jeudi 29 juin 2023

LED ZEPPELIN "IV" (1971) par Benjamin

C’est un rêve angoissé et méditatif, une transe virtuose où se croisent les mémoires des géants du jazz, des grands compositeurs européens et des avant-gardistes du rock. Tant de choses furent dites sur « In the court of the crimson king » qu’il parait difficile d’en rajouter. C’est un monolithe tirant sa force des sentiments contradictoires qu’il inspire, le summum de l’innocence sixties en même temps que l’album annonçant sa fin. « And I know one day I’ll be crying », la voix fantomatique du roi cramoisi annonçait la catastrophe à venir sur un free jazz rêveur. « In the court of the crimson king » est un disque résolument pessimiste, la symphonie d’une humanité perdant ses rêves et ses idéaux. Les pleurs vinrent donc à Altamont, chaos infernal ramenant brutalement la génération hippie à la dure réalité. Les américains n’avaient pas besoin d’un tel spectacle pour prendre conscience de la pourriture de l’âme humaine, ils travaillaient déjà comme des damnés dans les usines de Détroit et assistaient au spectacle tragique d’émeutes raciales d’une violence inouïe. Cette violence de la Motor City nourrit la rage du MC5 et des Stooges, décupla l’énergie de Bob Seeger et Ted Nugent.

Dans cette histoire, « In the court of the crimson king » aurait dû être le dernier tour de piste d’un certain raffinement musical. Nous aurions alors assisté à un triomphe d’un certain nihilisme musical, charges enragées et riffs binaires seraient devenus l’alpha et l’oméga du rock près de dix ans avant les premiers glaviots punks. Mais tous les rockers n’ont pas la même histoire, musiciens anglais et américains ont construit deux cultures complémentaires mais distinctes. Là où les américains se sont réfugiés dans leurs traditions musicales, Grateful Dead se mettant à la country pendant que d’ex Jefferson Airplane redécouvraient les joies du folk blues, les anglais ne purent renier trop longtemps leur goût du raffinement et de la complexité mélodique.

C’est ainsi que, pendant que le heavy blues déployait ses ailes d’acier, les fils de King Crimson repoussaient sans cesse les frontières d’un univers sans limites. Hard rock et rock progressif avaient en commun leurs goûts pour les grandes joutes instrumentales et les récits fantastiques. La frontière entre ces deux genres devint vite de plus en plus floue, les rêveries moyenâgeuses de Jethro Tull répondaient aux fresques épiques d’Uriah Heep et autres T2 avec une intensité sonore digne de « Led Zeppelin I ». Les règles de composition périssaient les unes après les autres, violemment violées par ces aventuriers sanguinaires.

« Led Zeppelin IV » suit cet anticonformisme musical avec génie, brise totalement la règle voulant qu’un morceau doit être ancré dans un tempo stable. La révolution commence dès « Black dog », brillante succession d’explosions sauvages déclenchées par le puissant artificier John Bonham. Ce disque est aussi son disque, sa frappe retrouvant toute sa force bestiale sur le bien nommé « Rock’n’roll ». Chuck Berry lui-même dut rougir en entendant ce swing impétueux portant un riff capable de faire passer « Johnny be good » pour une chanson de midinette. L’auditeur retrouve ensuite le Led Zeppelin mystico folk du troisième album, « The battle of evermore » s’imposant comme la plus fascinante ballade folk que le groupe ait produite. Les voix de Robert Plant et Sandy Denis semblent saluer la mémoire de grands guerriers disparus, la guitare a la profondeur fascinante d’un instrument d’un autre âge. Cette fresque n’est pourtant que l’introduction du véritable summum de l’album, l’envoutant « Stairway to heaven »

L’histoire démarre paisiblement, le synthétiseur siffle comme une flûte enchantée et les arpèges achèvent de nous faire quitter cette triste planète. La batterie finit par entrer dans la danse, ses détonations discrètes annonçant l’apothéose à venir. Un solo que l’on voudrait interminable s’élève alors au sommet de cet escalier céleste avant que la magie des mots ne rejoigne celle des sons :

And as we wind on down the road

Our shadows taller than our soul

There walks a lady we all know                                                       

Who shines white light and wants to show

How everything still turns to gold

And if you listen very hard

The tune will come to you at last

When all are one and one is all, yeah

To be a rock and not to roll

Cette « femme que nous connaissons tous », c’est la grâce et l’intensité d’une musique s’étant émancipée de toutes règles pour atteindre une splendeur éternelle. Et ne croyez pas que la grandeur de « IV » s’arrête à ce coup d’éclat magnifique. « Misty mountain hop » construit de vertigineuses montagnes russes rythmiques, le duo Page / Plant se jetant dans les précipices ouverts par John Bonham avec une énergie rageuse de kamikaze. Revient ensuite le blues, mojo éternel qui connait une nouvelle épiphanie sur le swing lancinant de « When the leave break ». Il serait également dommage d’oublier le mélange de profondeur folk et d’agressivité heavy de « Four stick » et la douceur rêveuse de « Goin to california ». « Led zeppelin IV » est le chef d’œuvre d’un groupe qui après l’avoir dynamité à coups de bombes heavy blues, réinvente le raffinement sixties en dépassant les limites du prog et du hard rock.

Pour faire un pied de nez à ces journalistes voyant son groupe comme un vulgaire effet de mode, Jimmy Page décida de ne pas faire figurer le nom de son groupe sur la pochette. Mystérieux et fascinant, ce disque est la relique devant laquelle le monde n’a pas fini de s’incliner.


 

4 commentaires:

  1. Yep!! Led Zep IV !....Dans le bus qui m'emmenait au bahut (de mémoire en 78), un pote se trimballait avec ce skeud sous le bras. "Kèsseucè?" que je lui demande. "Toi t'écoutes Céronne et tu colles des photos de Grease sur ton classeur, pas pour toi...". Voilà comment j'ai appris l'existence de ce bijou...

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  2. Céronne et Bonham, même combat ! Ton pote était un homme de principe, c'est bien, une espèce rare.

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  3. Shuffle Master.2/7/23 16:04

    Ce n'est pas l'album que je préfère: j'ai toujours beaucoup de mal avec la face 2. Bien que je sois assez loin de ce style de musique, j'ai mis un point d'honneur à me mettre Rock and Roll dans les pattes. Étant une buse intégrale en solfège, j'ai passé beaucoup de temps à comprendre comment ça démarrait.....

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  4. Comme c'est la batterie qui entame le morceau, j'aurais envie de dire : peu importe comment et quand ça démarre, ça commence au premier coup (les autres n'ont qu'à suivre) ! Ensuite ce sont des croches, toute la beauté de la chose ne repose que sur les accents, les coups forts par rapport aux faibles. Tu penses bien que je suis suis collé aussi, on ne sait jamais, ça peut servir.

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