jeudi 11 juillet 2024

ALICE COOPER par Benjamin

 

Où placer la frontière entre le vulgaire et le spectaculaire, l’artistique et le folklorique, la légèreté et la bêtise ? C’est sans doute la question qui taraude chaque critique, celle autour de laquelle ils tournent sans parvenir à lui apporter une réponse définitive. La critique musicale est une guerre sans vainqueur, une série d’exécutions vaines et de couronnements éphémères. Car, au fond de lui, chaque homme garde des convictions qu’il refuse de mettre en cause, des icônes sacrées qu’il ne reniera jamais. Écrire une critique c’est tracer une frontière entre la civilisation et la barbarie, la controverse est la saine lutte visant à définir notre récit culturel. S’il existe une laideur et une vulgarité flagrante, comme ce mix entre une travailleuse du bois de Boulogne et une actrice porno cosmopolite et analphabète qui nous représentera lors de l’ouverture des JO, celle-ci se montre le plus souvent de façon plus nuancée. Au-delà d’une disgrâce du style et d’apparences provocantes, la vulgarité peut aussi être perçue à travers une certaine esthétique, une trop grande rapidité ou grandiloquence, ou un simpliste abrutissant.

« A la place, on se tape la mauvaise cacophonie de ce crainteux de Sun Ra dirigeant sa fanfare de martiens en haillons, qui massacrent des arrangements de Fletcher Anderson et sautillent sur des boogie woogie boiteux. Je hurle à la honte devant ces danses débiles, cette fumisterie notoire qui dure depuis vingt ans. Jadis, les escrocs free jazzmen n’osaient pas flirter avec le tempo de peur de montrer leur totale incompétence. » Marc Edouard Nabe : « Nabe’s dream »

Je cite ici un des derniers grands auteurs que ce pays ait porté, mais je pourrais réciter également des centaines de pages témoignant de la même saine colère. Certaines sont aujourd’hui mal assumées, comme ces chroniques où le jeune Philippe Manœuvre incendiait AC/DC, les Ramones et autres rockers trop simples pour ses délicates oreilles. Si Lester Bang eut le mérite de se repentir de son attaque cinglante du MC5, la diva à lunettes qui lui succéda en France se montra plus imperméable au doute. Comme lui, nombreux sont les vieux passionnés incapables de se débarrasser de leurs anciens dégoûts, qui leur font vomir leur mépris à la moindre occasion. Parmi ces haines irrationnelles, la vieille sorcière Alice Cooper tint une place de choix. Diffusé parfois à la télévision, la crudité théâtrale de ce pantin paranoïaque leur fit oublier la musique, l’image masquait le son.

Fils d’un pasteur baptiste se disant descendant de La Fayette, le jeune Vincent Furnier trouva dans le rock’n’roll une légèreté salvatrice. L’un de ses premiers groupes se nomma The Nazz, puis The Spiders, après que les musiciens se soient rendus compte que Nazz était le nom du groupe de Todd Rungren. Il leur fallut ensuite trouver un moyen de se différencier, un son ou un gimmick que les fécondes sixties n’avaient pas encore inventé. Dostoïevski affirmait que « lorsque l’on ne croit plus en dieu, on croit en n’importe quoi », Huysmans se moqua lui aussi des superstitions qui florissaient pour remplacer un catholicisme agonisant. 

Pour remédier à cette détresse mystique, Schopenhauer prôna le désespoir, affirma qu’il n’existait aucune échappatoire à la souffrance. Que vous soyez riche ou pauvre, le monde sera pour vous un chemin de Damas et l’existence une croix qu’il vous faut porter. En sommant les hommes d’abandonner toute forme d’espoir, le grand Arthur les recentrait sur la seule chose qui compte : leur existence terrestre. Aujourd’hui encore, alors que le vieux dogme catholique n’en finit plus d’agonir, une jeunesse ivre de confort tente d’oublier son ennui dans un satanisme de foire et autres croyances exotiques.

Détruisez les clochers et vous multiplierez les chapelles, voilà la triste leçon que nous donne l’occident moderne. Les sixties ne furent pas exempts de superstitions aliénantes et, alors que l’effet du LSD rendait son esprit plus sensible aux opiums mystiques, le jeune Vincent Furnier se laissa tenter par une séance d’occultisme. Le chanteur eut alors une vision, celle d’une sorcière brûlée durant le moyen âge anglais, la fameuse Alice Cooper. Convaincu d’en être la réincarnation, celui qui n’était jusque-là que Docteur Furnier devint Mister Cooper. C’est ainsi que naquit le Alice Cooper Group, porte-étendard de tous les monstres engendrés par l’aliénation du capitalisme américain. Débraillés et repoussants, ces musiciens jouèrent d’abord un rock psychédélique sans charme dans de grands numéros de théâtre aussi ridicules que provocateurs. Condamnés à rentrer sagement à l’usine où à mourir dans le caniveau, le groupe fut sauvé in extremis par Frank Zappa.

Signé sur son label Straight, le groupe enregistra d’abord l’insignifiant « Pretty for you », triste parodie de cette pop planante qui triomphait alors dans les charts. Loin de rougir de cette nullité musicale, ces musiciens la revendiquèrent en se proclamant groupe le plus nul du monde. S’il ne suscita pas plus d’intérêt, « Easy Action » eut au moins le mérite de laisser la fougue du heavy blues naissant fendre le vernis d’une douceur planante dépassée. C’est ainsi que le Alice Cooper Group devint musicalement ce qu’il était symboliquement, c’est-à-dire l’incarnation du cauchemar que devint l’hédonisme hippie. Usé par le poison de cette religion libertaire, le LSD, Cooper partit se refaire une santé au milieu de la scène agitée de Détroit. Là, pour se faire entendre à côté du heavy blues bestial de Ted Nugent, de la funk brûlante du Silver Bullet Band ou du proto punk du MC5 et des Stooges, le Alice Cooper Group développa un boogie blues violent et spectaculaire.

Cette fièvre musicale séduisit vite la maison de disque Warner, qui missionna Bob Erzin pour produire l’incontournable « Love it to death ». Maquillé comme un croque-mitaine du rock, Cooper détruisit en quelques refrains les illusions béates d’une pop gentillette. Reprenant à son compte le pessimisme exprimé en son temps par Schopenhauer, la sadique Alice Cooper plongea l’auditeur dans un monde plein de souffrance. « I’ve got a baby brain and an old man’s heart… I’m a child and I’m a man ». Célébré par la pop, le romantisme adolescent est ici montré comme une farce hypocrite, une douce illusion que Cooper détruit à grands coups de noirceur théâtrale.

« I’m eighteen » fut le tube qui propulsa Cooper au sommet des ventes, il ne fut pourtant pas le meilleur titre de « Love it to death ». Plongée glaçante dans les abysses de la folie, « Ballad of dwigh fry » devint vite le point d’orgue du grand théâtre cooperien. Au sombre « Love it to death » succéda l’irrésistible puissance de « Killer », les rythmes étincelants de « Billion dollar babies » et le proto punk rugueux de « School’s out ».

Passant sans cesse du glauque au burlesque, de la gravité à la trivialité, Cooper fit de sa noirceur et de son cynisme une arme contre la pruderie de son pays et de sa musique. L’hommage Morissonien de « Desperado » fit place au blues de femme frigide de « Be my lover », le nihilisme assumé de « School’s out » succéda à la révolte de « Elected ». Le théâtre Cooperien était immoral par essence, il célébrait les vices et les déviances de la plus grande puissance mondiale, prêchait la débauche et le nihilisme pour accélérer sa chute spirituelle, qu’il célébrait à grands coups de riffs acérés. Passant d’une camisole de force à une chaise électrique ou enlaçant lascivement un boa constrictor, Cooper devint trop grand pour partager la scène avec un groupe réduit au rang de fonctionnaire de son cirque macabre. Le Alice Cooper Group fut donc viré sans ménagement après la sortie du plus mitigé « Muscle of love », pour être remplacé par les mercenaires ayant servi Lou Reed sur l’inoubliable « Rock’n’roll animal ». Après s’être approprié le glam et le punk, Alice s’éleva ainsi au niveau des ambitieux rockers progressifs. Dante d’opérette, Maldoror de cartoon, le Alice Cooper de « Welcome to my nightmare » s’imposa vite parmi les grands personnages du théâtre rock.

En brillant artificier d’un heavy rock classieux, le duo Wagner / Hunter permit à ce maître de cérémonie de marier la grandiloquence génésienne à l’énergie fédératrice des hordes menées par Led Zeppelin. Commercialement autant qu’artistiquement, Cooper ne put aller plus haut, ce succès achevant de l’enfermer dans la peau de son personnage paranoïaque. Pour soigner la frustration liée à une série d’enregistrements poussifs servis par des groupes se fichant de sa musique, Alice Cooper s’assomma à grands coups de vin. Ayant perdu tout contact avec la réalité, il se fit interner après la sortie de trois navets heavy blues « DaDa », « Special force » et « Zipper catches ».

A son retour en 1986, une nouvelle génération célébrait le souvenir de cette vieille sorcière provocatrice. Wasp s’inspira de son théâtre décadent, les Guns reprirent « Only women bleed » et j’en passe. Fort de cette nouvelle notoriété, le Coop s’adapta aux exigences d’un rock plus propret pour surfer sur le succès du hard rock radiophonique. Issu de son grand comeback « Constrictor », « The man behind the mask » devint la bande son du film VENDREDI 13. Suivirent le tubesque « Thrash » et un « Hey stoopid » sur lequel Slash vint poser ses chorus abrasifs. La suite de sa carrière fut une succession de montagnes russes, Cooper tombant parfois dans la barbarie tonitruante des heavy métalleux. Se voulant une suite de son plus grand disque, « Welcome 2 my nightmare » alla jusqu’à tomber dans la fange de l’électro la plus aliénante.

Célébrant aujourd’hui les grandes heures d’un rock qu’il servit avec un certain panache, Cooper nous gratifia de quelques joyaux heavy blues tels que « Paranormal » ou les deux albums des Hollywood Vampires. Certains continueront de crier que cet homme ne fut qu’un prestidigitateur, un amuseur coincé dans un costume d’artiste trop grand pour lui. Qu’ils oublient un peu le folklore burlesque pour se concentrer sur la musique, ils se rendront alors compte que sous ces gimmicks se cachait une œuvre aussi riche que séduisante.

 

2 commentaires:

  1. "Son premier ouvrage publié, "Au régal des vermines", sort le 25 janvier 1985 chez Bernard Barrault. Dans cet essai, Nabe fait part de son admiration pour des auteurs comme Louis-Ferdinand Céline, André Suarès, Lucien Rebatet, Sade ou encore Léon Bloy. Abordant de multiples thèmes, (...) il y décrit, sur un ton pamphlétaire et virulent, ses goûts (le jazz, les femmes, les Noirs, ses écrivains préférés…) et ses dégoûts (le rock, les féministes, les « pédés » et les milieux culturels contemporains).
    La sortie de ce premier livre est accompagnée de polémiques publiques. L'ouvrage contient en effet de nombreux passages provocateurs et s'en prend violemment à diverses catégories de personnes (les femmes, les enfants, les vieillards, certains écrivains et musiciens, les socialistes…). Nabe écrit entre autres : « Je suis très raciste. J'espère que les Noirs vont finir par enculer tous les blancs et les assombrir pour toujours. Le métissage n'est pas une solution pour empêcher le racisme mais pour l'accroître. C'est sa seule vertu… Tout est race dans la vie. Je prétends qu'il existe des différences essentielles entre la race noire, blanche, jaune. […] La plus belle race du monde, ce sont les nègres ! », « Les pédés, je les hais, mais ils ne sont qu'une minorité parmi d'autres. », et « Du moment que je vomis le monde entier, il n'y a aucune raison pour que les Juifs soient exclus de ma gerbe d'or. […] Les Juifs sont responsables de la civilisation écœurante de cette ordure de Dieu. Les Hébreux d'Israël je les dégueule donc, je les colle contre leur ignoble mur croulant des larmes. […] Plus les ondes du Juif swinguent dans le néfaste, plus le monde est judaïque ». Ce sont les passages sur les Juifs qui occasionnent le plus de controverses (sic), Nabe étant accusé d’antisémitisme."

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