Décidément, salle de classe et de cinéma se confondent. Deux semaines après le film de l'allemand İlker Çatak [clic vers LA SALLE DES PROFS] on replonge dans l’univers impitoyable d’un collège, un film dans lequel le réalisateur Teddy Lussi-Modeste raconte sa propre histoire, étant aussi prof de français. Il y a une similitude avec le film allemand, dans la manière dont le personnage gère (mal) la situation et les réactions de ses confrères. Il y a aussi une différence dans le choix de mise scène… on y reviendra.
Julien Keller est un jeune professeur de français, il fait un cours sur « Mignonne, allons voir si la rose » de Ronsard, évoque avec ses élèves le thème de la flatterie, de la séduction, et implique une de ses élèves, Leslie, pour illustrer une figure de style : « avec sa nouvelle coiffure, Leslie est particulièrement en beauté ». Une phrase anodine qui déclenche aussitôt les rires et les protestations dans la classe, en mode Oh le prof est amoureux… Le lendemain, dans le bureau de la CPE, Leslie accuse Julien d’harcèlement sexuel. Le grand frère de Leslie, qui en a la garde, débarque au collège et tout part en vrille.
Les premières scènes sont assez saisissantes, effrayantes. Le réalisateur décrit très bien le piège qui se referme sur Julien. Il y a dans le montage une tension immédiatement palpable, d’autant qu’au sein de sa classe, une autre élève, Océane, entretient le malaise, fomente et complote pour stigmatiser et abattre le professeur. Personnage jouée par Mallory Wanecque, diabolique avec ses yeux clairs, comme dans LE VILLAGE DES DAMNES.
Le scénario se développe en trois axes. La gestion du conflit avec la direction de l’établissement, le fameux « pas de vagues Monsieur Keller », avec les collègues de Julien, et avec la police / justice. Le directeur du collège passe pour un lâche et un poltron, il soutient son prof du bout des lèvres, mais se serait bien passé de cette affaire qui risque de lui faire perdre quelques points pour la suite de sa carrière.
Les collègues professeurs font bloc autour de Julien, c'est beau mais ça ne durera pas. Julien va perdre ce soutien à cause de maladresses et de non-dits. Bonne idée de scénario (co-écrit avec Audrey Diwan) avec le personnage de Laura (Agnès Hurstel) une collègue qui en pince pour lui, mais ignore que Julien vit déjà en couple, avec un homme. Elle prend froidement la nouvelle comme une trahison. On reprochera à Julien de n’avoir pas parlé de son homosexualité, qui selon certains, était la preuve qu’il ne pouvait pas draguer une jeune fille (sic). S’il leur a caché cela, que cache-t-il d’autre ? Par son mutisme (sur sa vie privée) et sa méthode d’enseignement (scène au kebab), Julien est devenu le problème. Le film montre bien l’inversion des sentiments à son égard, du statut de victime à défendre par corporatisme, il passe à celui d’emmerdeur responsable du chaos qui commence à régner au collège.
Et puis il y a les démarches auprès de la justice, Julien est mal conseillé (scène au commissariat), c'est lui qui est visé par une plainte, il n’a pas les moyens de contre-attaquer. Il est menacé de mort par le frère de Leslie, plans anxiogènes à chaque sortie du collège, le mec avec deux boulons dans le crâne, fait vraiment peur. Julien comprend que les mesures de protections qu’il réclame ne lui seront pas fournies. Ah si, son directeur, grand prince, propose de lui prêter le bip de la porte du garage pour que Julien puisse sortir incognito de l'établissement... Autre aspect, juste suggéré (dommage) la réaction des parents d’élèves, avec cette maman qui informe en temps réel l’ensemble des parents des faits et gestes du professeur lors d’une sortie scolaire, parce « qu’ils n’ont pas confiance ».
Au contraire du film İlker Çatak qui avait choisi un format carré, Teddy Lussi-Modeste filme en scope. Je ne suis pas certain que ce soit le format adéquat, en tous cas pas suffisamment exploité, la mise en scène privilégiant les champs contre champs, les arrières-plans flous. Le réalisateur utilise quelques codes du thriller pour rendre son récit plus attrayant (c'est la grande mode du moment, tout doit être traité en thriller...) alors que les seuls faits suffisaient à créer le malaise. Le ENTRE LES MURS de Laurent Cantet n'avait pas besoin d'un traitement thriller pour être passionnant. Lussi-Modeste fait aussi le choix de montrer Julien dans sa vie privée là où Çatak respectait l'unité de lieu (option à mon avis plus intéressante) alignant des banalités qui n’apportent pas grand-chose, dont une scène de dîner incongrue. J’aurais aimé que les auteurs se recentrent sur l’aspect juridique du propos, voire, essaient d’élever le débat au-dessus de la sphère scolaire.
Une mise en scène tout de même illustrative mais qui recèle de bons moments : lorsque tous les téléphones portables des élèves sonnent en classe, le vertige de Julien quand son secret est découvert, la scène de l’alerte intrusion. François Civil est tout à fait convaincant dans le rôle de Julien, il nous transmet le stress, la peur qui gangrène son personnage, ses désillusions aussi. Le réalisateur fait le (bon) choix d’arrêter net son intrigue en plein climax, sans épilogue superflu.
PAS
DE VAGUES s’apparente à un film-dossier, tendu et efficace, fruit répétons-le
de l’expérience vécue par le réalisateur, dont on imagine qu’il sait de
quoi il parle. On regrettera une mise en image un peu passe partout, et des thématiques qui se dispersent faute d’être traitées en profondeur (les conséquences sur le couple). Et on reverra LES RISQUES DU MÉTIER d'André Cayatte (1967, avec Jacques Brel) auquel on pense beaucoup, réseaux sociaux en moins.
Couleur - 1h32 - format scope 2:39
Pour être scénariste maintenant, faut juste se brancher sur BFM WC... Bon, on attend le verdict d'un lecteur qui a bien connu ce milieu... :-)
RépondreSupprimerTout paraît parfaitement juste: le parapluie immédiatement ouvert par la direction, les menaces, l'absence de solidarité des enseignants (d'habitude, ça va encore plus vite: exemple, en conseil de classe, ou en réunion parents/professeurs, tout le monde regarde ses chaussures quand tu te fais allumer), les parents d'élèves qui orchestrent des campagnes de dénigrement, avec la FCPE à la manœuvre, FCPE d'ailleurs unanimement détestée par les profs, mais en off). Petite précision technique: tout fonctionnaire a droit à la "protection fonctionnelle" s'il est attaqué (en gros, l'administration se substitue à l'agent pour sa défense). En pratique, elle n'est quasiment jamais accordée. Pour faire flipper mon chef d'établissement, à une époque, j'avais rédigé un courrier demandant cette protection, avec rappel des textes...etc. Censée passer par la voie hiérarchique (établissement, rectorat, éventuellement ministère), cette lettre n'est jamais partie: "vous comprenez, c'est très gênant - surtout pour vous (évidemment...) - , il va y avoir une enquête"...etc. Un podcast de l'émission Les Pieds sut Terre (France Culture) illustre très bien la question. Est-ce que ça suffit pour faire un bon film? Pas sûr. Le film de profs va devenir un marronnier, comme le buddy movie.
RépondreSupprimer"cette lettre n'est jamais partie" : c'est exactement ce qui se passe dans le film, lorsque le prof se rend compte que 1) l'établissement avait autorité pour porter plainte, or, on lui avait dit le contraire, que c'était à lui de porter plainte en son nom, et 2) se rend compte après avoir appelé le rectorat, que la direction du lycée n'avait pas envoyé la demande de protection.
RépondreSupprimerCQFD. Le type sait bien de quoi il parle.
SupprimerIls ont bien choisi les deux nymphettes, on voit tout de suite qu'on n'a pas affaire à des adeptes de la "liberté d'importuner"...
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