- Ahhh Monsieur Rockin', Monsieur Toon m'a demandé de vous faire signer
une demande de travaux…
- Des travaux Sonia ? Où ça ?
- Enlever le plafond dans le hall pour faire une grande
Mezzanine…
- Heuuu mais... mais… pour quoi faire ? Il ne m'en a rien dit… Et puis
en ce moment il y a les anciennes affiches pour la présidentielle… en
souvenir...
- Accrocher un grand tableau, un immense portrait… Attendez, j'ai la
photo dudit tableau, ….etttt… leeee devis… sur frais de fonctionnement
il parait…
- QUOIIIII !? Faites voir le devis mon petit … Arg gla bli glug, que
ka…
VBLOUUUMMMM !!!!!!
- Madame Foxyyyyy, Madame Elodiiiiie, viiiite aidez-moi…. Monsieur
Rockiiiiin vient d'avoir une attaque………
Il y a bien du bruit dans le couloir ce matin. Bon, ça ne doit pas me
concerner, je verrai plus tard. J'ai préparé une petite surprise pour la
déco en rapport avec cette chronique. Vous en connaissez beaucoup, vous, des
compositeurs et artistes qui ont leur portrait de 12 m2 de leur vivant ?
Remarquez, Philip Glass est un artiste tellement éclectique que sa
route ne pouvait pas ne pas croiser celle du peintre hyperréaliste
Chuck Close. Bien, d'abord, petite histoire personnelle…
Je faisais partie des 2000 privilégiés qui ont pu assister au concert
Patti Smith - Philip Glass le 21 janvier 2011 Salle Pleyel.
Les deux artistes rendent régulièrement hommage à Allen Ginsberg,
leur ami et sulfureux poète mort en 1997 : lecture des textes par une Patti
Smith transfigurée accompagnée avec humilité par Philip Glass et le
guitariste Lenny Kaye, et même la fille de Patti, jeune pianiste pour
assurer la succession. Voilà pourquoi éclectisme rime avec Glass. C'est en
commentant sur le net la 9ème symphonie consacrée par Glass
au poème "Plutonium Ode" de Ginsberg que j'ai fait
connaissance des Deblocnoteurs et que vous lisez ma prose depuis cette
époque.
Donc, lors de ce fameux concert, à la place de la traditionnelle double et
confuse transhumance de 2000 personnes que l'on nomme entracte, Philip Glass
a préféré ne pas rompre le charme en interprétant 3 de ses études pour
piano. Le Toon a été immédiatement conquis, d'où l'achat, dans la foulée, de
son disque consacré à ces études, disque toujours disponible 5 ans
après sa parution et sujet du jour. Il rejoignait un autre grand album de
piano déjà dans ma discothèque : Metamorphosis.
Mais… pourquoi elle crie comme cela Sonia ??
Philip Glass, compositeur et humaniste
Philip Glass est né en 1937 à Baltimore. Il faudra
plus d'une chronique pour évoquer la richesse hors norme du travail de l'un
des compositeurs les plus influents de la musique de notre temps. Pape de la
musique minimaliste et répétitive, des recherches électroacoustiques les
plus avancées, Glass se définit cependant comme un compositeur classique
ayant étudié Bach et Schubert et bien d'autres, un héritier de
l'harmonie et du contrepoint. Il étudie la composition de 1964 à 1966 avec
Nadia Boulanger à Fontainebleau.
L'homme fait
grincer des dents bien des puristes, des fans de la musique "classique" formelle, jusqu'aux tenants de la
musique contemporaine joyeusement hermétique, musique fort savante, mais
qui n'a rien à dire au cœur. Glass est populaire dans le bon sens du
terme. Du jazz, des symphonies, des oratorios, de la musique pour piano,
des opéras et de la musique de film. Glass ne s'est jamais inscrit dans un
dogmatisme ou enfermé dans une école avec des adeptes-courtisans.
Ses amis, on ne les compte plus dans tous les domaines artistiques et
littéraires : Bob Wilson, David Bowie (dont il a fait des
adaptations symphoniques de Heroes et Low – sujet à venir),
Paul Simon, Patti Smith, le joueur de cithare indien
Ravi Shankar ou encore Leonard Cohen et Woody Allen.
Ce ne sont pas des copains de soirées, mais des moteurs de son
inspiration. Philip Glass est un poète, un humaniste, un chercheur
infatigable. Il peut composer à la fois pour le groupe brésilien
Uatki et leurs extravagantes machines à eau, et pour le festival de
Vienne. Pour ce dernier, il reçut une commande pour le "passage à
l'an 2000". Cela a donné naissance à une "Création" (Symphonie N°9), pour solistes, chœur et orchestres : un ouvrage
universel s'inspirant des croyances sur la genèse dans une dizaine de
cultures occidentales ou orientales, le tout chanté dans des langues
originelles, comme le maya. Il faut le dire, Philip Glass a parcouru et
étudié les musiques de toute la planète.
Philip Glass a partagé le courant répétitif avec Terry Riley,
Steve Reich et Michael Nyman ("La leçon de piano").
Donc aujourd'hui, piano. Mais je vous annonce de futures chroniques sur,
au hasard, son opéra Aknaten et des musiques de films
expérimentales comme
Koyaanisqatsi.
Je vous propose deux disques d'inspirations assez différentes. Le
premier, Métamorphosis, des mélopées répétitives et touchantes (des
danseurs puisent souvent dans ce recueil des idées de chorégraphie,
n'est-ce pas Maggy Toon ?). Le second, les études, plus
extériorisées et diablement virtuoses.
METAMORPHOSIS
Je ne suis pas forcément un inconditionnel du style répétitif hyper
minimaliste comme dans l'opéra Einstein on the Beach, une œuvre de
près de 5 heure où, sur un rythme frénétique, des cellules de 2-3 sons se
répètent inlassablement… pendant des séquences de 20'… Dur !
Dans Metamorphosis, le compositeur a fait évoluer son style dans
une approche moins théorique et plus émotionnelle. Si la main gauche
assure la cohésion rythmique et obsessionnelle de chaque pièce (et encore
pas en continue), la main droite développe des phrases mélodiques
délicates, une forme de clair-obscur. Ce n'est ni triste ni gai, mais
étrange, poétique et secret. Il faut préciser que les pièces 3 et 4
ont été écrites pour accompagner une mise en scène théâtrale des
métamorphoses de Kafka.
Écoutées trop distraitement, ces mélodies sembleraient-elles lancinantes
? Elles ne le sont absolument pas. Le discours semble toujours vouloir
suivre son cours métronomique, mais celui-ci est régulièrement interrompu
par des phrases inattendues et rêveuses. Bien entendu, le fait que le
compositeur, excellent pianiste, interprète sa musique est un atout. Qui
mieux que lui peut descendre au fond de l'âme de cette onde sonore, de ces
lumières automnales.
Tous ceux ou celles qui aiment les musiques un rien nostalgiques, mais
dépourvues de gravité, devraient à mon sens aimer ce cycle d'une trentaine
de minutes découpé en 5 parties. C'est tout sauf lugubre, mais alors
vraiment pas !! Idéal pour méditer…
Mad Rush
qui complète l'album est une longue pièce méditative écrite à l'origine
pour l'orgue, puis transcrite au piano. Elle a été écrite à l'occasion
d'un discours prononcé par le Dalaï Lama à New York en 1979. On y retrouve
le style des metamorphosis.
C'est peut-être tiré par les cheveux, mais l'influence de Glass semble
avoir gagné des compositeurs les plus divers comme Yann Tiersen.
Ecoutez les études, puis le morceau "Comptine d'un autre été : l'après-midi" dans la belle B.O.F. du film
Le fabuleux destin d'Amélie Poulain. Il y aurait un petit air de
famille…
LES ÉTUDES 1 à 10
Certains, ceux qui n'aiment pas ce compositeur pour sa polyvalence
boulimique, doivent se demander ce que l'apôtre de la musique minimaliste
et répétitive vient faire dans le monde codé des études pour piano. Le
genre a connu ses références : Czerny (incontournable) mais
synonyme de mauvais souvenirs pour les jeunes pianistes ; Chopin,
Liszt ou Debussy qui ont transcendé l'exercice dans des
cahiers sublimes d'inventivité, et qui font totalement oublier le but
didactique de la forme.
Ce disque est un enchantement.
Glass, dans la chiche présentation du livret, précise qu'il a écrit ces
pages dans les années 90 pour se perfectionner lui-même. Cet
enregistrement de 2005 fait notre bonheur. Certes on retrouve une base
rythmique pseudo répétitive mais, du clavier, jaillissent les notes, les
accords, un jeu d'une virtuosité totalement folle. On pourrait parler de
mélodie fractale tant les surprises nous attendent de mesure en
mesure.
Certaines études portent la marque des techniques minimalistes et
répétitives comme la 10. D'autres comme la 8 (vidéos) nous entraînent dans
un univers plus intime, celui ou les phrases se poursuivent dans une
poésie nostalgique.
Dès les premières études plutôt intériorisées, l'ensemble progresse vers
une joyeuseté hors norme (études 9 et 10 notamment). Pas un moment de
lassitude ou de monotonie ne vient suspendre l'attention que l'on porte
lors d'une écoute en continu. Ce diable de compositeur a su dompter cet
univers musical.
VidéosPhilip Glass interprète Metamorphosis 1 et le poignant Mad Rush par le compositeur himself.
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