Voilà un petit film québécois absolument épatant. Une pépite qui débute le soir de l’anniversaire de la petite Sasha, heureuse de recevoir un orgue Bontempi, dont elle sait instinctivement jouer. Mais le cadeau dont ses parents sont le plus fiers, c’est un clown, un vrai, un peu minable, pas très drôle, qu’importe, il n’est pas là pour faire un numéro, mais pour être mangé…
Sasha est une petite vampire, elle a l’âge de se faire les crocs sur de belles jugulaires. Mais problème : ses canines ne sortent pas. Ses parents consultent un dentiste, puis la petite passe une batterie de tests. Un neurologue la colle devant des images violentes, comme dans ORANGE MÉCANIQUE, la truffe d’électrodes comme dans L’EXCORCISTE (références joliment détournées) et le constat tombe. Sasha souffre d’un mal terrible : la compassion.
Un vampire qui rechigne à mordre ses victimes par empathie, c'est contrariant. Sasha est envoyée vivre chez sa cousine Denise, chargée de la remettre sur le bon chemin. Les années passent, et lors d’une séance aux Dépressifs Anonymes, Sasha croise Paul, un ado suicidaire. Le destin a bien frappé ! Elle veut tuer, lui veut mourir. Excellente réplique de Paul dans le bureau de la directrice du lycée : « à part moi-même, je serais incapable de tuer quiconque ».
VAMPIRE HUMANISTE CHERCHE SUICIDAIRE CONSENTANT (quel titre !) est une comédie noire qui détourne avec malice les récits fantastiques et romantiques pour ados, genre TWILIGHT, les contes initiatiques tel HARRY POTTER. Il y a le monde des humains (comme les Moldus) et celui, nocturne, des vampires. C’est d’ailleurs après une bonne heure de film que je me suis aperçu que toute l’intrigue se passe de nuit, et pour cause.
La photographie est superbe, grain fin 70’s, toute en clair-obscur, lardée de néons rougeoyants et de reflets dans les flaques (en mode Film Noir, TAXI DRIVER) le format scope est intelligemment utilisé. A part la maison des parents, vieille demeure en bois qui renvoie à HALLOWEEN ou PSYCHOSE, l’action se passe dans un centre-ville lambda que seul le travail de la lumière façonne en théâtre horrifique. La réalisatrice Ariane Louis-Seize, dont c’est le premier long métrage, œuvre dans la finesse, dans ses portraits de personnages comme dans sa mise en scène.
Elle convoque quand il le faut les codes du film d’épouvante : la scène entre les containers et les ombres qui passent, la cousine Denise qui ramènent deux auto-stoppeurs (pour le dîner) qui seront joyeusement trucidés et pendus à des crochets, première attaque de Sasha contre les harceleurs de Paul. On s’amusera à voir Sasha se lever de son lit le dos raide, comme Christopher Lee sortant de son cercueil. Mais ces codes sont aussi inversés. Dans la mythologie, le vampire est un prédateur sexuel, un dominateur (voir la version de Coppola) et la jeune fille, vierge si possible, est généralement la proie. Ici c’est l’inverse, le vampire est une jeune fille, peu sûre d’elle, mal dans sa peau, le jeune homme est la victime consentante, mais pas par attrait amoureux, juste pour en finir avec sa vie de merde. Ce qui est drôle aussi, c’est la transposition du fantastique dans un quotidien extrêmement banal, avec la mère qui se plaint de « faire les courses depuis 200 ans », et ce papa-gâteau qui ne veut pas contraindre sa fille.
Le film est avant tout le portrait de
deux ados qui cherchent leurs places, mal à l’aise dans leurs vies, qui se raccrochent
à l’autre comme à une bouée, partagent le même mal-être. Il faut la voir, elle,
buvant des poches de sang à la paille comme on sirote un soda, le pas traînant,
la moue boudeuse (« Pfff, y’a plus rien dans l’frigo ! »). Il y
a une scène formidable (la réalisatrice abat le quatrième mur) avec la caméra qui cadre Sasha et Paul de
face dans la chambre de la gamine, un long plan fixe, le temps de la chanson « Emotions » de Brenda Lee.
Timide et réservée, Sasha commence à mimer le chant en playback, petite séduction tout en œillades à l’attention de Paul qui se déride et commence à bouger la tête en rythme.
La finesse est aussi dans l’écriture, rien n'est ostentatoire : relation pudiquement exprimée entre Paul et sa mère, jolie scène de la lettre de suicide sur l’oreiller. Et puis l’intrigue surprend. Une fois acter que Paul mourra, Sasha lui demande ses dernières volontés. S’engage alors une vindicte envers tout ceux qui l’ont fait souffrir, camarades de classe, profs, mais là encore, rien ne se passe comme prévu. On a le retour des parents et de la grand-mère, appelés à la rescousse, à la fois fiers et ravis que Sasha soit enfin passée à l’acte, mais contrariés par la tournure des évènements.
Sasha a trouvé sa voix, ce qui amène, sans qu’on le devine (l'idée est géniale) à un épilogue qui clôt merveilleusement en mode MEN IN BLACK cette intrigue originale et réconcilie les attentes de tout le monde.
VAMPIRE… est une vraie pépite. Tout est dans le ton, drôle et décalé, une mise en scène techniquement irréprochable, une ambiance, et l’actrice Sara Montpetit est formidable, cousine d’une Mercredi Addams ou d’un Edward (aux mains d’argent), visage blafard et long manteau noir, mutique, adorable quand son oeil pétille. L’accent québécois des parents ou de la cousine rajoute au charme (j’ai vu une version sous-titrée, ce qui vaut mieux) de ce drame existentiel vampirique, conclu au générique de fin par un « Dracula’s yéyé » très sixties, et... endiablé.
Pas certain que ce film soit très bien distribué, mais si ça passe près de chez vous, ça vaut vraiment le coup d'oeil. Par contre, ce n'est pas pour un jeune public... (-12 au cinéma)
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La bande annonce, et l'extrait sur la chanson de Brenda Lee, visez la beauté du cadre, la chorégraphie des gestes et regards, les lumières qui tournent au rouge à mesure que l'émotion étreint les personnages. Superbe !
Couleur - 1h30 - format scope 1:2.39
L'histoire me fait diablement (forcément diablement) penser à Morse, film nordique (suédois ?) d'une quinzaine d'années avec une fillette vampire qui se lie avec son petit voisin, harcelé par ses camarades de classe. Par contre, Morse, dans mes souvenirs, s'il est plutôt bien, n'a rien de drôle ...
RépondreSupprimerJe ne connais pas "Morse" mais il y a un peu de ça effectivement, le gamin est lui aussi harcelé, mais pas seulement à l'école. Apparemment, c'est un livre au départ qui a fait l'objet d'une adaptation américaine aussi.
SupprimerOn peut craindre, en effet, que ça reste assez confidentiel.
RépondreSupprimerCa paraît être dans le même genre que "Vampires en toute intimité", l'esprit potache en moins.
RépondreSupprimerUn croisement entre "Morse" (justement) et "Vampires en toute intimité" ? Voire avec "He Never Died" avec Henry Rollins, plutôt bon dans ce rôle de vampire repenti, essayant de survivre sans tuer.
En tout cas, ce "VAMPIRE HUMANISTE CHERCHE SUICIDAIRE CONSENTANT" me tente bien 😊