Les gens sont ainsi fait que, si une bonté trop généreuse leur donne du mépris pour leur bienfaiteur, le culot d’un profiteur méprisant est souvent pour eux le signe d’une certaine noblesse. Comme le disait si bien Louis Ferdinand Céline, un bon culot suffit à presque tout, et notre voyageur fut loin d’en manquer. Malgré son visage d’adolescent, il marchait avec l’assurance d’un homme mûr et la tranquillité de celui qui sait où aller. Le jeune homme se nommait Bob Dylan et, lorsque quelqu’un lui demandait où habitait sa famille, il répondait ne pas en avoir, avec une absence d’émotion troublante. Dylan se dirigeait vers le Gaslight, café aux airs de cave ancienne où la poésie de la folk avait remplacé le swing revigorant des dieux du jazz.
Voyant Mick
Jagger et Roger Daltrey soulever les foules et mettre en transe des
hordes de gourgandines, il envia secrètement leur charisme sauvage.
Lui ne sut jamais que claudiquer sur scène avec une raideur de
pantin désarticulé, ses mots seuls fascinaient une foule le
gratifiant de la charge austère de guide d’une génération. Ce
rôle, le barde l’avait toujours refusé, il ne voulait pas plus
guider sa génération que la laisser l’aliéner. « Celui qui
n’est pas occupé à naître est occupé à mourir » chanta t-il
avant d’incarner son précepte de la façon la plus
révolutionnaire. Enregistré dans l’urgence « Bringing it all back home » fut le plus cruel coup porté à l’immobilisme folk. Nul n’ignorait que, si le grand public prenait goût à l’union du folk et du rock, le folk acoustique croupirait à jamais dans les caves de l’underground. Alors, au lieu des cris d’admiration, Dylan eut droit aux cris de haine. Les lettres d’admirateurs devinrent des lettres de menaces, les louanges se transformèrent en injures. Ce que Dylan préparait n’était pourtant pas une révolte avant-gardiste, mais une prolongation de la tradition par des moyens nouveaux.
C’est dans ce cadre qu’il
convoqua Mike Bloomfield à l’enregistrement de « Highway 61
revisited », l’homme s’étant imposé comme le plus
légitime fils des chanteurs de Delta blues. Ainsi sortirent les
fabuleux « Bringing it all back home », « Highway
61 revisited » et « Blonde on blonde ». Sur ce
dernier, le swing terreux du Band prédisait discrètement un virage
country qui fit autant scandale que la fièvre électrique qui le
précéda. A l’écoute de ces enregistrements, la direction du
festival de Newport avait prévenu Dylan, sa folie électrique ne
sera pas tolérée dans cette Mecque de la poésie acoustique.
Qu’importe la mort du folk se dit alors le barde, sa muse exigeait
qu’il l’étreignit avec l’énergie des rockers les plus
dévergondés.Propulsé par cette puissance binaire honnie des ayatollahs de la tradition folk, le poète se sentit un peu plus proche du charisme d’Elvis qu’il admirait tant. Il tournait pourtant également la page des rockers acéphales, greffait un cerveau au corps glorieux du rock’n’roll, incitait les rockers à penser. Aussi grandiose que fut cet épisode du mythe dylanien, il serait caricatural d’en faire le seul père de la révolution folk rock.
Dans le même temps, fuyant la chaleur californienne pour la fraîcheur obscure des salles de cinéma, une bande de jeunes musiciens s’apprêtait à vivre la plus grande révélation de sa vie. Les films des Beatles furent la version anglaise des nanars d’Elvis, de sympathiques navets plus proches du grand plan de publicité que de la véritable œuvre cinématographique. Qu’importe pourvu que, propulsé par la puissance d’une sonorisation moderne, les chœurs de « Love me do » et « A hard day’s night » donnent l’impression de vivre un événement historique.
A suivre… avec les Byrds.
Cet article, et bien d'autres, est à relire dans le bouquin de Benjamin, en vente ici : Le Roman du Rock
Extraits du festival Newport 65' avec un titre folk, l'autre rock (un inédit, seuls quelques initiés connaissent) et plus tard avec The Band.





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