A l'aube des années 80, disparu depuis quelques années de la sphère "Heavy-rock", et des médias , Glenn Hughes refait surface en 1982 avec un album en tout point remarquable. Les trois années passées au sein du géant Deep-Purple ont laissées un souvenir indélébile qui lui a permis de disparaître quelques années et de garder une notoriété quasi intacte. Les temps au sein de Trapeze également, cependant cet excellent groupe de la petite ville de Cannock, (proche banlieue de Birmingham), a joué de malchance et n'a jamais pu approcher le degré de popularité du quintet de Lord & Blackmore. Au point où des fans du Purple Mark III ne connaissent pas nécessairement ce power trio formidable et inventif (Trapeze était sur un label plus modeste).
Après la dissolution inévitable d'un Deep-Purple moribond, Glenn Hughes profite d'un planning désormais immaculé pour réaliser son premier album solo, "Play Me Out". Un disque reçu fraîchement, boudé même, car bien éloigné de la puissance de frappe de Trapeze et de Deep-Purple. C'est aussi l'occasion de revenir au bercail et de renouer un temps avec Trapeze, qui a justement une tournée aux USA à honorer. Son passé avec Purple aurait dû être un tremplin pour relancer le trio. Hélas, c'était sans compter les addictions toxiques auxquelles il était désormais enchaîné. Et qui vont copieusement lui pourrir la vie ; à commencer par saboter cette tournée américaine, initialement pleine de promesses. Lui qui avait pourtant, lors de ses jeunes années, notamment celles passées avec Trapeze, bien pris soin de rester à l'écart des drogues.
Après ce retour bousillé, ne souhaitant pas reprendre un poste de second couteau, il refuse poliment l'offre d'Ozzy de rejoindre Black Sabbath, et doit patienter jusqu'en 1979 pour retrouver une opportunité intéressante. Gary Moore ne préférant pas poursuivre avec les vieux copains - fêtards - de Thin Lizzy, a en tête de former un groupe avec Hughes. En l'occurrence, G-Force. Cependant, lors d'une soirée, le ton monte entre Gary et Glenn, et quelques coups de poing fusent. La brouille va durablement mettre fin à toute collaboration entre les deux hommes.
Hughes part alors pour la Californie, profiter du temps clément et ensoleillé (ça change de la grisaille et des pluies régulières du Nord de l'Angleterre), autant pour essayer - en théorie - de temporiser ses addictions que pour faire de nouvelles rencontres. Un projet s'amorce avec le guitariste de Jazz-rock Ray Gomez. La major Atlantic est sur le coup mais Gomez se défile pour enregistrer un disque solo ("Volume", chez Columbia). Hughes et Gomez se rencontrent à nouveau, mais rien ne se concrétise. Finalement, il trouve le partenaire idéal pour son come-back. Un fin guitariste qui s'est fait un nom en accompagnant Pat Travers pendant près de quatre années fructueuses. Remarqué avec le disque "Heat in the Street", mais plus particulièrement avec l'album live "Go For What You Know", témoignage de concerts torrides et "larger than life", le nom de Pat Thrall émerge souvent lors des discussions passionnées tournant autour de la musique Rock et de ses nouveaux hérauts potentiels. Un excellent musicien, bien ancré dans le Hard-rock, mais avec les oreilles grandes ouvertes au Funk, à la Soul et au Jazz. De quoi offrir de larges perspectives. De plus, sa notoriété reste celle d'un talentueux second couteau et ne devrait donc pas titiller l'ego de celui qui est avant tout l'initiateur du projet (avec le soutien de son nouveau label, Epic).
Somme toute, les deux musiciens sont sur la même longueur d'onde, partageant la vision d'une musique à la fois robuste et élaborée, le chaînon manquant entre un Heavy-rock 70's et un Hard FM en pleine expansion. Un Heavy-rock tout compte fait assez avant-gardiste, mâtiné de Synthpop plombée. Une main de fer dans un gant de velours. Bien loin d'une expérience récréative, la musique du duo paraît être l'ouvrage d'un groupe arrivé à maturité, fort d'une solide expérience et en pleine possession de ses moyens. Bref, l'aboutissement d'un long processus. Hélas, leurs intérêts communs s'étendent au-delà de la seule musique, embrassant également celui des stupéfiants. Ce qui est difficilement compatible avec la pérennité d'un groupe.
Le tandem décide d'attaquer fort, certainement dans un souci de rassurer les fans inconsolables du Pourpre profond, voire dans une moindre mesure de Pat Travers. En conséquence "I Got a Number" ne tergiverse pas et enclenche directement la cinquième. Ce serait même assez classique s'il n'y avait pas ce pont qui fricote avec Police, et ces chorus de guitares incendiaires qui se situeraient quelque part entre Neal Schon et Steve Lukather. Mais tout change avec "The Look in Your Eyes" qui préfigure le Hard-FM (de qualité) racé des prochaines années. A croire que cette chanson a servi de mètre-étalon aux Canadiens d'Honeymoon Suite (entre autres) qui s'échineront à tenter d'approcher ce disque, sans jamais vraiment y parvenir. Pat & Glenn n'ont aucun complexe à mixer synthétiseurs, guitare monolithique lourdement saturée, Strato funky (en son clair, à peine colorée d'un léger Chorus) et couplets à la texture mi-Pop, mi-soul.
"Beg, Borrow or Steal" va encore plus loin... et le fan hardcore de Purple pleure... Le synthé est roi, et là rien de grandiose ou d'extravagant à la Keith Emerson. Du pur synthé répétitif de Cold-wave, à trois accords (joué à deux doigts). Sans la voix exceptionnelle de Hughes, qui ici jongle avec une aisance naturelle et rare entre la Soul et le Hard-blues, on dériverait vers Duran-Duran (dont le premier essai a fait un petit carton l'année précédente). Et puis, au bout d'une minute, Thrall lâche ses claviers - qui poursuivent en pilotage automatique - et reprend la guitare. Dix secondes plus tard, c'est une courte canonnade de shrapnel qui remet les pendules à l'heure. Le morceau évolue ainsi dans une circonvolution de montagnes russes, alternant entre instants de "Metal New-wave", de Hard-blues et de refrains mélodiques.
"Where Did the Time Go" voyage en aéronef dans des sphères Soul chères au cœur de Hughes, toutefois dans une ambiance teintée d'onirisme entrecoupée de moments extatiques. Le contraste avec "Muscle And Blood" qui clôture la première face est fulgurant. Une apothéose plongeant tête la première dans un Hard-rock des plus vindicatifs et arrogants. Malgré les ans, ça file toujours le frisson ! Vingt dieux ! Ce riff assassin ! Crénom! Ce riff est de l'or en barre pour tout amateur de grosse guitare. Hughes s'époumone comme jamais, comme si sa vie en dépendait. Il semble chanter dans un couloir, ce qui renforce une sensation d'oppression et de menace, où se mêle celle d'une morgue belliqueuse. Une tonalité évoquant un sombre et humide crépuscule, venant mourir dans d'étroites ruelles poisseuses, ou se perdre dans de larges hangars défraichis. Lors de sa nouvelle carrière solo entamée en 1992, Hughes en fera un de ses incontournables de son répertoire scénique.
"Hold Out Your Life" démarre la seconde face à peu près de la même façon que la première. Avec néanmoins quelques attributs de Funk blanc. Fusion improbable - jusqu'alors - de Mother's Finest, de Police, et de Gary Moore. "Who Will You Run to" continue sur la lancée en élargissant les extrêmes. Nettement plus Funk au centre et plus mordant et hard sur les bords. On pense souvent aux meilleurs moments de Saga couplés à l'énergie d'un Triumph. Hughes décide de ressortir "Coast to Coast" du placard. Une seconde chance pour cette superbe ballade blue-eyed soul de Trapeze datée de 1972. Une chanson qui n'avait pas trouvé, injustement, son public. Dix ans plus tard non plus...
Malheureusement, l'album est incompris, l'auditeur faisant rarement l'effort d'écouter plus loin que les trois premières introductions. D'autant que l'Europe est en pleine NWOBHM, érodant les esgourdes à l'aide de tempi élevés et de saturation grasses et crépitantes. Cependant, doucement, grâce à une presse généralement séduite et le bouche à oreille, l'album parvient à obtenir une certaine renommée. Ce dont profite le troisième single "Beg, Borrow or Steal" qui effectue une modeste entrée dans les charts en janvier 83, y demeurant cinq semaines. Cette petite percée leur offre néanmoins la possibilité d'enregistrer un second disque. Une petite tournée est organisée, passant par le Japon et quelques festivals, mais Hughes se laisse à nouveau submerger par ses addictions. Et son comparse n'est guère mieux en la matière. Tous deux, sérieux consommateurs, sabordent rapidement leur carrière et leur vie. Bien que le bruit court - et continuera à courir - que la collaboration aurait été si fructueuse que ce premier essai aurait pu être double, il n'y aura jamais de suite. Même après quelques essais ultérieurs de réunion. De toute façon, les années 80 seront pour Glenn Hughes une nébuleuse trouble dont il peinera à s'extirper. Jugé instable, il n'aura pas d'autre choix que de revenir en solo.
Reste cet unique album, ce "one shot" à forte personnalité, difficilement comparable à d'autres productions passées et futures. Une musique riche, alternant lignes mélodiques et chiadées, au lyrisme prononcé, à des breaks heavy-rock primaires et organiques. Les compositions, même les plus mélodiques, ne sont jamais noyées sous des tonnes d'arrangements sirupeux et nauséeux. Souvent imité, jamais égalé. Un disque devenu culte et généralement placé parmi les meilleures réalisations de Glenn Hughes, qui, depuis "Medusa" en 1970, en compte une sacré pelletée. De même pour Pat Thrall, qui va se faire un temps oublier, en se contentant d'un poste de requin de studio, où il sera d'ailleurs rapidement prisé, avant de retrouver la scène avec Asia puis avec Meat Loaf.
🎼👺
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