vendredi 10 septembre 2010

DEEP PURPLE "IN ROCK" (1970), par Luc B.




IN ROCK n’est pas le premier album de Deep Purple, comme on pourrait le croire, le groupe ayant eu une vie avant... Créé autour de Jon Lord en 1968, avec Rod Evans au chant et Nick Simper à la basse, Ritchie Blackmore à la guitare, qui présenta aux autres le batteur Ian Paice (rencontré un an plus tôt en Allemagne où il travaillait alors), le groupe est la création du producteur Tony Edwards, ex-industriel passionné de musique, qui souhaitait investir son argent dans l'indistrie musicale. D'abord né des cendres du groupe Roundabout, la formation se fera ensuite appelée Deep Purple, du nom d'une chanson de jazz que la mère de Blackmore adorait. Financièrement parlant, le jeune groupe n'a pas de souci à se faire, le matos est payé, les tournées organisées. 

Et ça marche bien, assez vite, avec le titre "Hush" (une reprise de Joe South) qui caracole dans les hit-parade américains. Car c'est aux USA que Deep Purple commence vraiment à se faire un nom. Les prestations tiennent de la pop psychédélique autant que du rock progressif. L'époque est aux reprises, et Deep Purple s'approprie des titres comme "Hey Joe", "River deep mountain high", ou encore les Beatles ("help", "You can work in out"). La parenté avec le groupe Vanilla Fudge est palpable. C'est sur scène que le groupe se taille une bonne réputation, avec des prestations basées sur de longues improvisations instrumentales. Blackmore et Lord rivalisent de talent, et durcissent le ton, proposent une musique moins policée qu'en studio. Ils font la première partie de Cream aux USA, et les observateurs remarquent que les cinq anglais en remontent au trio psychédélique star, embourbé dans la dope et les impros égocentriques. Cette première formation, le Mark 1, sortira trois disques en deux ans : "Shades of Deep Purple" (1968) puis "The Book of Taliesyn" et "Deep Purle" (1969) en priorité sur le marché américain. Le succès reste plus modeste en Angleterre, mais le groupe marche bien en Scandinavie, et en Allemagne. 

Et puis arrive THE CONCERTO FOR GROUP ET ORCHESTRA. Jon Lord, issu des conservatoires classiques, a toujours voulu mêler pop musique et classique (le titre "April" en 69 est un mini concerto) et ses expériences culminent avec cette composition qui fera grand bruit. Double conséquence : le groupe se fait connaître auprès d'un nouveau public, il fait le buzz comme on ne disait pas encore... mais en même temps, déroute les fans de la première heure, les amateurs de rock. Et déroute les équipiers de Lord ! Les délires de leur organiste, si talentueux soit-il, commencent à lasser. On perd son temps... Et puis les retombées commerciales ne sont pas au rendez-vous. Le Concerto a demandé beaucoup de temps, d'investissement, et d'argent. Des dates sont programmées pour le jouer en tournée, ce qui implique une grosse logistique. Le ténébreux Ritchie Blackmore fait une crise d'autorité, reprend la barre du navire, pour revenir à une musique basée sur le rock. Jon Lord, vexé, laisse faire... 

Deep Purple en 1970. C'est-y pas des tenues de killers, ça, hein ?

A partir d'août 1969, le groupe entre en studio, avec l'ingénieur Martin Birch (qui produira la fine fleur du hard de ces années-là, et des suivantes). Mais comme ils sont continuellement en tournée, les sessions ne permettent que de graver quelques titres. Le disque IN ROCK sera enregistré au long court, dans plusieurs studios (la différence de son s'entend) et cette fois Ritchie Blackmore prend les choses en main, et radicalise le style musical du groupe, influencé par le premier album de LED ZEPPELIN, sorti six mois plutôt, et celui de BLACK SABBATH sorti les premiers jours de 1970. Le guitariste avait sans doute flairé que l’avenir de la musique (et donc le succès) passerait par ce rock dit "heavy". Sur scène, Deep Purple dégageait déjà pas mal de décibels, mais les disques studio ne le reflétaient pas, avec leurs arrangements sophistiqués. Blackmore estime que la voix de Rod Evans n'est pas compatible avec la nouvelle direction musicale du groupe, et que le jeu de Simper à la basse sonne trop vieillot (il adorait le rock das années 50's). Ils seront virés, sans ménagement. A cette époque, les musiciens du groupe s'apparentent plus à des salariés d'un collectif, qu'un réel ensemble cohérent et soudé par l'amitié... On ne leur demande pas d'être pote, mais de bosser ensemble. Nuance. 

Un casting est organisé, au cours duquel un certain David Coverdale ne sera pas sélectionné, mais Ian Gillan et Roger Glover intègrent le groupe. Ils étaient tous deux issus du groupe EPISODE SIX, et y joueront d'ailleurs encore en parallèle, les premiers mois. Ils ré enregistrent certaines bandes commencées par Evans et Simper, et participent aux représentations du Concerto. A cette occasion, ils jouent juste avant quelques titres pop, dont un fameux "Child in time" pas encore gravé. Toutes les chansons de Deep Purple sont signées à cinq mains, les bénéfices sont divisés en cinq, ce qui rapidement va mettre une ambiance de merde dans l'équipe, certains estimant apporter plus que d'autre. De cette longue gestation sortira DEEP PURPLE IN ROCK, en mai 70, véritable tsunami électrique, un ouragan qui dévasta tout sur son passage, une série de sept secousses telluriques qui ne laisseront derrière elles que des cendres. Des cheveux longs, des hurleurs, des guitares saturées, il y en avait déjà. D’ailleurs, en 69, Deep Purple est en tournée aux USA, en première partie de CREAM (on dit qu'ils ont été virés par le tourneur car leur prestations faisaient de l'ombre au trio anglais...) et Blackmore a sans doute écouté BLUE CHEER, MC5, THE STOOGESTHE WHO commençait à faire pas mal de boucan aussi. Blackmore était très impressionné par Pete Townsend. Mais jusqu’à présent on était dans le registre proto-punk/rock. Chez Led Zep, ça braillait aussi, mais dans une resucée de la musique blues. Avec IN ROCK on entre dans un registre inédit : le Heavy-Métal

Le groupe compose en vitesse « Black Night » comme single promo, tempo boogie et riff vaguement piqué chez Gerswhin (dixit Blackmore), qui reste aujourd’hui encore un must du quintet british le plus heavy.
Après un cataclysme de sons distordus de Fender, et les vaporeux plaqués d'orgue de Lord, dont le jeu emprunte à Bach autant qu'au piano boogie, « Speed King » déboule pied au plancher, hymne rageur dédié à Little Richard. Le morceau symbolise à lui seul le style du groupe, par ces duels de solistes, hurlements stridents, tempo ultra rapide :

Good Golly ! Said little miss Molly
When she was rockin' in the house of blue light
Tutti Frutti was oh so rooty
When she was rockin' to the east and west
Lucille was oh so real
When she didn't do her daddies will


A noter que la réédition de 1995 propose en bonus une version de "Speed King" avec un piano bastringue, très intéressante, le morceau ayant mis du temps à trouver sa forme définitive. L'intro aux claviers est l’œuvre de Jon Lord, encore plongé dans ses rêves progressifs, quand Blackmore désirait commencer la chanson par le riff heavy (qu'on entend plus tard...à). Le titre définitif est un assemblage des deux versions. Après « Bloodsucker » qui met en place les dialogues de chorus guitare/orgue, autre spécialité du groupe, arrive le masterpiece absolu : « Child in time » épopée lyrico-boogie de 10 minutes, encore ancrée dans les 60's, entre psychédélisme et rock-prog (pour la version studio) avec les célèbres hurlements Gillan, le chorus légendaire de Blackmore. Un morceau d'une puissance inouie, à la construction audacieuse, qui se termine pas des cordes de piano grattés comme une harpe. Un temple, une cathédrale, l’Olympe ! La face B commence avec « Flight of the rat » qui a toujours été un de mes morceaux fétiches, 100% Purple, avec le riff qui décape, le tempo à l'extremité du cadran, le chorus de Lord à s'arracher les tripes, et cette transition avec celui de Blackmore comme on en entend qu’une fois dans sa vie, pont funky, retour au riff, chorus de batterie (et oui, même en studio !)… n’en jetez plus ! Arrive « Into the fire » court, mais lourd comme du plomb, avec un mur de basse vrombissante et deux morceaux moins célèbres mais authentiquement admirables. D'abord « Living wreck » (quelle intro ! cette batterie qui se rapproche, les dérapés d'orgue) un tempo médium sur l’échelle de Paice, et un titre assez sage, mélodique, feulements d'Hammond, superbe ligne de basse, plutôt dans les aigus (Glover jouait de la basse avec médiator, comme une guitare) et un court solo de Blackmore dans un style qui fera les beaux jours du futur RAINBOW. Puis un grand final avec « Hard Lovin man » et encore une intro gravée dans le marbre, explosion, ligne de basse, riff de guitare qui sera repris cent mille fois par tous les métalleux de la planète, un orgue passé au papier de verre (un bidouillage avec les amplis de guitare...) chorus doublé et dérapages contrôlés à la Strato. Il n'y a strictement rien à jeter dans ce disque, tout est à sa place, cohérent, c'est inventif, et surtout, 40 ans après, dissipe une énergie intacte.

Ian Gillan, Ritchie Blackmore, Jon (sans h) Lord, Ian Paice et Roger Glover : le "mark II" qui gravera 4 albums.


IN ROCK, c’est quarante et une minutes qui ont changé la face du monde, et celui qui me contredit, je l'attends quand il veut, où il veut... et j'dirai à mes potes de venir aussi. Si les albums de DEEP PURPLE qui suivent verseront davantage vers le blues-rock (FIREBALL, MACHINE HEAD, WHO DO WE THINK WE ARE), avec IN ROCK il est question d’un style nouveau, exécuté par des orfèvres de la tuerie sonores, mercenaires du « speed » et du « loud ». La spécificité de DEEP PURPLE sur ses concurrents directs, était la vitesse d’exécution, la souplesse vocale de Gillan, inégalée, non pas des sons lourds et caverneux, mais au contraire aigus, virvoletants, la culture musicale des membres du groupe permettant, en concert, des citations et improvisations inspirées dans à peu près tous les styles.
IN ROCK, et sur ce roc je bâtirai la musique des cent prochaines années…
Amen.



Issu d'une session live pour Granada TV, en 1970, l'épique "Child in time" (d'ailleurs un peu raccourci pour l'occasion) où Blackmore délaisse le temps du morceau sa Fender Stratocaster fétiche. Vous apprécierez l'enthousiasme débordant du public...
Autres albums de Deep Purple chroniqués :


Speed King (5:50)
Bloodsucker (4:10)
Child in Time (10:20)
Flight of the Rat (7:55)
Into the Fire (3:28)
Living Wreck (4:27)
Hard Lovin' Man (7:11)
+ Black night (3:25)

15 commentaires:

  1. Shuffle master10/9/10 16:04

    Farpaitement. Le meilleur Deep Purple, sans contredit. Un copain de collège me l'avait passé en cassette. Effectivement, le choc.

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  2. Incontournable effectivement.
    Morceau faible : "Into the Fire". Mais je les ais vu en concert il y a 2 ans, ce titre déménageait un max ; j'avais l'impression d'avoir les cheveux repoussés en arrière.

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  3. La Gibson ES-335 de Ritchie, est celle qu'il utilisait déjà lorsqu'il accompagnait Screamin' Lord Sutch, ainsi lorsqu'il jouait avec son 1er groupe les Outlaws. C'est la guitare qu'il utilisa sur les 4 premiers opus du Pourpre.
    Savez-vous que Blackmore est gaucher ?
    N'est-ce-pas Jon Lord qui avait d'abord contacté Blackmore, déjà relativement connus comme sessionmen et accompagnateur (tournée anglaise de Jerry Lee Lewis) ?

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  4. Oui Bruno, j'ai cru comprendre que Blackmore et Lord se connaissaient, et Blackmore avait entendu Ian Paice jouer en Allemagne, à l'époque où il y trainait aussi. J'avais lu cette hitoire de mécène, qui avait approché Blackmore, il semblerait que se soit lui qui a recruté les autres. Il avait posé aussi comme condition de pouvoir acheter du très bon matériel, choisi par lui.

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  5. Tout à fait, car, il faut le dire, un hammond n'était pas (et encore aujourd'hui) à la portée de tout le monde. Donc, déjà, comme 1ère condition, il y avait le fameux Hammond B3.
    En fait, il s'agissait de 3 mécènes. Je dirais plutôt hommes d'affaires, car le music-bussiness était alors en plein essor, et c'était plus juteux pour les managers que les musiciens. Le projet initial vient d'un certain Edwards, qui pris 2 partenaires (John Coletta et ??).

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  6. Tiens justement, sur le dernier Bigelf (commenté maladroitement sur le présent site), on peut entendre le groupe reprendre sur une mesure, un extrait de "Child in Time" (la partie brutale juste avant le solo bluesy de Ritchie).

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  7. t'es toujours aussi bon Luke !

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  8. 100% d'accord avec cette élogieuse chronique,
    J'ai découvert ce disque vers 15 ans, et child in time et living wreck sont venus à bout de mes pauvres baffles de l'époque ... ;-)
    Et le plaisir est resté intact jusqu'à ce jour ...et pour des siècles et des siècles ....

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  9. Merci du passage "anonyme", je pense que nous sommes un certain nombre à avoir vaciller à l'écoute de ce brûlot ! Je vous invite à découvrir les autres chroniques consacrées à DP, un des chouchous du Déblocnot !

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  10. quelques erreurs dans la bio de cet album,dommage car l'enthousiasme est là

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  11. Lesquelles, lesquelles, vite, que je corrige ! ! !

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  12. Je ne sais pour la bio mais
    t'as écrit masterpeace, je te laisse corriger! ;)

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  13. Vu et corrigé, merci ! (vous êtes le même anonyme que celui du 26/4/12 ?)

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  14. Non, ce n'est pas moi, je ne connais pas vraiment leur histoire.
    Coïncidence étonnante, j'étais au concert live de Deep Purple à Luxembourg (ville), et je viens de vérifier la date, c'était un 06/06 en 1971...
    Francis

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    1. Moi aussi j’y étais au concert à Luxembourg-ville sur le stade de foot. J’avais 22 ans. Mon premier grand concert, puis celui de Led Zep à Nancy 👍
      Inoubliable ❤️

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