samedi 9 juillet 2011

HUBERT SELBY JR - " Le saule" (1998) par Foxy Lady


Il y a des romans que l’on gardera dans son cœur toute sa vie. C’est ainsi. Indélébile.

Car un roman peut nous ouvrir une porte, nous ouvrir sur une perspective que l’on avait pas envisagé, nous bouleverser, et ce n’est qu’une fois refermé qu’on en saisit toute la portée.

Il y a les romans cultes. Adolescente, mon roman culte était « Jane Eyre », plus tard, j’ai largement flirté avec Zola ou Maupassant, me disant que je touchais des sommets… Puis sont venus des romans comme « Le Moine », « Melmoth », « Le portrait de Dorian Gray » ou plus récemment « La fenêtre panoramique » avec toujours ce souffle coupé, cette sensation d’ouvrir un écrin et d’y découvrir un diamant brut…

Aujourd’hui, je viens de finir « Le saule » de Selby, et les mots me manquent, je ne sais comment faire partager mes sentiments, comment vous dire « lisez ce livre, vous en ressortirez grandis… »
Je vous laisse juge de la dédicace de Selby, qui ouvre le roman et en dit long sur le texte à venir : « Ce livre est dédié à tous ceux qui non seulement ont survécu, mais se sont imposés. »
Voici donc, en quelques lignes, l’histoire que nous raconte Selby, à une bonne année lumière de son roman « Le démon » (1976), tout aussi déstabilisant pourtant, et d’une incroyable humanité.

Selby (1928-2004) a 70 ans lorsqu’il écrit « Le saule ». Il a traversé des épreuves, fait de la prison, connu l’alcool et l’héroïne, lutté contre la maladie, exploré le bien et le mal et a atteint la maturité et la sagesse qui s’imposaient à son âge. C’est ce qui transpire à chaque page de ce livre.


à voir le doc consacré à Selby "2 ou 3 choses.."
signé Ludovic Cantais


Selby prend son temps, son écriture est plus posée, les mots coulent lentement et explorent avec un rare lyrisme toutes les facettes de la douleur, l’angoisse, la peur, l’humiliation, la vengeance, la haine mais surtout l’amour et le pardon… Le roman est construit en une seule traite, il n’y a pas de chapitres, juste un long récit à fleur de peau qui nous retourne littéralement.

Bobby, jeune homme noir de 13 ans est un jour tabassé à mort alors qu’il arpente les rues avec sa petite amie Maria. Alors que plusieurs garçons s’acharnent sur lui, Maria est aspergée de soude en plein visage… Bobby se relève, n’a plus de repères, ne sait même pas s’il survivra aux coups qu’on lui a assené. Puis, Moishe le recueille chez lui, lui offre un toit, le soigne et tente de lui montrer que la voie qu’il a choisie, celle de la vengeance, n’est pas la bonne, au travers de sa propre histoire et de son propre vécu.

2 générations opposées, 2 êtres brisés dont les histoires ne sont pas si différentes, 2 parcours initiatiques similaires ou les mêmes questions se rejoignent inlassablement… Selby tisse lentement le lien entre Bobby et Moishe, l’un en proie à la haine, dans toute l’intempérance de sa jeunesse, l’autre, qui a vécu l’horreur des camps de concentration, et est ressorti de l’enfer en acceptant ce qu’il ne pouvait changer « la haine détruit toujours le haineux… »

Alors bien sûr on va me dire le thème de l’amour contre celui de la haine est éculé, il a déjà à maintes et maintes fois été abordé tant au cinéma qu’en littérature. Certes, seulement voilà, ce n’est pas tant le thème abordé mais plutôt la façon dont il est abordé. Ce n’est pas tant les situations mais plutôt le cheminement de pensée, la manière dont l’auteur arrive, entre pudeur et émotion à nous délivrer un message, à faire qu’on s’interroge sur la façon dont on réagirait face à ce problème « Si tu te laisses envahir par la haine, tu deviendras ce que tu hais… »

Ici Selby ne juge pas, il dénonce froidement des faits : la violence dans les quartiers pauvres, des gosses livrés à eux même qui sombrent facilement dans la cruauté faute de connaître autre chose. Puis, avec la rencontre improbable entre un adolescent ivre de vengeance et celle d’un vieil homme qui a connu les affres de la vie et s’en est relevé, il tisse un lien indéfectible et pur, quelque chose qui dépasse l’entendement, entre le respect de l’autre et le fait d’élever son âme au-delà de la haine aveuglante, d’être plus fort qu’elle en réussissant à la vaincre et en étant un homme digne de ce nom et non pas une bête sauvage incapable de contrôler ses pulsions…

En filigrane, se dessinent également d’autres parcours, bien que moins approfondis par l’auteur, mais tout aussi poignants : Maria face à ses interrogations et a sa peur d’être défigurée, la mère et la grand-mère de Maria luttant inlassablement contre un système qui méprise les émigrés et ne leur fait aucun cadeau, entre douleur et résignation, 2 femmes qui ne comprennent rien à la folie du monde, et enfin la mère de Bobby, jeune femme noire qui vit avec plusieurs enfants dans un taudis et réapprend peu à peu à sourire lorsque son fils Bobby lui écrit en lui disant simplement qu’il l’aime…

Selby a révolutionné le monde de la littérature car son style est inimitable. A mes yeux, c’est un auteur prépondérant, et il ne fait pas le moindre doute que je vais me pencher sur l’ensemble de son œuvre. Personne ne peut comme lui aborder un sujet avec tant de justesse. Il signe ici un roman rare, humain et authentique ou la lumière balaie tout sur son passage.

Magnifique roman à lire et à méditer, qui m’évoque cette phrase lourde de signification : « ce qui ne me tue pas me rend plus fort… »

(à lire également sur le Deblocnot la chronique  sur "Le démon" : le-demon-de-hubert-selby-jr)


1 commentaire:

  1. J'ai lu ce roman sur vos conseils, et que vous dire ? je reste sans voix devant tant de sensibilité et d'émotion à fleur de peau, car voilà une expression que vous employez souvent dans vos papiers. Merci, Foxy Lady, bien à vous.

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