faut les faire piquer à la naissance...
Film qui fait douter sur la nature humaine, La Vie Rêvée de Walter Mitty m'a redonné le sourire, pas parfait mais avec l'idée à retenir: cesser de constamment vouloir tout prendre en photo ou filmer, mais juste profiter du moment présent.
Apologie... Le mot à bannir !! On ne peut plus rien dire, montrer, filmer, sans que cela devienne une apologie !! Parce que c'est sur un écran, c'est donc forcément vrai (et l'acteur y se drogue vraiment ???) les spectateurs ne seraient plus doués de recul, d'analyse, de pensée... Quelle misère ! C'est ce que disait Di Caprio, on ne peut plus faire des films adultes, pour des adultes...
RépondreSupprimerWalter Mitty ? Mes gosses voulaient le voir, pas trouvé le temps de les emmener. Seul, j'étais un peu frileux...
Oh ! moi tu sais Juan Loco, la nature humaine pour ce que j'en pense... Elle revêt si souvent pour moi tout ce qu'il y a de plus abjecte, de cruelle et de fourbe...
RépondreSupprimerDe temps à autres toute fois, quelques éclairs de bonté et de génie la traverse ici ou là. Faut bien que la connerie se repose, elle aussi, de temps à autre.
Quant au film "La vie rêvée de Walter Mitty", je n'ai pas su qu'en penser. Je m'attendais tellement à quelque chose de plus enlevé, de plus naïf, de plus fou (drôle) dans son récit... En réalité je crois que je m'attendais a voir une comédie, alors que ce n'en n'est (pour moi) pas vraiment une.
Le film est bien plus souvent sombre que son contraire. Il montre si fortement à quel point, dans le monde du travail d'aujourd'hui, les valeurs et les compétences humaines (individuelles ou non) n'intéressent plus grand monde, et surtout pas les nouveaux décideurs,tous ces jeunes loups aux dents longues.
Putain de siècle !