samedi 16 mars 2013

MENDELSSOHN : Sextuor et Quatuors pour cordes et piano – par Claude Toon



- Bonjour M'sieur Claude… Tiens… de nouveau Felix Mendelssohn… Vous aviez déjà commenté le Songe d'une nuit d'été me semble-t-il…
- En effet Sonia, et j'avais précisé que sa musique de chambre est de première importance…
- Un gamin surdoué le petit Félix si je me rappelle bien de votre texte !
- C'est le moins que l'on puisse dire, le sextuor et les quatuors avec piano ont été composés avant ses seize ans ! L'âge d'être en 2nde au lycée…
- Des cordes et un piano, surement de la musique intimiste, je suis impatiente d'écouter cela…


Félix Mendelssohn et le romantisme
Il est bien dommage que Mendelssohn soit relégué à un rang inférieur dans l'histoire de la musique, par rapport aux génies officiels comme Chopin ou Schubert, pour citer des quasi contemporains.
Le public aimerait-il les créateurs plutôt maladifs, esseulés et miséreux ? Un compositeur doit-il jaillir d'un roman d'Eugène Sue ? On est en droit de s'interroger. Est-ce à cause de son talent précoce, ses origines juives, sa naissance dans une famille aisée dans laquelle tout pouvait lui sourire, que l'on conteste son statut de grand compositeur ? Je laisse musicologues et historiens discourir sur le sujet. D'ailleurs Mendelssohn connaîtra une fin tragique à 38 ans, incapable de surmonter le deuil de sa sœur aînée Fanny. Tout cela a été conté dans la chronique consacrée à la musique de scène "Le Songe d'une Nuit d'été" (clic).
Je préfère ne pas m'attarder de nouveau sur la biographie, mais commenter une paire de très beaux disques (même si ce ne sont pas des nouveautés : 1995), consacrés à quatre œuvres de musique de chambre peu connues, hélas. Car l'œuvre (au masculin) de Mendelssohn, ce n'est pas uniquement "Le songe d'une nuit d'été" et un célébrissime "Concerto pour violon"…
Le Quatuor Bartholdy

Le Quatuor Bartholdy est un ensemble fondé en 1968 par des professeurs du Conservatoire de Karlsruhe. Les membres changent fréquemment. Pour les enregistrements de ces deux albums, la formation ne comprend que trois cordes qui vont s'associer à un pianiste : Jörg-Wolfgang Jahn au violon, Mathias Bucchholz à l'alto, Franco Rossi au violoncelle. Le quatuor au complet ayant déjà enregistré l'intégrale des quatuors de Mendelssohn, répertoire pour lequel la discographie est fort riche, l'idée de graver ce sextuor et ces 3 quatuors du jeune compositeur est excellente. Les disques consacrés à ces ouvrages juvéniles, qui sont tout sauf des brouillons d'écolier, ne sont pas légions. Merci à Naxos, le label anglais toujours prompte à sortir de sentiers battus, et de nous proposer des CDs à des prix… toujours très accessibles. Un bon point supplémentaire, pour une fois chez Naxos, le livret est fourni en français…
Le pianiste italien, Pier Narciso Masi, né en 1938, élève d'Edwin Fischer (clic), est peu médiatique ! En effet, sa passion est la participation à la musique de chambre avec piano. Ce n'est pas un excellent moyen de se faire un nom dans le gotha du classique qui attend toujours des prouesses pianistiques dans des récitals solo nourris de Chopin, Liszt… Il s'est associé à cette aventure qui nous fait découvrir, entre autres, les rarissimes quatuors de jeunesse. Il s'investit beaucoup comme professeur à Florence.
Le sextuor d'un ado de quinze ans…
Bien que portant le numéro d'opus 110, le sextuor pour violon, 2 altos, violoncelle, contrebasse et piano est une œuvre de jeunesse écrite vers 1825. Cette instrumentation atypique ne vous fait-elle pas penser à un autre grand chef-d’œuvre de la même époque ? Oui évidement, le quintette "La Truite" du grand Franz Schubert à un alto près ! (clic) Notre jeune compositeur de 15 ans ne manquait donc pas d'idées nouvelles et tournait déjà le dos aux formations plus classiques.
Quelle vie joyeuse et insouciante dès les premiers thèmes du premier mouvement ! Contrairement aux quatuors pour piano, le sextuor est écrit dans une tonalité enthousiaste, le ré majeur. Avec attention, on peut y discerner les prémices de la magie de l'Octuor pour cordes Opus 20 qui sera composé la même année ! Les mélodies entre cordes tournoient allègrement autour du piano qui semble ravir la vedette dans ce grand mouvement initial. Il règne un subtil équilibre entre les pupitres, une soyeuse douceur romantique.
Le quatuor Bartholdy et leurs deux compères, Andra Darzins à l'alto et Wolgang Wagner à la contrebasse, jouent la carte d'un romantisme dénué de toute affectation : un jeu clair, une belle souplesse élégiaque, deux qualités qui siéent parfaitement à une œuvre empreinte de jeunesse. La contrebasse sait se faire discrète.
Les six musiciens excellent de même dans le cours adagio, nocturne et mozartien dans sa facture. Il est vraiment étrange que ce sextuor d'une écoute facile (mais sans facilité ni mièvrerie) et immédiatement émouvante ne soit pas plus enregistré. Mystère.
Le menuetto très court, pour alléger l'ouvrage, se fait facétieux et introduit un joyeux allegro final. Là encore le sens du rythme et une certaine éloquence flirtent avec de la malice et nous rapprochent de l'Octuor dans son esprit.



Un trio de Quatuors pour débuter dans le métier…
Le Quatuor Opus 1 a donc été écrit par un enfant de 13 ans en 1822. Les premières notes sombres au violoncelle nous rappellent que le mode mineur domine. Oh, ce n'est pas une œuvre grave, et découvrir une telle richesse mélodique chez un compositeur aussi jeune est stupéfiant. Le discours est certes moins assuré que dans le sextuor écrit 2 ans plus tard mais ce quatuor s'écoute là encore avec aisance, la thématique se révèle avec immédiateté et ne peut laisser en aucun cas indifférent. Le mode mineur, que l'on retrouve dans les trois quatuors, créent un climat élégiaque. L'adagio, lui, est en mode majeur, ce qui lui confère la sérénité nocturne d'un ciel étoilé. Le Scherzo est guilleret et la verve du final remise au second plan l'évident manque d'ambition du propos. Le jeune homme maîtrise thèmes et construction "comme les grands", voire mieux (pas de noms). Il distribue de-ci de-là des solos à chaque protagoniste. Rêveur et ravissant…
Un second album a été gravé par les mêmes interprètes, dans la continuité, avec au programme les quatuors 2 et 3. Merci encore à Naxos, mais un peu plus d'imagination pour les jaquettes aurait été un plus. Franchement ! Tu en penses quoi Vincent ? Ces gravures bistre sont d'une tristesse… et hors sujet total par rapport à la musique !
Le Quatuor Opus 2 est écrit en 1823 et dédié au professeur de Felix, Carl Friedrich Zelter. Encore une tonalité qui devrait être sombre : le la mineur. Les premiers accords de l'introduction Allegro évoquent le style du compositeur à venir. Une fois encore le piano semble jouer un micro concerto avec trois instruments à cordes. Mendelssohn semble chercher ses idées... et pourtant la vivacité dans les reprises surprenantes sont de la veine d'un jeune génie. C'est très vivant, les interprètes veulent que la page reste intimiste, presque enfantine. L'adagio nous plonge dans l'univers de Mozart. Les phrases se font galantes, le piano plus discret. Le jeune Mendelssohn déploie des méandres mystérieux entre les cordes, fait appel à une écriture plus sophistiquée que chez son génial prédécesseur. Sacré gamin !! Le scherzo noté Allegro moderato se fait berceuse et est suivi d'un allegro final précipité et farceur, quoique un peu long et répétitif.
Le Quatuor Opus 3 date de 1824 et 1825 et est achevé avant les seize ans du compositeur. Il est dédié à Goethe que l'adolescent avait rencontré. L'allegro molto montre déjà plus de maturité dans la richesse du dialogue entre le piano et les cordes. Tonalité de si mineur, langoureuse mais aucunement grave. Le mouvement est très imaginatif, brillant, les mélodies s'enchaînent avec plus de richesse et de variété que dans les deux premiers opus. Trois années ont passé depuis l'opus 1, Mendelssohn, d'apprenti talentueux est devenu un maître. C'est le piano qui énonce le premier thème de l'Andante d'une grâce "classique", à l'opposé des violences mélodiques qui se bousculeront dans l'ultime quatuor Opus 80, 20 ans plus tard, une œuvre en forme de requiem pour Fanny. L'allegro molto est lui aussi plus travaillé que dans les opus précédent. On y décèle comme un humour à faire virevolter les motifs musicaux. Le long final s'élance avec une passion qui annonce l'octuor et n'est pas sans rappeler Schubert.
J'ai cité Mozart et Schubert. Attention de ne pas se méprendre. A défaut de perfection formelle et de génie assuré, il y a une jeune sève dans ces pages fort agréables à écouter pour chasser le blues. Merci aux artistes de nous avoir rendu aussi passionnantes ces jolies partitions.

Vidéos

1 – 3 : L'allegro, l'adagio-menuetto et  l'allegro final (bref l'intégrale en trois vidéos) du Sextuor en concert en 2009 à Verbier, un ensemble d'artistes motivés avec la ravissante et talentueuse Yuja Wang au piano, une virtuose que nous avons croisée dans le deblocnot (clic).  Donc : Yuja Wang (piano), Kirill Troussov (violon), David Aaron Carpenter (alto), Maxim Rysanov (alto), Sol Gabetta (violoncelle) et Leigh Mesh (contrebasse). Un enregistrement disponible en DVD.
4 – L'adagio du quatuor N°2 par le Schubert Ensemble de Londres



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