Pour comprendre « The
future bites » il faut comprendre le
mal dont souffre le rock depuis les infâmes eighties. Cette décennie vide était
une digestion douloureuse, une série d’étrons que la pop sortait
douloureusement de ses intestins malades. Le festin des sixties / seventies fut
trop copieux, il faudra encore quelques années pour que le rock le digère. Le
rocker moderne se sent comme un artiste à qui l’on demande de recouvrir le
plafond de la chapelle Sixtine avec une de ses œuvres, ou un auteur chargé
d’ajouter un chapitre au « Mort à Crédit » de Céline. Et puis il y’a
le public, horde hypocrites prête à tout pour que le rock reste dans son coma.
Pour eux, l’album rock est une récréation, un exercice de style à écouter avant
de revenir aux éternels LED ZEPPELIN, BEATLES et autres ROLLING STONES. Le rock'n'roll devient réac’n’roll, il se meurt dans ce passéisme paralysant. Steven
Wilson fut d’abord un pur produit de ce traditionalisme rock. Aussi brillant
soit-il, « In abstencia » (2002) n’est rien d’autre qu’une version actualisée
de « In the cours of the crimson king », avec qui il partage le thème
et les ambiances paranoïaques.
Wilson tenta une première fois de s’affranchir de ses modèles, en emmenant PORCUPINE
TREE sur les rives du heavy métal. Mais notre homme était trop fin pour partir
dans la même surenchère populo lyrique que ses amis d’OPETH, et des disques
comme « Fear of the blank planet » sonnent comme RUSH croisé avec le
space rock seventies. PORCUPINE TREE est donc mort de cette impasse, et Wilson
est parti chercher une nouvelle voie en solo. Mais cette homme est autant un
fan, un auditeur et un collectionneur acharné, qu’un artiste, c’est d’ailleurs
ce qui semble le freiner dans sa quête.
Symbole de son drame, « The raven that refused to sing » est une superbe
fresque genesienne et baroque, une œuvre intemporel mais trop marqué par ses
références pour révolutionner sa musique. Les hordes nostalgiques se sont
jetées sur l’album, les mélodies de Wilson devenaient la flute faisant sortir
les rats de leurs égouts passéistes. A peine quatre ans plus tard, le
propriétaire de cette flûte enchanté a soudain changé de mélodie. Irrité par ce
changement de décors, sa meute a lynché « To the bone », refusant à ce dernier
disque le succès qu’il méritait tant.
Choqué par sa production ultra moderne, la meute n’a pas remarqué que « To the
bone » était le « Dark side of the moon » de son guide. C’était
pourtant flagrant, la production très moderne cachant mal une nostalgie
cosmique que n’aurait pas reniée le groupe de Roger Water. Les réac’n’roller
ont donc refusé de faire de « To the bone » le « Dark side of
the moon » moderne. On aurait pu craindre que cet échec commercial
n’incite son auteur à se tenir tranquille dans la cage du revival classique
rock.
Pourquoi prendre des risques quand des dizaines de groupes vivotent pépère en
ressassant les mêmes riffs poussiéreux ?
Heureusement, Steven Wilson est d’une autre trempe, et « The future bites »
est sa déclaration d’insoumission à son publique. Avec ce disque, il prend son
époque à la gorge, met les mains dans merdier de la pop moderne, réservoir à
étrons dont peut de rocker supportent l’odeur. En voulant transformer cet amas
fétide en or, notre homme a créé une pierre philosophale imparfaite. Ses
battements technoïdes sont encore trop proches des martellements robotiques
lobotomisant les esprits faibles.
La rencontre entre cet écrin populaire et des touches de références enfin
digérées a pourtant un certain charme. Steven Wilson n’a pas fait sauter la grotte
à fossile chère aux réac’n’roller, son patrimoine rock-aïeux à juste changé de
forme. Son électro méditative réinvente l’œuvre trop méconnue de TANGERINE
DREAM, et son modernisme le plus froid roule sur les rails du « Trans
europ express » de KRAFTWERK (1990). Et comment ne pas être ébloui par ces
arpèges brillants comme des diamants fous ? Après la face cachée de la lune,
voilà que la guitare de Wilson flirte avec « Wish you were here ».
Sans être un chef d’œuvre, « The future bites » montre enfin une
alternative à l’acharnement thérapeutique que subit aujourd’hui le rock. Si
notre homme continue dans cette voie, on peut espérer qu’il parvienne à
réinventer un rock de moins en moins progressif.
On écoute deux pièces, une petite et une grande...
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