samedi 15 juin 2013

PHILIP GLASS : Etudes et Metamorphosis pour piano - par Claude Toon



- Ahhh Monsieur Rockin', Monsieur Toon m'a demandé de vous faire signer une demande de travaux…
- Des travaux Sonia ? Où ça ?
- Enlever le plafond dans le hall pour faire une grande Mezzanine…
- Heuuu mais... mais… pour quoi faire ? Il ne m'en a rien dit… Et puis en ce moment il y a les anciennes affiches pour la présidentielle… en souvenir...
- Accrocher un grand tableau, un immense portrait… Attendez, j'ai la photo dudit tableau, ….etttt… leeee devis… sur frais de fonctionnement il parait…
- QUOIIIII !? Faites voir le devis mon petit … Arg gla bli glug, que ka…
VBLOUUUMMMM !!!!!!
- Madame Foxyyyyy, Madame Elodiiiiie, viiiite aidez-moi…. Monsieur Rockiiiiin vient d'avoir une attaque………

Il y a bien du bruit dans le couloir ce matin. Bon, ça ne doit pas me concerner, je verrai plus tard. J'ai préparé une petite surprise pour la déco en rapport avec cette chronique. Vous en connaissez beaucoup, vous, des compositeurs et artistes qui ont leur portrait de 12 m2 de leur vivant ? Remarquez, Philip Glass est un artiste tellement éclectique que sa route ne pouvait pas ne pas croiser celle du peintre hyperréaliste Chuck Close. Bien, d'abord, petite histoire personnelle…
Je faisais partie des 2000 privilégiés qui ont pu assister au concert Patti Smith - Philip Glass le 21 janvier 2011 Salle Pleyel. Les deux artistes rendent régulièrement hommage à Allen Ginsberg, leur ami et sulfureux poète mort en 1997 : lecture des textes par une Patti Smith transfigurée accompagnée avec humilité par Philip Glass et le guitariste Lenny Kaye, et même la fille de Patti, jeune pianiste pour assurer la succession. Voilà pourquoi éclectisme rime avec Glass. C'est en commentant sur le net la 9ème  symphonie consacrée par Glass au poème "Plutonium Ode" de Ginsberg que j'ai fait connaissance des Deblocnoteurs et que vous lisez ma prose depuis cette époque.
Donc, lors de ce fameux concert, à la place de la traditionnelle double et confuse transhumance de 2000 personnes que l'on nomme entracte, Philip Glass a préféré ne pas rompre le charme en interprétant 3 de ses études pour piano. Le Toon a été immédiatement conquis, d'où l'achat, dans la foulée, de son disque consacré à ces études, disque toujours disponible 5 ans après sa parution et sujet du jour. Il rejoignait un autre grand album de piano déjà dans ma discothèque : Metamorphosis.
Mais… pourquoi elle crie comme cela Sonia ??

Philip Glass, compositeur et humaniste
Philip Glass est né en 1937 à Baltimore. Il faudra plus d'une chronique pour évoquer la richesse hors norme du travail de l'un des compositeurs les plus influents de la musique de notre temps. Pape de la musique minimaliste et répétitive, des recherches électroacoustiques les plus avancées, Glass se définit cependant comme un compositeur classique ayant étudié Bach et Schubert et bien d'autres, un héritier de l'harmonie et du contrepoint. Il étudie la composition de 1964 à 1966 avec Nadia Boulanger à Fontainebleau.

L'homme fait grincer des dents bien des puristes, des fans de la musique "classique" formelle, jusqu'aux tenants de la musique contemporaine joyeusement hermétique, musique fort savante, mais qui n'a rien à dire au cœur. Glass est populaire dans le bon sens du terme. Du jazz, des symphonies, des oratorios, de la musique pour piano, des opéras et de la musique de film. Glass ne s'est jamais inscrit dans un dogmatisme ou enfermé dans une école avec des adeptes-courtisans.
Ses amis, on ne les compte plus dans tous les domaines artistiques et littéraires : Bob Wilson, David Bowie (dont il a fait des adaptations symphoniques de Heroes et Low – sujet à venir), Paul Simon, Patti Smith, le joueur de cithare indien Ravi Shankar ou encore Leonard Cohen et Woody Allen. Ce ne sont pas des copains de soirées, mais des moteurs de son inspiration. Philip Glass est un poète, un humaniste, un chercheur infatigable. Il peut composer à la fois pour le groupe brésilien Uatki et leurs extravagantes machines à eau, et pour le festival de Vienne. Pour ce dernier, il reçut une commande pour le "passage à l'an 2000". Cela a donné naissance à une "Création" (Symphonie N°9), pour solistes, chœur et orchestres : un ouvrage universel s'inspirant des croyances sur la genèse dans une dizaine de cultures occidentales ou orientales, le tout chanté dans des langues originelles, comme le maya. Il faut le dire, Philip Glass a parcouru et étudié les musiques de toute la planète.
Philip Glass a partagé le courant répétitif avec Terry Riley, Steve Reich et Michael Nyman ("La leçon de piano").
Donc aujourd'hui, piano. Mais je vous annonce de futures chroniques sur, au hasard, son opéra Aknaten et des musiques de films expérimentales comme Koyaanisqatsi.
Je vous propose deux disques d'inspirations assez différentes. Le premier, Métamorphosis, des mélopées répétitives et touchantes (des danseurs puisent souvent dans ce recueil des idées de chorégraphie, n'est-ce pas Maggy Toon ?). Le second, les études, plus extériorisées et diablement virtuoses.

METAMORPHOSIS

Je ne suis pas forcément un inconditionnel du style répétitif hyper minimaliste comme dans l'opéra Einstein on the Beach, une œuvre de près de 5 heure où, sur un rythme frénétique, des cellules de 2-3 sons se répètent inlassablement… pendant des séquences de 20'… Dur !
Dans Metamorphosis, le compositeur a fait évoluer son style dans une approche moins théorique et plus émotionnelle. Si la main gauche assure la cohésion rythmique et obsessionnelle de chaque pièce (et encore pas en continue), la main droite développe des phrases mélodiques délicates, une forme de clair-obscur. Ce n'est ni triste ni gai, mais étrange, poétique et secret. Il faut préciser que les  pièces 3 et 4 ont été écrites pour accompagner une mise en scène théâtrale des métamorphoses de Kafka.
Écoutées trop distraitement, ces mélodies sembleraient-elles lancinantes ? Elles ne le sont absolument pas. Le discours semble toujours vouloir suivre son cours métronomique, mais celui-ci est régulièrement interrompu par des phrases inattendues et rêveuses. Bien entendu, le fait que le compositeur, excellent pianiste, interprète sa musique est un atout. Qui mieux que lui peut descendre au fond de l'âme de cette onde sonore, de ces lumières automnales.
Tous ceux ou celles qui aiment les musiques un rien nostalgiques, mais dépourvues de gravité, devraient à mon sens aimer ce cycle d'une trentaine de minutes découpé en 5 parties. C'est tout sauf lugubre, mais alors vraiment pas !! Idéal pour méditer…
Mad Rush qui complète l'album est une longue pièce méditative écrite à l'origine pour l'orgue, puis transcrite au piano. Elle a été écrite à l'occasion d'un discours prononcé par le Dalaï Lama à New York en 1979. On y retrouve le style des metamorphosis.

C'est peut-être tiré par les cheveux, mais l'influence de Glass semble avoir gagné des compositeurs les plus divers comme Yann Tiersen. Ecoutez les études, puis le morceau "Comptine d'un autre été : l'après-midi" dans la belle B.O.F. du film Le fabuleux destin d'Amélie Poulain. Il y aurait un petit air de famille…

LES ÉTUDES 1 à 10

Certains, ceux qui n'aiment pas ce compositeur pour sa polyvalence boulimique, doivent se demander ce que l'apôtre de la musique minimaliste et répétitive vient faire dans le monde codé des études pour piano. Le genre a connu ses références : Czerny (incontournable) mais synonyme de mauvais souvenirs pour les jeunes pianistes ; Chopin, Liszt ou Debussy qui ont transcendé l'exercice dans des cahiers sublimes d'inventivité, et qui font totalement oublier le but didactique de la forme.
Ce disque est un enchantement.
Glass, dans la chiche présentation du livret, précise qu'il a écrit ces pages dans les années 90 pour se perfectionner lui-même. Cet enregistrement de 2005 fait notre bonheur. Certes on retrouve une base rythmique pseudo répétitive mais, du clavier, jaillissent les notes, les accords, un jeu d'une virtuosité totalement folle. On pourrait parler de mélodie fractale tant les surprises nous attendent de mesure en mesure.
Certaines études portent la marque des techniques minimalistes et répétitives comme la 10. D'autres comme la 8 (vidéos) nous entraînent dans un univers plus intime, celui ou les phrases se poursuivent dans une poésie nostalgique.
Dès les premières études plutôt intériorisées, l'ensemble progresse vers une joyeuseté hors norme (études 9 et 10 notamment). Pas un moment de lassitude ou de monotonie ne vient suspendre l'attention que l'on porte lors d'une écoute en continu. Ce diable de compositeur a su dompter cet univers musical.
Vidéos

Philip Glass interprète Metamorphosis 1 et le poignant Mad Rush par le compositeur himself.

Enfin, à droite, Dans un tout autre style dont le compositeur à le secret, Philip Glass a exploré avec des amis, non pas les bistrots, (quoique je n'en sais rien,) mais des univers sonores très divers et toujours attachants. Exemple : cette rencontre avec Ravi Shankar :



Metamorphosis


Etudes

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