LA TRILOGIE DU GHETTO
LIVRE II : « TRICK BABY, THE STORY OF
A WHITE NEGRO »(1967)
Il y
a peu de temps, je vous parlais de mon choc à la lecture de “Pimp, mémoire
d’un maquereau”, de Iceberg Slim (click!)
Dans
« Pimp », le lecteur baignait dans une ambiance moite et
bling-bling faite de sexe, de drogues, de prostituées, d’argent facile et de
belles Cadillac, avant d’entamer une lente descente aux enfers avec son
protagoniste. Violent, mais simplement génial, il est difficile d’aborder un
autre auteur après Slim, car on entre dans un univers qu’on a beaucoup de mal à
lâcher, même si cet univers nous dérange.
Dans
« Trick Baby », il nous livre l’histoire de Johnny
O’Brian, alias White Folks, un blanc-noir, fils du mariage d’une
noire et d’un irlandais blanc, rejeté de toute part, un as de l’arnaque et du
bluff.
Le roman
démarre en prison. Iceberg Slim y purge sa peine et tente de ne pas sombrer
dans la folie… Un nouveau détenu arrive alors dans sa cellule. Blond, yeux
bleu, « un sosie de Errol Flynn ». Slim est
d’abord méfiant, les blancs, très peu pour lui, tous des faux jetons. Après une
petite présentation, il découvre que son nouveau compagnon n’est autre que White
Folks, connu aussi sous le nom de Trick Baby, un arnaqueur de haut
vol, ami et partenaire de Blue Howard.
Une fois de plus, dans « Trick
Baby » Iceberg Slim ne fait pas dans la dentelle : de la jeunesse
difficile et esseulée de Johnny, au viol de Phala (sa mère) en passant
par les affres de l’alcool et bien évidemment, en thème principal, le racisme
et la ségrégation, qui rongent l’Amérique des années 40.
Même s’il nous arrive de sourire
de certaines situations, comme celle de White Folks en train d’espionner les
ébats amoureux de deux lesbiennes, et se dire qu’il n’est qu’un rustre qui ne
comprend rien aux femmes, « Trick Baby » aborde des questions
cruciales, toujours sans fard et sans concession.
Alors qu’il n’est encore qu’un
jeune garçon, rejeté des noirs de son quartier qui le nomment « Trick
Baby » (fils de passe), sa mère, Phala, lui dit « Vois-tu
mon cœur, ce monde est en réalité deux mondes. Il y a le blanc et le noir où
nous vivons. Ne te laisse pas abattre par la haine et la laideur… ».
Après le viol de sa mère, Johnny
est recueilli par Blue Howard et une bande d’escrocs du ghetto, qui vont
l’initier au métier qui est le leur : pile ou face, loterie truquée et faux
diamants. Argent facile, Cadillac, costume sur mesure, prostituée à la demande,
comme dans « Pimp », on navigue en eaux troubles.
Tout semble bien rodé jusqu’au
jour où White Folks et Blue Howard prennent pour cible le vieux Frascati,
lié à Nino, un parrain de la mafia.
Je ne vous révélerai pas les
secrets de ce 2ème opus de cette trilogie du ghetto, mais je vous
dirai que, comme pour « Pimp », il existe ici de quoi régaler
n’importe quel amateur de grands romans. Bien évidemment, on est loin de cette
littérature sirupeuse et formatée qu’on nous vend impunément en criant au
génie, mais au moins, et même si c’est politiquement incorrect, il se passe quelque
chose !
A noter que certains passages
sont bouleversants, comme celui où Johnny rend visite à sa mère en institution
psychiatrique après qu’elle ait été violée. Comment rester de marbre lorsqu’il
découvre qu’elle s’est éteinte et qu’il n’était pas là pour elle ?
D’autres passages, en revanche, nous révoltent et nous
font hurler intérieurement.
Je parle du chapitre « Les haineux », où
la femme qu’aime White Folks, Camille Costain, surnommée « La
Déesse », une blanche ultra-raciste et hautaine, explique à son père,
en présence de son amant dont elle ignore les origines raciales, à quel point
il lui paraît inconcevable de voir un noir avec une blanche, et qu’il faut agir
afin que ce genre d’animal n’aille point souiller des jeunes femmes de bonne condition :
« Nous avons été témoin d’une scène affligeante. Un nègre adulte
soumettait une très jeune fille blanche aux choses les plus dégradantes. »
Ce chapitre est mémorable, puisqu’il révèle un des poison de cette Amérique
d’après guerre, à savoir le racisme, et surtout le mépris et la haine dont ont
été victime les populations noires, avec les souffrances et la misère qui en
découlaient. Quelle autre issue pour des jeunes que de sombrer dans le crime ou
la prostitution quand de toute façon on ne nous laisse aucune chance ?
Enfin, je n’oublierai pas
d’évoquer le démon de l’alcool. Dans « Pimp », Iceberg Slim
décrivait ses errances et sa dépendance aux drogues dures. White Folks, lui,
est rongé par cette « saloperie de sac à malice » (petit
surnom donné à l’alcool dans le livre). Encore une fois, tout y passe :
perte des facultés de raisonnement et d’analyse, hallucinations, crises de
manques et humiliations jusqu’au sevrage final.
Etrange et fascinant donc que le
parcours de ce blanc, fils d’une union mixte, qui se lie d’une belle amitié
avec un homme qui va être un père et associé (Blue Howard), qui s’éprend d’une
femme méprisable rongée par le racisme qu’il ne cessera pourtant d’aimer (La
Déesse), et qui est capable de lire du Socrate ou du Shelley entre 2 arnaques.
« Trick Baby » à
été adapté en 1972 par Larry Yust, avec dans les rôles principaux Kiel
Martin (White Folks) et Mel Stewart (Blue Howard), film qui
s’inscrivait dans le courant de la Blaxploitation (contraction de Black
et exploitation), un genre qui a connu le succès auprès des afro-américains, bien que bourré de clichés et stéréotypes.
Mais ce courant cinématographique des années 70 a revalorisé l’image des noirs au cinéma en
les faisant passer au premier plan, avec des thèmes qui leur tenaient a cœur.
Ces films étaient très appréciés de la communauté black d'Amérique puisqu’ils
montraient des hommes fiers et libres de leur choix de vie. A savoir que ce
courant a influencé certains réalisateurs, comme Quentin Tarantino,
qui a rendu hommage au genre dans « Jackie Brown » en 1997. (A lire d'ailleurs la chronique de Luc sur le sujet: cliquez ici brothers and sisters )
« Trick Baby »
est un roman âpre, sombre et très réaliste, foisonnant de dialogues savoureux
et sans fioritures. Lorsqu’on tient un tel roman entre ses mains, on se dit
qu’on ne lira pas toujours des livres d’une telle envergure, donc on apprécie…
Une claque littéraire à ne pas
manquer !
A bientôt pour l’ultime
volet de cette trilogie du ghetto, « Mama Black Widow »,
l’histoire d’un travesti noir..
c'est vrai que "Pimp, mémoire d’un maquereau" est un sacré bouquin. Je vais donc m'empresser de lire ce "Trick Baby" si bien mise en valeur par cette chronique
RépondreSupprimerMerci Guy, et en effet, vous ne serez pas déçu.
RépondreSupprimer