vendredi 9 mars 2012

BRUCE SPRINGSTEEN - "Wrecking Ball" - (2012) par Luc B.



WRECKING BALL est le 17ème album studio de Bruce Springsteen, et fait partie de ses albums en rupture, comme NEBRASKA (1982), THE GHOST OF TOM JOAD (1995), ou WE SHALL OVERCOME (2006). Un album enregistré dans d’autres conditions, c’est-à-dire hors du strict rayon du E STREET BAND, et d’inspiration world-folk. Springsteen a toujours été assez revendicatif dans ses chansons, mais on remarque que lorsqu’il veut frapper plus fort, il utilise la folk music. Folk est d’ailleurs assez réducteur ici (c'est pourquoi je viens d'inventer la world-folk !), puisque les arrangements de ces nouvelles chansons vont puiser aussi bien dans la soul, le gospel, la musique celtique, chicanos, et le... hip-hop. Peuple du monde, unissez-vous, semble nous dire le héros du New Jersey ! Il avait confié à son pote du Michigan Bob Seger (croisé sur la scène du Madison Garden pour  un duo sur « Old time Rock’n’ roll ») que son nouvel opus allait surprendre. C'est peu dire. Et heureusement, il nous surprend dans le bon sens.  

Comme à son habitude, ce disque dresse un état des lieux de l’Amérique à travers une déclinaison de portraits, de petits scénarios. Dans une récente conférence de presse, (à laquelle, par erreur sans doute, je n'étais pas convié) Springsteen expliquait que son boulot consistait à « confronter ce qu’on nomme le rêve américain, avec la réalité américaine ». WRECKING BALL est un album particulièrement noir, sombre, désespéré, qui débute par une question : avons-nous encore la faculté de prendre soin de nous (« We take care of your own »).

La réponse se trouve dans les chansons qui suivent, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle n’est pas porteuse d’espoir ! Dès le deuxième titre « Easy money » on retrouve un couple qui se prépare à sortir en ville. Les phrases nous sont familières « Put yout hat on, put your dress on… » mais pour se faire de l’argent facile, le couple en question part avec un Smith et Wesson .38… La chanson titre (écrite en 2009) évoque les wrecking balls, les boules de démolition qui s’attaquent à un stade, lieu de communion populaire, et le réduisent en gravas. Métaphore évidente pour désigner les conséquences d’une politique toujours tournée vers le tout financier, et qui a détruit la vie de millions de personnes. Springsteen nomme les coupables, plusieurs chansons s’acharnent sur les spéculateurs, les banquiers, que les personnages de ses histoires iraient volontiers descendre à coup de flingue. Dans "Death to my hometown" il est dit : "il n'y a pas de canon, de fusil, de poudre, d'explosion, pas de tonnerre meurtrier, mais si je suis sûr d'une chose, c'est qu'ils ont apporté la mort avec eux". Constat de classe dominante indéboulonnable dans « Jack of all trades » où le personnage se lamente : « The banker man grows fatter, the working man grows thin / It’s all happened before and it’ll happen again » et qui se conclut par « If I had me a gun, I’d find the bastards and shoot ‘em on sight »… Qu'on peut traduire par : les banquiers s'engraissent quand les ouvriers maigrissent, cela a toujours été, et le restera, si j'avais un flingue, j'irai leur faire sauter la tête à ces ordures...

On retrouve aussi une certaine mystique, attachée au personnage de Springsteen, par les arrangements et les choeurs gospel bien sûr, mais aussi dans les textes, les suppliques et invectives (qu’il ne manquera pas de lancer sur scène !). Springsteen n’est pas un homme de foi, mais il déclarait qu'étant jeune, comme beaucoup de gamins, il avait eu « le cerveau lavé au catholicisme, et que même 60 balais plus tard, ça laissait encore des traces ! » Catholique un jour, catholique toujours, s’amuse-t-il ! Alors y a-t-il tout de même un espoir ? La dernière chanson le laisse entendre avec « We are alive » mais a bien regarder le texte, on y parle de cadavres dans la tombe...  Tiens, juste pour le fun, pour vous remonter le moral, le début de « This depression » : « baby, I've been down / but never this down / I've been lost / but never this lost / baby, I've been low / but never this low / I've had my faith shaken / but never hopeless »…

Groupons nous et demain, l'Internationale sera l'avenir du rock !
Musicalement parlant, l’album rompt avec les derniers opus enregistrés avec le seul E STREET BAND, et salopés par… euh pardon… produits par Brendan O’Brien. On croise vite fait Little Stevie, Max Weinberg, Patti Scialfa. Cette fois Springsteen reprend les commandes, épaulé par Ron Aniello. Et ils ont vu les choses en grand, avec une bonne cinquantaine de participants, des choristes en veux-tu en voilà, des cuivres, des violons, des percus, flûtes, cornemuses (« Death to my hometown » que j’aime bien, mais « This depression » est un peu plombée, surtout avec cette batterie énôôôrme)… Cela aurait pu être indigeste, miraculeusement, ça ne l’est pas. L’album est très bien produit. Sauf que moi, ben, ça me gêne toujours un peu ces arrangements.

Je sais que Springsteen a toujours été fan des productions Phil Spector, que déjà pour le titre « Born to run » (1975) il avait monté son petit mur du son, c’est sous l’influence notamment de Steve Van Zandt qu’il avait considérablement simplifié ses arrangements. Plusieurs départs de chansons laissent présager du pur folk-rock ("You 've got it" fait preuve d'une grande sobriété par rapport à ses voisines, dominée par une guitare slide), et puis patatras, c’est quinze musicos et choristes qui débarquent ! Mais j’avoue aussi qu’un banjo par-ci, une trompette par-là, un accordéon, donnent des couleurs différentes à chaque titre.

Par contre, le truc qui m’agace au plus haut point, c’est le collage de petites boucles électro. Sur « Land of hope and dreams » pourquoi n’entend-on pas le bois d’une baguette sur le cercle de métal d’une caisse claire, au lieu de ce truc indéfinissable ? Merde, quoi ! (pardon, je m’emporte…). Ecoutez la simplicité à pleurer du départ de « Jack of all trades » (qui rappelle "Iceman") avec ce piano, la sauce monte avec les cuivres, sorte de fanfare mariachis crépusculaire, soulignée d’une mandoline, mais pour le beat, c’est quoi ce son ??? Et ces psshhitt psshhitt qu’on entend à la fin ? Pourquoi venir polluer une chanson avec des bidouillages pareils ? Je remarque aussi ici ou là quelques enchainements d’accords pas toujours heureux, et des back déjà entendus (« Secret Garden »), quelques systématismes (les thèmes repris violon/accordéon entre les couplets) mais on sent effectivement l’envie de produire un album différent (il n’y a pratiquement pas de solo, au sens rock du terme, et répétons le ce n'est pas un disque de rock) qui brasse les couleurs et les invités (Tom Morello guitariste de Rage Against The Machine vient prendre deux chorus). Une première écoute qui déconcerte sans doute, mais la plupart des morceaux possèdent incontestablement une force, et WRECKING BALL s’affirme, comme son auteur le disait à Bob Seger, comme une bonne surprise, un album riche, fourni, avec une matière, alternant titres courts ou plus développés. Bref, un album plus ambitieux. 

Avec Ron Anielo
Deux titres anciens, inédits en studio, ont été enregistrés. « American land » une cavalcade irlandisante que Springsteen joue généralement en rappel, écrite au moment de la tournée WE SHALL OVERCOME, et qui par son débit trépident redonne un peu de baume au coeur ! Et « Land of hope and dreams », entendu sur le double live à NY en 2000, une de ses plus belles compositions, transe soul et gospel de 7 minutes, agrémentée d’une voix féminine, une version qui file le frisson, avec référence à Curtis Mayfield et son « People get ready ». On y entend le dernier chorus de saxophone de Clarence Clemons, décédé l’année dernière. En fait, ce solo est un montage issu de bandes live, puisque Clemons est mort au moment de venir enregistrer. Springsteen était en Floride, chez le Big Man, et en retournant au studio quelques jours après, Ron Anielo avait réalisé ce montage.

Même si je persiste à rêver en secret d’un disque tout simple, rock, basique, sans production pharaonique (l’équivalent rock des Pete Seeger Sessions), je sais aussi que Springsteen ne refera plus THE RIVER, comme Dylan ne refera plus BLONDE ON BLONDE, les Stones BEGGARS, ou Neil Young HARVEST. Ce qui est fait est fait, c’était magnifique, mais c’était y’a 30 ans… Je retiendrai de cet album les titres "Easy money" (qui aurait mérité d'être en ouverture) "Jack of all Trade", "Death to my hometown" (une future tuerie sur scène), "Wrecking ball", "You've got it", "Land of hope", "We are alive" et "American land". A l'inverse "Rocky ground" risque de faire grincer quelques dents, avec son passage hip-hop, certes pas déshonorant, mais assez anachronique quand on arbore des chemises à carreaux et une vieille Télescaster ! Bruce Springsteen se renouvelle, ne nous refile pas les mêmes recettes qui ont fait son succès, et c'est bien. Mais on sait (et il le sait aussi) que c'est sur scène qu'il reste le meilleur, et plusieurs titres de cet album, débarrassés de leur sophistication, devraient faire parler la poudre ! Verdict cet été... je vous tiendrai au courant, comptez sur moi !

PS : une idée en passant M'sieur Springsteen, vu le thème de cet album, un concert gratos en Grèce, ça leur remonterait le moral, non ? 

BRUCE SPRINGSTEEN "WRECKING BALL"
11 titres + 2 (61 mn)




On écoute "Easy Money" (j'aime beaucoup la toute fin violon/hammond B3) et "Land of hope and dreams" :

4 commentaires:

  1. Ouh là ... si le président du fan-club soi-même émet des réserves ...
    Pas écouté, mais tu confirmes ce que j'ai lu ici ou là ... Et tu donnes la vraie réponse dans la conclusion, il n'y a dans le meilleur des cas maintenant qu'à attendre un disque sympa de toutes ces vieilles gloires, rien ne sera au niveau de leurs masterpieces passées. Au mieux, si les rhumatismes qui les travaillent leur laissent quelques heures de répit, peut-on espérer de bons concerts, parce qu'il y a du sacré matos dans le répertoire de ces gens.
    Perso, ce qui me gêne le plus dans ce disque de Springsteen, c'est cette indignation toute euh ... centriste (désolé). La crise, les banques, le pouvoir d'achat, tout ça, notre pauvre monde part en sucette et ah que je vais le dire bien haut et bien fort... J'aimerais être certain, et j'ai quand même de sacrés doutes là-dessus, que le Boss (ou Bono), n'aient pas, parmi les millions de dollars de leur compte en banque, quelques paquets de billets verts qui soient investis (même à leur insu)sur des spéculations blafardes qui ne font qu'aggraver le mal qu'ils dénoncent ...

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  2. Vaste débat Lester !... J'ose pour autant croire à sa sincérité, plus qu'à une posture opportuniste, puisque ses thèmes-là il les chante depuis 40 ans. Springsteen a toujours écrit ces petites histoires, le quotidien de tel type, de tel couple. La chanson "The River" parle de son beau frère licencié de son usine et qui se demande comment offrir un mariage digne à sa fiancée... Il a souvent chanté des histoires de types sans le sou qui flirtaient avec l'illégalité pour s'en sortir, même s'il fallait prendre un flingue, voler une voiture, pour avoir le droit au bonheur. C'est drôle d'entendre Springsteen, à l'époque de "Born to run" raconter qu'il n'avait jamais mis les pieds à NY (la ville inaccessible si on n'a pas d'argent) ou n'avoir jamais pris l'avion, être à peine sorti du New jersey faute de fric. La célébrité et la fortune lui ont réussi par la suite, et si le train de vie change naturellement, je crois que les années de vaches maigres restent la base de leurs créations. Chaplin n'a-t-il pas fait carrière avec un personnage de vagabond, lui qui était reçu par les grands de ce monde ? Mais Springsteen est aussi conscient qu'un disque ou un artiste ne peut pas inverser le cours des choses, il n'y a pas une démarche "politique" même centriste... juste un constat. mais il est bon parfois de répéter les choses ! Il a d'ailleurs expliqué qu'il n'allait pas soutenir Obama, que le coup des meeting il avait déjà donné, que ça n'avait rien changé, et que sa place était sur une scène, pas sur une estrade...

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  3. Comment on fait avec les "indignations centristes"? On achète leurs disques parce que c'est pas si mal et du coup les indés rament ( pas de place dans les médias pour la promo, leur skeud est génial mais faut faire un effort pour y croire, parce qu'on a pas assez de thunes pour tout acheter...)...
    Voilà, tu votes Mélenchon au 1er tour, mais Hollande du coup il nous fait une Jospin par éparpillement, j'te raconte pas la suite...
    Mais non, Hollande, avec l'avance qu'il a...et puis du coup,Mélenche, grâce à son score, le Lolande, faudra qu'il en tienne compte...
    Alors, les convictions, ou pas?...
    Enfin, moi, c'que j'dis...Manquerais plus qu'il pleuve!...

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  4. Je suis d'accord sur la sincérité Luc, j'y fais pas un procès d'intention au Boss, pas plus que je trouve son "indignation" démago, peter ... il me semble qu'il a plus rien à prouver, c'est un type bien. Mais je le préférais nettement quand les chansons lui venaient après qu'il ait vu un film de Malick, de John Ford, ou lu un bouquin de Steinbeck, plutôt qu'après qu'il ait écouté les news de CNN ...
    J'ai écouté quelques titres de cette rondelle, et bof ... même pas déçu, y'a longtemps que j'attends plus rien de lui... ça me semble être un disque décalé dans sa disco, ça me fait penser au bizarroïde "tunnel of love" qui partait un peu dans tous les sens et souvent droit dans le mur ...

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