mercredi 1 décembre 2021

GOV'T MULE "Heavy Load Blues" (2021), by Bruno



     Après une longue absence discographique de quatre années – à l'exception d'un live bouche-trou -, les Américains de Gov't Mule refont surface avec un disque de Blues.

     C'est assez amusant dans le sens où il semblerait que l'idiome des douze mesures revienne fortement à la mode. Les années 2020 et 2021 auraient été marquées par un bon lot de disques du genre, réalisés par des groupes et artistes normalement gravitant normalement à la frontière, sans vraiment la franchir. Avec des résultats plus ou moins probants.

     Une tendance peut-être induite par les divers confinements et incertitudes actuelles, entraînant cafard et bourdon, incitant à se tourner vers cette musique pour expurger ce mal-être. Ou par facilité, histoire de sortir rapidement un disque en espérant que des crédits viennent renflouer des comptes qui dépérissent par manque de concerts. Mais peu importe le fait générateur si le fruit est goûteux.


   Dans le cas de Gov't Mule, rien de particulièrement surprenant, sachant que depuis sa genèse, la formation prend plaisir à reprendre des standards de Blues – pas nécessairement les plus connus – pour les atomiser. Ou, au moins, les baigner dans une solution constituée essentiellement de Heavy-rock millésimé 70's, voire de Southern-rock ténébreux. Plus souvent, ce sont les structures qu'il retraite après un vigoureux malaxage. La majorité de ces albums, en plus d'opérer dans le secteur du Hard-blues, contiennent une reprise de Blues. Le premier opus commence même par une chanson de Son House. Et une des trois galettes de leur triple album live, « Mulennium », témoignage d'un généreux concert de trois heures et demie (!) donné le 31 décembre 1999 au soir et se clôturant le 1er janvier 2000, est réservée Blues. Avec l'insertion d'une chanson d'Alice Cooper, car ils sont comme ça chez Gov't Mule. Ils s'efforcent de ne pas (trop) compartimenter la musique, de ne pas l'enfermer dans des carcans étanches. C'est pourquoi Gov't Mule peut faire cohabiter, par exemple, Black Sabbath avec Robert Johnson, Free, Humble Pie, Albert King, Zappa, Neil Young et Little Feat, au milieu de leur propre répertoire. Rien que ça.

     Par contre, on peut s'étonner que ce « Heavy Load Blues » soit avant tout centré sur une forme de Blues relativement puriste. Évidemment, on ne parle parle pas de Blues d'avant-guerre, de Country-blues ou même de Chicago blues des années 50 et 60. Toutefois, malgré tout, les musiciens ne parviennent pas à réprimer quelques petits dérapages où on se laisse aller, jusqu'à parfois frôler la jam. Comme sur « Love is a Mean World ». Chassez le naturel et il revient au galop.

     Cependant, même lorsque c'est à deux doigts de glisser en mode « heavy », cette tessiture singulière de « Blues live », celle déployée par quelques mentors pendant le dernier quart du siècle dernier. A croire que ce grain a imprégné l'épiderme des protagonistes, à force d'assister assidûment avec un intérêt structateur à un grand nombre de concerts des B.B. King, Buddy Guy, Albert King, Luther Allison, Son Seals, etc...


   Rien n'est dû au hasard car, pour parvenir à ce rendu sonore, l'équipe a simplement enregistré en analogique dans des conditions live. Tous dans la même pièce et jouant en même temps. Avec un strict minimum de prises afin de préserver le feeling inhérent au direct, avec ses impromptus instants magiques et ses pains – trébuchement authentique et délicieux de la faillibilité du musicien rock. Les overdubs sont été proscrits – néanmoins, pour des musiciens de cet acabit, ils sont superflus. Ce que prouve d'ailleurs ce disque.

     Warren Haynes a laissé à la maison son impressionnant pedalboard, pour ne se servir que de simples guitares (vintages) branchées directement dans l'ampli. Ne changeant de son – de façon subtile – qu'au moyen de diverses six-cordes et amplis vintage ; à l'exception de deux ou trois Gibson LesPaul, qui sont des répliques précises de modèles des années 50. Dans le lot, il y a même une guitare Bigsby n° 2. 

[du matos à faire saliver tous guitaristes : Danelectro "Lipstick" Pro de 61, Gibson ES335 de 61 et de 67, ES345 de 63, Les Paul 62, amplis Gibson Vanguard et Skylark 50's, Fender Twin Reverb et Pro Junior, et un Supro

le studio

   Ainsi, le son est à l'antagonisme des productions léchées et épurées qui peuvent dépouiller de leur saveur nombre de disques dits de Blues depuis deux ou trois décennies. Bien entendu, R'n'b et autres trucs de laboratoires sont hors course. Ici, il ne faudra pas s'étonner entendre les baffles baver, les cymbales s'épancher, le chant grésiller, la basse fondre, les fûts exploser. Si donc dans l'ensemble, les Blues de cet album résonnent avec une certaine authenticité, voire un millésime, de temps à autres les claviers de Danny Louis les en extirpent. Résonnant parfois bien plus comme le Jon Lord des années 68-72 ou le Vox d'Alan Price, ils introduisent une touche classieuse de British-blues.

     Evidemment, les puristes trouveront à redire - c'est leur droit - , cependant, il peut être difficile pour celui qui n'a pas une large connaissance du Blues de distinguer les originaux des reprises, tant le groupe s'est fondu dans l'idiome. Ce ne serait pas pourtant le résultat d'un projet prédéterminé, puisque, aux dires de Warren Haynes, c'est lorsqu'il a constaté que la grande majorité des morceaux qu'il a composés lors des confinements, étaient des Blues, que, pragmatique, il s'est dit que c'était l'occasion de réaliser un disque de Blues. Un vieux souhait qu'il souhaitait réaliser depuis longtemps. Il ne manquait que l'approbation des autres loustics, qui ne se sont pas fait prier. Il a suffit de retravailler le matériel brut ensemble, et d'y rajouter quelques reprises d'icônes du Blues. Qui ont notamment participé à l'édification du son et de la patte "Gov't Mule". Pour le coup, l'apport de B.B. King et d'Albert King paraissent limpides dans le jeu de Warren. Ainsi que celui de Paul Kossof.


   Au lieu de taper dans les grands et incontournables classiques, comme le fait, hélas, une large majorité de groupes - par manque de culture ou en espérant assurer un retour sur investissement (alors qu'au contraire, ce serait plutôt rebutant) -, Gov't Mule choisit des titres plus modestes. Cela à l'exception du "Blues After Sunrise" d'Elmore James qui ouvre l'album et du "Long Distance Call" de Muddy Waters (en bonus) . Le groupe inclut quelques sympathiques surprises, à commencer par l'excellent et abrasif "Make It Rain" de Tom Waits, qui aurait très bien pu être une création de Cedric Burnside, avec cette atmosphère moite, hypnotique et sulfureuse, de juke-joint perdu au fond d'un bayou où le vaudou imprègne les murs. Ainsi que le "Street Corner Talking" de Savoy Brown, qui subit un peu le même reconditionnement. Ou encore le magnifique "You Know my Love" de Willie Dixon pour Otis Rush, joyau, pièce maîtresse inégalable du West Side sound du Chicago Blues. Et pour finir, surprenant par le choix, un "Have Mercy on the Criminal" d'Elton John, dépoussiéré et bluesyfié (il n'en fallait pas beaucoup).

   Notons aussi un "I Asked for Water (She Gave Me Gasoline)" de Chester Burnett, qui a supporté un traitement radical, avec prise de poids pour le faire passer dans une catégorie coincée entre Steppenwolf et Cactus. Ou le "Snatch It Back and Hold It" de Junior Wells qui, en prenant du poil de la bête, prend des allures de Howlin' Wolf. Néanmoins, passablement alourdi par un break de hard-blues qui aurait gagné à être un poil raccourci. Et pour finir, un "Feel Like Breaking Up Somebody's Home" d'Albert King, pratiquement métamorphosé en Funk à la Funkadelic.


    Les compositions du groupe ne sont pas en reste. Parfois même, avec leurs fausses allures de classiques, elles osent faire de l'ombre aux reprises. Comme le cuivré "Hole in my Soul" avec une section de cuivres - rescapée de West Side Story et encanaillée par Alice Cooper (1972, "Gutter Cat vs. The Jets"). 

    Warren Haynes se fend de deux imparables Country-blues : un aride et saisissant "Heavy Load", entre Lightnin' Hopkins et Son House, et "Black Horizon" qui évoque l'univers de Cedric Burnside (encore lui). 

   Et puis, droit dans ses santiags, le quatuor s'attaque au "Ain't No Love in the Heat of the City" de Bobby "Blue" Bland (écrit par Price et Walsh) pour en faire, avec une certaine sobriété, une des meilleures versions à ce jour.

     On attendait un disque de Blues lourd, heavy, de Hard-blues halluciné ; Gov't Mule a réalisé un disque fidèle à l'esprit du Blues, sans esbrouffe, sans pathos, sans fautes de goûts. Avec quelques incursions bienvenues dans un Blues-rock proche des origines et du British-blues.

     Par contre, s'il y a bien un reproche à faire à cet album, c'est l'inutilité de sortir deux éditions distinctes. Une première présentant un seul CD, et la seconde,  nommée "Deluxe Edition", deux. Inutilité dans le sens où ce second CD, considéré comme un disque bonus, est si bon, que l'on ne peut imaginer ce "Heavy Load Blues" amputé de ces huit morceaux supplémentaires



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11 commentaires:

  1. Aficionado de Gov't Mule et ce depuis les débuts du groupe je ne peux qu'être d'accord avec toi ! Ce disque est une pure merveille , quel bonheur que de retrouver un blues pur loin de l'éternel recyclage de Monsieur Clapton , qui pense toujours nous gruger avec son blues pour bobos bien propre sur lui......
    Je suis un peu remonté vis à vis de Clapton pour diverses raisons qu'il serait trop long .....etc....
    Bref ce Gov't Mule ne quitte plus ma platine ces derniers temps , enfin si pour laisser la place au concert No Nukes de Springsteen ! autre sortie récente réjouissante.

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    1. Hé, hé, au sujet de Clapton, ce n'est pas totalement faux. Toutefois, quelle toucher.

      Ce "Heavy Load Blues est surprenant en bien des points. On remarque notamment, qu'il y a une certaine subtilité, et que les musiciens ne se reposent sur des schémas particulièrement rodés et éculés. Ils jouent le Blues - ou une forme de Blues - comme si c'était une seconde nature. Et non comme un exercice. Certes, en cherchant on pourrait mettre en exergue quelques menus défauts, mais il y a peu de musiciens capables de se glisser aussi facilement dans divers styles. De plus, dotés d'une bonne culture musicale qu'ils sont aptes à reproduire sur scène. Des juke-box humains.

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  2. J'ai écouté le dernier Clapton, un live acoustique, sans public, juste à quatre, chez lui ! Avec les indéboulonnables Steve Gadd à la batterie et Stainton au piano. Bon, la set-list ne brille pas par son originalité, certes, c'est pépère, (trop) sérieux, mais tout de même, ça s'écoute bien, les doigts sont encore agiles sur le manche !

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  3. tout à fait d'accord Luc ! Ca s'écoute (il ne manquerait plus que ça ! ) mais comme tu le dis c'est trop sérieux , trop propre, son hommage à Peter Green est insipide et vain! Surtout ne pas glisser le cd de Clapton dans le lecteur de suite après "Heavy Load Blues" !

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  4. C'est assez étrange, ces hommages à Peter Green qui sont toujours bien sages - y-compris celui de Gary Moore -, alors que l'homme se révélait être en concert une bête fauve. A cet effet, il faut impérativement écouter ce fameux "Live in Boston / Tea Party". Le Fleetwood Mac de Green était avant tout un groupe de scène. Quant au torturé et halluciné "End of the Game", son premier disque solo, ça se passe de commentaire. "Oh Well" est l'exception, c'est le moment où on lâche les chevaux, mais étonnamment, ce morceau quasi anthologique est souvent absent des disques dédiés (totalement ou en partie) à Green.

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  5. Ce "Live in Boston" (qui change de nom à chaque réedition !) je l'avais acheté parce qu'il y avait le titre "Rattlesnake shake" qui affichait 24 minutes au compteur ! A l'époque que traquais les double live avec les titres les plus longs possibles ! Bon, c'est une grosse jam sous acide...

    Mis à part ses premières années, avec Cream ou Dominoes, ou les débuts chez John Mayall où justement Clapton avait innové avec un son de guitare bien crade et saturé, ampli sur 11, il a misé ensuite sur un son plus clair, celui du bien nommé "Slowhand". A de rares exceptions ("From the craddle") il est resté sur cette ligne. Je pense que c'est lui faire un mauvais procès de jouer light, il n'a pratiquement fait que ça. Clapton est anglais, boit du thé (enfin... aujourd'hui) Haynes est américain et boit de la Bud. Ceci explique peut être cela !

    Tiens, tu parles de "Oh well". Deep Purple vient d'en sortir une version, ils viennent de sortir un album de reprises.

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    1. Ha, mais z'aime bien Clapton, moué. Mais pas tout, pas aveuglément. Notamment les albums des années 80's sont, à mon goût, plutôt difficile à avaler. Principalement à cause de la production. D'ailleurs, plutôt que de proposer des live à la chaîne et des albums perclus de reprises, il aurait tout intérêt à sortir un album (ou deux) avec des chansons de cette période, mais assainies de toutes ces sonorités boursouflées.

      Par contre, il est vrai que dès que Slowhand enclenche une p'tite pédale d'effet ou fait chauffer les lampes, ça produit immédiatement des étincelles.

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  6. "Ratllesnake Shake" est ma première rencontre télévisée avec Fleetwood Mac. Une claque.
    "Live in Boston" qui change de nom et de pochette 😁. Les gredins. C'est l'édition "Live in Boston At Tea Party", celle en trois volumes (malgré les doublons), qui faudrait avoir. Certains morceaux et passages sont phénoménaux et même précurseurs.
    Steven Tyler place ce disque quasiment au rang d'incontournable, de "bible" du concert rock. Rien d'étonnant car on y retrouve effectivement un peu de la matière du futur Aerosmith.
    Mais tu sais tout ça, tu avais fait une chronique sur ce disque.

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  7. Deep Purple qui fait un disque de reprise, ça sent l'EHPAD. Reprendre "Oh Well", "Shapes of Things", "White Room", "Going Down", "Green Onions", "Gimme Some Lovin'", "Let the Good Times Roll", franchement, ça manque cruellement d'originalité. Il y a un homme en noir qui doit bien rire.

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  8. La reprise de "Oh Well" par Deep Purple est incontestablement le titre le plus fort de leur dernier disque , le reste bof ! "Oh Well" reste pour moi un des grands titres de Green , je possédais dans mon jeune temps ......le 45 tours qu'il fallait retourner car le morceau trop long ne tenait pas sur une face!
    Le live in Boston est un incontournable du Mac avec le Jam at Chess

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  9. Les albums de Clapton des 80's sont une calamité à écouter ! Oui, la production FM a tout lissé, et les compositions n'étaient pas terribles. Après une décennie dans la dope, il avait replongé sérieux dans la bouteille. C'est Phil Collins qui le produisait, et jouait aussi en tournée de la batterie, une main tendue louable d'un compatriote, mais si Collins avait les gênes du blues, ça se saurait ! Clapton est très lucide sur cette période, il n'était pas en état de prendre la moindre décision artistique, mais grâce à Phil, il a pu s'acquitter de ses impôts !

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