mardi 25 mai 2021

LA GRANDE ILLUSION (1937) de Jean Renoir - par Pat Slade

Le monde de l’entre deux guerre a été une période prospère pour le cinéma en France. Bon nombre de films sortis dans les années trente sont devenus des classiques mais «La Grande Illusion» est un chef-d’œuvre



LA GRANDE DÉSILLUSION




Les films sur la première guerre mondiale ne sont pas légions par rapport à ceux liés à la seconde, les premiers ont été «A l’Ouest Rien de Nouveau» un film de Lewis Milestone en 1930 et «Les Croix de Bois» de Raymond Bernard en 1932 (clic). Beaucoup d’autres parlent de cette période mais pas des combats qui feront des millions de morts. Les films les plus marquants et les plus récents resteront «1917» de Sam Mendes en 2019, «Baron Rouge» en 2008, «Joyeux Noël» de Christian Carion en 2005 ou «Flyboys» en 2006, qui relate l’histoire de l’escadrille Lafayette ; pour ne citer que ceux-là.         

Jean Renoir et Jean Gabin
Pourquoi la grande désillusion ? À la sortie du film, en 1937, on l’appelait encore «La der des ders» mais la montée en puissance du nazisme outre-Rhin fit de cette expression une grande illusion. Jean Renoir avait choisi ce titre parce qu’il ne voulait rien dire de précis et qu’il résumait parfaitement l’absurdité de la grande guerre passée et de celle qui se préparait lors du tournage. Loin du carnage des tranchées, le film évoque le quotidien de prisonniers français prêts à tout pour s’évader, tout comme dans «La Grande Évasion» le film de John Sturges en 1963. Pour monter son film, le projet ne fut pas rose pour Jean Renoir, il trimballera son manuscrit pendant trois ans et frappera à toutes les portes des producteurs français et étrangers. Sans l’intervention de Jean Gabin qui l’accompagnera dans de multiples démarches, il trouvera un financier qui acceptera de produire le film.

Jean Renoir et son père Auguste
«La grande Illusion» n’est pas un film autobiographique, mais l’histoire est fortement inspirée d’un fait réel. Renoir avait été blessé en 1915 alors qu’il était dans les chasseurs alpins, il rejoindra plus tard une escadrille d’observation. Au cour d’une mission, il sera pourchassé par un avion allemand, il sera sauvé in extremis par l’intervention d’un avion de chasse français et son pilote l’adjudant Pinsard. Il retrouvera son sauveur dix-huit ans plus tard sur le tournage de «Toni» (1935). L’adjudant était devenu général et il raconta ses histoires de guerres à Renoir. Il avait été abattu sept fois, il avait été fait prisonnier sept fois et sept fois il s’était évadé. Le réalisateur pris note des détails et rangea les feuillets dans un carton avec l’intention d’en faire un film.

"J'ai connu une Bœldieu à Berlin"    
C’est malheureusement en temps de guerre et sous le même uniforme que toutes les classes sociales et religieuses sont égales. Il n’y aura que pendant ces périodes de trouble que les ouvriers, la classe moyenne et la bourgeoisie seront les mêmes devant la mort. Guillaume Apollinaire qui sera blessé au Chemin des Dames en 1916 écrira «Ah Dieu ! Que la guerre est jolie...» qu’il faut interpréter par une provocation de  l’absurdité de la guerre de 14-18. Le synopsis du film ne nous fera pas vivre les rudes combats des tranchées, l’histoire en elle-même est assez banale, ce qui en fait un chef-d’œuvre, ce sont les dialogues de Jean Renoir et de Charles Spaak et le jeu des acteurs. Les premières images et les principaux protagonistes. Le lieutenant Maréchal (Jean Gabin) est un ouvrier mécanicien, pilote de l’escadrille MF 902, qui va devoir emmener un gradé de l’état-major, le capitaine de Bœldieu (Pierre Fresnay) pour une opération de reconnaissance. La scène suivante le capitaine von Rauffenstein (Erich Von Stroheim) entre dans le mess de l’escadrille FS 21, ce dernier vient d’abattre sont deuxième avion. L’avion abattu était celui de Maréchal et de de Bœldieu. Etant officiers, il les convient à un repas et déjà les différences sociales se créent. Les deux nobles ensembles : Rauffenstein : «J’ai connu un Bœldieu à Berlin, un comte de Bœldieu» Bœldieu : « Ah oui ! C'était mon cousin Edmond de Bœldieu, il était attaché militaire », Alors que Maréchal parle avec un officier de son rang qui a travaillé dans la société Gnome à Lyon qui fabriquait des moteurs d’avions. Les deux hommes sont sur la même longueur d’onde. Les deux prisonniers vont se retrouver au kriegsgefangenen lager (Camps de prisonniers de guerre) N°17 d’Hallbach du coté de Dresde. 

M.Dalio-G.Modot-J.Carette-J.Dasté
Entre en scène l’acteur (Julien Carette), l’ingénieur (Gaston Modot) et Rosenthal (Marcel Dalio). Au moment de la fouille règlementaire, on peut apercevoir Jacques Becker en officier anglais, ce dernier était assistant réalisateur. Les français ne mangent pas ce que leurs donnent leurs geôliers, ils se nourrissent avec les colis de Rosenthal fils d'une grande famille de banquier qui tient une grande maison de couture. Maréchal ayant pris une balle dans le bras au moment de sa capture, il se retrouve handicapé pour certaines choses. L’ingénieur ira jusqu’à lui laver les pieds et dans la conversation Maréchal lui demandera : « Et toi qu’est-ce tu fais dans le civil ? » - L’ingénieur : « Moi, je suis ingénieur au cadastre » - Maréchal : «Ah oui, au cadastre» peut convaincu de la réponse. La discussion se poursuit pour savoir s'ils peuvent avoir confiance envers de Bœldieu, Maréchal répond que oui et pourquoi ? L’ingénieur lui avoue que la nuit ils creusent un trou pour s’évader et après maintes explications Maréchal interroge «Si tu permets, je voudrais te poser une question» - L’ingénieur : « V   as-y » - Maréchal : « Qu’est-ce que c’est le cadastre ? ».   


Il y a quelques similitudes avec «La grande Evasion», comme la scène de l’éboulement dans le tunnel ou Charles Bronson est enseveli, on retrouve la même scène avec Julien Carette, même chose pour se débarrasser de la terre du tunnel, ils la repartissent en faisant du jardinage. On ne peut pas dire que John Sturges a copié sur Jean Renoir, Non ! Puisque «La Grande Evasion» est tiré de fait réel qui se sont passés en 1943 dans le Stalag Luft III. 

Julien Carette

Les seconds rôles apportent du pittoresque, Julien Carette (L’Acteur) avec sa gouaille toute parisienne et qui ne peut pas s’exprimer sans faire des calembours à deux sous. Julien Carette un personnage qui restera célèbre parmi les grands seconds rôles du cinéma français, une filmographie impressionnante. Il retrouvera Gabin et Renoir souvent sur sa route comme dans «La Bête Humaine». Il mourra dramatiquement en s’endormant avec sa cigarette allumée. George Perec dans son livre «Je me souviens» (1978) dira de lui : «Je me souviens que Carette est mort parce qu'il portait une chemise en nylon et qu'il s'était endormi avec une cigarette.». Gaston Modot (L’ingénieur) fera ses classes à l'époque du cinéma muet et en gardera une gestuelle expressive dans son jeu d’acteur, lui aussi croisera souvent la route de Jean Renoir. Marcel Dalio (Rosenthal) à cause de ses origines juives devra fuir la France et réussira une seconde carrière aux USA. Un acteur multicarte qui jouera dans toute sorte de films et même de l’érotique (voir pornographique).

Le Haut-Kœnigsbourg
La vieille de leurs évasions par le tunnel, le sort veut qu'ils soient transférés dans un autre camp. Après les passages dans différents camps et plusieurs tentatives d’évasions, nous retrouvons Maréchal, Rosenthal et de Bœldieu dans le camp d’Hallbach. Pour l’anecdote, il y a une grossière erreur dans le script puisqu’ils arrivent dans un camp qui porte le même nom et le même N° que celui dont ils sont partis mais n'est pas celui dans lequel ils arrivent. Ils sont dans un château fortifié en Allemagne (Qui n’est autre que le château du Haut-Kœnigsbourg en Alsace). Un camp qui est dirigé par Von Rauffenstein qui est maintenant inapte au service actif car infirme suite à une blessure au combat. Un autre prisonnier apparait : le lieutenant Delmoder (Sylvain Itkine) qui est un grand lecteur de Pindare, un poète de la Grèce Antique (Je me pose la question si Jean Renoir n’a pas voulu faire un parallèle avec l’adjudant Pinsard par la similitude du nom avec l’homme qui lui avait sauvé la vie). Les trois hommes poursuivent leurs projets d’évasion mais les différences sociales sont toujours présentes, dans la scène de la fouille des chambrées, Rauffenstein refusera la fouille dans le coin à de Bœldieu – Rauffenstein : « Donnez-moi votre parole d’honneur que vous n’avez rien dans la chambre contre le règlement » -  de Bœldieu : « Je vous donne ma parole d’honneur. Mais pourquoi ma parole et pas celle de ces messieurs ? » - Rauffenstein : « Hum… ! La parole d’honneur d’un Rosenthal… et celle d’un Maréchal ! » - De Bœldieu : « Elle vaut la nôtre ! » - Rauffenstein : « Peut-être ! ».

Dita Parlo
 Suite à un problème avec les prisonniers russes qui fomentent une petite émeute, les sentinelles étant occupées, les trois hommes se rendent compte qu’ils auraient pu s’échapper si ils avaient été prêts. Et c’est à ce moment que l’on apprend   que de Bœldieu ne partira pas et couvrira Maréchal et Rosenthal dans leurs fuites. Pour cela, ils achèteront des flûtes pour créer la confusion dans la citadelle. Le jour dit, les deux hommes s’échappent alors que de Bœldieu joue les trouble-fêtes avec une flûte sur la musique de : « Il était un petit navire » Rauffenstein tirera sur le français le blessant mortellement et comprendra que c’était pour couvrir la fuite des deux autres. A la mort de de Bœldieu, le commandant allemand ira couper le géranium qu’il entretenait et qui était la seule fleur du château. 

La mort de de Bœldieu
Sur les routes d’Allemagne, tout n’est pas rose pour Maréchal et Rosenthal. Les distanciations se font sentir et cela jusqu’à l’antisémitisme – Maréchal : « …D’abord, j’ai jamais pu blairer les juifs… ». Les deux hommes se séparent et se déchirent en chantant à tue tête «Il était un petit navire» Mais comme une forte amitié les lies, leurs animosités ne seront que passagères. Ils trouveront refuge dans une ferme tenue par Elsa (Dita Parlo) et sa petite fille Lotte, ils resteront la nuit de noël, Maréchal deviendra son amant. Les deux hommes repartiront et passeront la frontière Suisse.

Le film fut projeté à la Maison-Blanche pour l’anniversaire de Madame Roosevelt, « Tous les démocrates du monde devraient voir ce film » déclara le président américain. Le film est resté trente-six semaines à l'affiche d'une salle new-yorkaise. Jusqu’en 1970, il était toujours dans la liste des dix meilleurs films de tous les temps. En raison de l'esprit pacifiste, revendiqué par Jean Renoir, et de l'idée de fraternisation entre les peuples, le film fut interdit dans l'Europe occupée pendant la seconde guerre mondiale. Joseph Gœbbels le ministre de la propagande nazi considérait ce film comme « L’ennemi cinématographique numéro un » et chercha à en détruire toutes les copies.

M.Dalio - J.Gabin - P.Fresnay
Pendant la seconde guerre, Gabin et Fresnay  auront des attitudes opposées, Pierre Fresnay  adoptera une attitude complaisante vis-à-vis de l’occupant, Gabin s’engagera dans les Forces Françaises Combattantes, Sylvain Itkine, l’amateur du poète Pindare sera membre d'un réseau de   renseignements pendant l'Occupation et sera fusillé en 1944 et Dita Parlo d'origine allemande sera une indicatrice du 93 rue Lauriston, siège de la Gestapo française et indicatrice de marchés (Pour la vente au marché noir de produits aux Allemands). En Allemagne, la Gestapo lui reprochera dans « La Grande Illusion » d’avoir osé laver les pieds du juif Dalio.
Eric Von Stroheim

l’image que renvoie Erich Von Stroheim dans le rôle du commandant Von Rauffenstein nous déconcerte quand nous voyons l’acteur  dans d’autres rôles comme « Boulevard du Crépuscule » (1950) de Billy Wilder ou « Les Disparus de Saint-Agil » (1938) de Christian-Jaque. L’image de l’officier allemand et de sa minerve nous revient toujours en mémoire, beaucoup de personne ont cru, à une époque, que ce n’était pas un artifice mais qu’Eric Von Strohein en portait réellement une. Pour conclure par une petite anecdote, Jean Renoir était très préoccupé par le réalisme et il ira jusqu’à demander à Jean Gabin de porter sa propre tunique d’aviateur qu’il avait gardée après avoir été démobilisé.  

Il y aurait encore mille et un petits détails à évoquer sur ce film ; par exemple quand les prisonniers russes reçoivent une caisse de l'impératrice (Qu'ils espèrent contenir de la nourriture et qui contient en réalité des livres) et ils y mettent le feu, ce qui pourrait attester une action se déroulant avant les événements de la révolution Russe de 1917. Mais le travail de fourmis et les anecdotes donneraient une chronique telle celle que l’on aurait pu trouver très élaborée dans « Les Cahiers du Cinéma », la revue crée par André Bazin.

Une liste de vidéo réunissant des bandes-annonces, des extraits du film, une interview de Renoir et bien d'autres trésors... Puis la scène mythique concernant "les maladies de classe". 


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