LA GRANDE ILLUSION (1937) de Jean Renoir - par Pat Slade
Le monde de l’entre deux guerre a été une période prospère pour le cinéma
en France. Bon nombre de films sortis dans les années trente sont devenus
des classiques mais «La Grande Illusion» est un chef-d’œuvre.
LA GRANDE DÉSILLUSION
Les films sur la première guerre mondiale ne sont pas légions par rapport
à ceux liés à la seconde, les premiers ont été «A l’Ouest Rien de Nouveau» un film de Lewis Milestone en
1930 et «LesCroix de Bois» de Raymond Bernard en 1932(clic). Beaucoup d’autres parlent de cette période mais pas des combats qui
feront des millions de morts. Les films les plus marquants et les plus
récents resteront «1917» de Sam Mendes en 2019, «Baron Rouge» en 2008, «Joyeux Noël» de Christian Carion en 2005 ou
«Flyboys» en 2006,qui relate l’histoire de l’escadrille Lafayette ; pour ne citer que
ceux-là.
Jean Renoir et Jean Gabin
Pourquoi la grande désillusion ?
À la sortie du film, en 1937, on l’appelait encore «La derdes ders» mais la montée en puissance du nazisme outre-Rhin fit de
cette expression une grande illusion.
Jean Renoir avait choisi ce titre parce
qu’il ne voulait rien dire de précis et qu’il résumait parfaitement
l’absurdité de la grande guerre passée et de celle qui se préparait lors
du tournage. Loin du carnage des tranchées, le film évoque le quotidien de
prisonniers français prêts à tout pour s’évader,
tout comme dans «La Grande Évasion» le film de John Sturges en 1963.
Pour monter son film, le projet ne fut pas rose pour
Jean Renoir, il trimballera son manuscrit
pendant trois ans et frappera à toutes les portes des producteurs français
et étrangers. Sans l’intervention de
Jean Gabin qui l’accompagnera dans de
multiples démarches, il trouvera un financier qui acceptera de produire le
film.
Jean Renoir et son père Auguste
«La grande Illusion» n’est pas un film autobiographique, mais l’histoire est fortement
inspirée d’un fait réel. Renoir avait été
blessé en 1915 alors qu’il était dans les chasseurs alpins, il
rejoindra plus tard une escadrille d’observation. Au cour d’une mission, il
sera pourchassé par un avion allemand, il sera sauvé in extremis par
l’intervention d’un avion de chasse français et son pilote l’adjudant
Pinsard. Il retrouvera son sauveur dix-huit
ans plus tard sur le tournage de «Toni» (1935). L’adjudant était devenu général et il raconta ses
histoires de guerres à Renoir. Il avait été
abattu sept fois, il avait été fait prisonnier sept fois et sept fois il
s’était évadé. Le réalisateur pris note des détails et rangea les feuillets
dans un carton avec l’intention d’en faire un film.
"J'ai connu une Bœldieu à Berlin"
C’est malheureusement en temps de guerre et sous le même uniforme que
toutes les classes sociales et religieuses sont égales. Il n’y aura que
pendant ces périodes de trouble que les ouvriers, la classe moyenne et la
bourgeoisie seront les mêmes devant la mort.
Guillaume Apollinaire qui sera blessé au
Chemin des Dames en 1916 écrira «Ah Dieu ! Que la guerre est jolie...» qu’il faut interpréter par une
provocation de l’absurdité de la guerre de 14-18. Le synopsis du
film ne nous fera pas vivre les rudes combats des tranchées, l’histoire en
elle-même est assez banale, ce qui en fait un chef-d’œuvre, ce sont les
dialogues de Jean Renoir et de
Charles Spaak et le jeu des acteurs. Les
premières images et les principaux protagonistes. Le lieutenant Maréchal (Jean Gabin) est
un ouvrier mécanicien, pilote de l’escadrille MF 902, qui va devoir
emmener un gradé de l’état-major, le capitaine de Bœldieu
(Pierre Fresnay) pour une opération de
reconnaissance. La scène suivante le
capitaine von Rauffenstein (Erich Von Stroheim) entre dans le mess de l’escadrille FS 21, ce dernier vient d’abattre
sont deuxième avion. L’avion abattu était celui de Maréchal et de de
Bœldieu. Etant officiers, il les convient à un repas et déjà les
différences sociales se créent. Les deux nobles ensembles :
Rauffenstein : «J’ai connu un Bœldieu à Berlin, un comte de Bœldieu» Bœldieu : « Ah oui ! C'était mon cousin Edmond de Bœldieu, il était
attaché militaire », Alors que Maréchal parle avec un
officier de son rang qui a travaillé dans la société Gnome à Lyon qui
fabriquait des moteurs d’avions. Les deux hommes sont sur la même longueur
d’onde. Les deux prisonniers vont se retrouver au kriegsgefangenen lager (Camps de prisonniers de guerre) N°17 d’Hallbach du coté de Dresde.
M.Dalio-G.Modot-J.Carette-J.Dasté
Entre en scène l’acteur (Julien Carette), l’ingénieur (Gaston Modot) et
Rosenthal (MarcelDalio). Au moment de la fouille
règlementaire, on peut apercevoir
Jacques Becker en officier anglais, ce
dernier était assistant réalisateur. Les français ne mangent pas ce que
leurs donnent leurs geôliers, ils se nourrissent avec les colis de
Rosenthal fils d'une grande famille de banquier qui tient une grande
maison de couture. Maréchal ayant pris une balle dans le bras au moment de
sa capture, il se retrouve handicapé pour certaines choses. L’ingénieur
ira jusqu’à lui laver les pieds et dans la conversation Maréchal lui
demandera : « Et toi qu’est-ce tu fais dans le civil ? » - L’ingénieur : « Moi, je suis ingénieur au cadastre » - Maréchal : «Ah oui, au cadastre» peut convaincu de la réponse. La discussion se poursuit pour savoir
s'ils peuvent avoir confiance envers de Bœldieu, Maréchal répond que oui
et pourquoi ? L’ingénieur lui avoue que la nuit ils creusent un
trou pour s’évader et après maintes explications Maréchal interroge «Si tu permets, je voudrais te poser une question» - L’ingénieur : « V as-y » - Maréchal : « Qu’est-ce que c’est le cadastre ? ».
Il y a quelques similitudes avec «La grande Evasion», comme la scène de l’éboulement dans le tunnel ou
Charles Bronson est enseveli, on retrouve
la même scène avec Julien Carette, même
chose pour se débarrasser de la terre du tunnel, ils la repartissent en
faisant du jardinage. On ne peut pas dire que
John Sturges a copié sur
Jean Renoir,Non ! Puisque «La Grande Evasion» est tiré de fait réel qui se sont passés en 1943 dans le Stalag
Luft III.
Julien Carette
Les seconds rôles apportent du pittoresque,
Julien Carette (L’Acteur) avec sa
gouaille toute parisienne et qui ne peut pas s’exprimer sans faire des
calembours à deux sous. JulienCarette un personnage qui restera célèbre
parmi les grands seconds rôles du cinéma français, une filmographie
impressionnante. Il retrouvera Gabin et
Renoir souvent sur sa route comme dans «La Bête Humaine». Il mourra dramatiquement en s’endormant avec sa cigarette allumée.
George Perec dans son livre «Je me souviens» (1978) dira de lui : «Je me souviens que Carette est mort parce qu'il portait une chemise en
nylon et qu'il s'était endormi avec une cigarette.». Gaston Modot (L’ingénieur)
fera ses classes à l'époque du cinéma muet et en gardera une gestuelle
expressive dans son jeu d’acteur, lui aussi croisera souvent la route de
Jean Renoir.
Marcel Dalio (Rosenthal) à cause
de ses origines juives devra fuir la France et réussira une seconde
carrière aux USA. Un acteur multicartequi jouera dans toute sorte de films et même de l’érotique (voir pornographique).
Le Haut-Kœnigsbourg
La vieille de leurs évasions par le tunnel, le sort veut qu'ils soient
transférés dans un autre camp. Après les passages dans différents camps et plusieurs tentatives
d’évasions, nous retrouvons Maréchal, Rosenthal et de Bœldieu dans le camp
d’Hallbach. Pour l’anecdote, il y a une grossière erreur dans le script
puisqu’ils arrivent dans un camp qui porte le même nom et le même N° que
celui dont ils sont partis mais n'est pas celui dans lequel ils arrivent.
Ils sont dans un château fortifié en Allemagne (Qui n’est autre que le château du Haut-Kœnigsbourg en Alsace). Un camp qui est dirigé par Von
Rauffenstein qui est maintenant inapte au service actif car infirme suite à
une blessure au combat. Un autre prisonnier apparait : le lieutenant
Delmoder (Sylvain Itkine) qui est un grand
lecteur de Pindare, un poète de la Grèce Antique (Je me pose la question si JeanRenoir n’a pas voulu faire un parallèle
avec l’adjudant Pinsard par la similitude
du nom avec l’homme qui lui avait sauvé la vie). Les trois hommes poursuivent leurs projets d’évasion mais les
différences sociales sont toujours présentes, dans la scène de la fouille
des chambrées, Rauffenstein refusera la fouille dans le coin à de Bœldieu –
Rauffenstein : « Donnez-moi votre parole d’honneur que vous n’avez rien dans la chambre
contre le règlement » - de Bœldieu : « Je vous donne ma parole d’honneur. Mais pourquoi ma parole et pas celle
de ces messieurs ? » - Rauffenstein : « Hum… ! La parole d’honneur d’un Rosenthal… et celle d’un
Maréchal ! » - De Bœldieu : « Elle vaut la nôtre ! » - Rauffenstein : « Peut-être ! ».
Dita Parlo
Suite à un problème avec les prisonniers russes qui fomentent une petite
émeute, les sentinelles étant occupées, les trois hommes se rendent compte
qu’ils auraient pu s’échapper si ils avaient été prêts. Et c’est à ce
moment que l’on apprend que de Bœldieu ne partira pas et
couvrira Maréchal et Rosenthal dans leurs fuites. Pour cela, ils
achèteront des flûtes pour créer la confusion dans la citadelle. Le jour
dit, les deux hommes s’échappent alors que de Bœldieu joue les
trouble-fêtes avec une flûte sur la musique de : « Il était un petit navire » Rauffenstein tirera sur le français le blessant mortellement et
comprendra que c’était pour couvrir la fuite des deux autres. A la mort de
de Bœldieu, le commandant allemand ira couper le géranium qu’il
entretenait et qui était la seule fleur du château.
La mort de de Bœldieu
Sur les routes d’Allemagne, tout n’est pas rose pour Maréchal et
Rosenthal. Les distanciations se font sentir et cela jusqu’à l’antisémitisme – Maréchal : « …D’abord, j’ai jamais pu blairer les juifs… ». Les deux hommes se séparent et se déchirent en chantant à tue tête
«Il était un petit navire» Mais comme une forte amitié les lies, leurs animosités ne seront que
passagères. Ils trouveront refuge dans une ferme tenue par Elsa (Dita Parlo) et sa petite fille Lotte, ils resteront la nuit de noël, Maréchal
deviendra son amant. Les deux hommes repartiront et passeront la frontière
Suisse.
Le film fut projeté à la Maison-Blanche pour l’anniversaire de Madame
Roosevelt, « Tous les démocrates du monde devraient voir ce film »
déclara le président américain. Le film est resté trente-six semaines à
l'affiche d'une salle new-yorkaise. Jusqu’en 1970, il était toujours
dans la liste des dix meilleurs films de tous les temps. En raison de l'esprit pacifiste, revendiqué par
Jean Renoir, et de l'idée de
fraternisation entre les peuples, le film fut interdit dans l'Europe
occupée pendant la
seconde guerre mondiale. Joseph Gœbbels le
ministre de la propagande nazi considérait ce film comme « L’ennemi cinématographique numéro un » et chercha à en détruire toutes les copies.
M.Dalio - J.Gabin - P.Fresnay
Pendant la seconde guerre, Gabin et
Fresnay auront des attitudes
opposées, Pierre Fresnay adoptera
une attitude complaisante vis-à-vis de
l’occupant, Gabin s’engagera dans les
Forces Françaises Combattantes, Sylvain Itkine, l’amateur du poète Pindare sera
membre d'un réseau de renseignements pendant
l'Occupation
et sera fusillé en 1944 et
Dita Parlo d'origine allemande sera
une indicatrice du 93 rue Lauriston, siège de la Gestapo française et
indicatrice de marchés (Pour la vente au marché noir de produits aux Allemands). En Allemagne, la Gestapo lui reprochera dans « La Grande Illusion » d’avoir osé laver les pieds du juif
Dalio.
Eric Von Stroheim
l’image que renvoie Erich Von Stroheim dans le rôle du
commandant Von Rauffenstein nous déconcerte quand nous voyons l’acteur dans d’autres rôles comme « Boulevard du Crépuscule » (1950) de Billy Wilder ou « Les Disparus de Saint-Agil » (1938) de Christian-Jaque. L’image de
l’officier allemand et de sa minerve nous revient toujours en mémoire,
beaucoup de personne ont cru, à une époque, que ce n’était pas un artifice
mais qu’Eric Von Strohein en portait
réellement une. Pour conclure par une petite anecdote,
Jean Renoir était très préoccupé par le
réalisme et il ira jusqu’à demander à
Jean Gabin de porter sa propre tunique
d’aviateur qu’il avait gardée après avoir été démobilisé.
Il y aurait encore mille et un petits détails à évoquer sur ce film ; par
exemple quand les prisonniers russes reçoivent une caisse de l'impératrice
(Qu'ils espèrent contenir de la nourriture et qui contient en réalité
des livres) et ils y mettent le feu, ce qui pourrait attester une action se
déroulant avant les événements de la révolution Russe de
1917. Mais le travail de fourmis et les anecdotes donneraient une chronique
telle celle que l’on aurait pu trouver très élaborée dans « Les Cahiers du Cinéma », la revue crée par André Bazin.
Une liste de vidéo réunissant des bandes-annonces, des extraits du film,
une interview de Renoir et bien d'autres trésors... Puis la scène mythique
concernant "les maladies de classe".
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