Dans les derniers reflets ocres d'un soleil déjà caché derrière l'horizon, la crainte de la nuit si proche pousse un harmonica à se lamenter. Là, une basse boueuse s’extirpe de la tourbe, imposant une boucle poisseuse et hypnotique. La batterie est tribale, primaire. Une guitare slide rouillée répond à l'appel des enfants de la nuit. Un chant testamentaire de cœur brisé, désabusé qui crie au monde ses aspirations teintées d'affliction. « Je confie mon esprit à l'eau. Je veux me couler dans la liberté dans laquelle je suis né. Mais c'est bon, je vais quitter ce monde comme je l'ai trouvé... Brisé, libre et dansant ». Ambiance crépusculaire (sundowner) et sulfureuse digne héritière du « Walking into Clarksdale » de Page & Plant. Après sept ans d'absence, The Answer fait son retour par la grande porte, à grand fracas d'électricité, de débauche d'énergie et de sueur.
Après un long silence, tant discographique que scénique du quatuor de County Down, on aurait pu le croire en une longue pré-retraite à durée indéterminée, voire faisant partie d'un passé presque glorieux (du moins en tant que groupe). Après un dernier album en 2016, « Solas », qui avait sérieusement divisé en tentant de se libérer des chaînes le liant au hard-rock qui avait fait son succès, en renouant avec des origines celtiques tout en les modernisant par le prisme d'un rock alternatif et pop, The Answer, exténué, vidé, décide de fermer boutique. Sans aucune assurance qu'un jour la troupe reprenne du service. Ainsi, " Solas " avait tous les attributs de l'album testamentaire.
Et puis voilà qu'en cette année 2023, - dont le premier trimestre s'annonce comme un bon cru en matière de rock dur, ces Irlandais font une rentrée remarquée avec un superbe album. Peut-être leur meilleur depuis "Rise", le premier et remarquable essai. C'est un album marqué par un franc retour au hard-rock / Classic-rock, mais qui ne suit pas à la lettre les vieilles recettes sur lesquelles le groupe a établi sa réputation. Dorénavant, son hard-rock, toujours parfumé de Blues, s'étire vers des pâturages de rock alternatif et de pop musclé. Parfois, au détour d'un refrain ou d'un pont, surgit même l'image tutélaire des compatriotes de U2 (sous sa forme la plus rock). Une référence peut être pas si hasardeuse que ça puisque la pochette de ce "Sundowners" est un hommage appuyé à celle de l'incontournable " Joshua Tree ". A moins que cela ne soit qu'une incroyable coïncidence 😁.
D'apparence plus sombre qu'auparavant, la formation ne manque pourtant pas de briller, en se présentant probablement sous leur meilleur jour. Comme libéré d'un poids, comme rayonnant dans la pénombre naissante d'une journée mourante. Si elle n'a plus la fraîcheur inhérente à ses jeunes années qui jaillissaient du bien nommé " Rise ", la formation rutile par une maîtrise et un savoir faire qui ne s'acquièrent que par l'expérience. Par le succès qui donne la confiance, tout comme les déboires qui procurent l'humilité.
De prime abord, avec un premier coup de semonce de swanp-Hard-blues ténébreux (ça sent le diable comme aurait dit le grand Alain), chanson éponyme, et un second, « Blood Brother »,qui n'est rien d'autre que du Glam-rock typé Gary Glitter, astucieusement barbouillé de fuzz souffreteuse, l'album paraît se conforter avec brio dans un certain classicisme. Cependant, dès « California Rust », The Answer embraye et prend son envol pour les cieux d'un heavy-rock à la fois classieux et raw, cru. Les Gibsons Les Paul sont restées au grenier, remplacées par des Fender Telecaster (que Paul Mahon a découvert en arrivant en France en 2017 - aujourd'hui, sur scène, il tâte aussi de la Strato) naturellement moins expansives et qui occupent moins d'espace. Judicieusement, un discret piano et orgue d'obédience Hammond se font fort, parfois de façon quasiment subliminale, de remplir quelques espaces qui auraient pu paraître décharnés (claviers tenus par Jonny Henderson, longtemps fidèle lieutenant de Matt Schofield, et plus accessoirement de Ian Siegal). Quand ce n'est pas l'harmonica de Cormac Neeson (un peu sous exploité).
Evidemment, et peut-être plus intensément qu'auparavant, la guitare de Paul Mahon resplendit, parvient à étinceler sans se mettre en avant, sans jamais écraser ses comparses. Aujourd'hui, l'ère du guitar-hero égocentrique semble révolue (même si Yngwie réfute cette assertion). Assurément, la voix singulière de Neeson, éduquée au Rock australien, mène la danse. L'âge aidant, ce dernier ne s'arrache désormais les cordes vocales qu'à l'occasion, ménageant son habile mix de R. Plant-B. Scott pour gagner en émotion et en personnalité. Une évidence sur les morceaux les plus calmes, tels que "No Salvation" qui frôle le gospel - du style chanté dans une quelconque ruelle coupe-gorge -, et "Always Alright", jolie ballade semi-acoustique terminant l'album sur une atmosphère plus lumineuse et optimiste. Cependant, il ne faudra pas oublier que la force motrice de ce quatuor ne repose pas sur les prouesses d'un ou deux individus mais bien sur l'ensemble du groupe. Ainsi, la section rythmique portée par James Heatley à la batterie et Micky Waters à la basse est exemplaire, renouant presque avec la maestria des grands duos des 70's.
Waters serait un bassiste à la croisée des Andy Fraser, James Jamerson (pour les pièces les plus funky) et Felix Pappalardi. Et comme ce dernier, il apprécie que sa basse résonne comme le courroux de quelques géants des glaces, appréciant de l'habiller de fuzz grasse et baveuse. De caractère relativement autonome (John Entwistle est aussi une influence prégnante de Waters), elle s'autorise quelques petits licks, provoquant la gratte lors de son solo sur "Livin' on the Line". Un titre dont le plumage évoque par bien des aspects celui des Black Crowes (avec qui le groupe a d'ailleurs tourné).
Plus totalement hard-rock, bien moins rageur, ce sixième album est pourtant probablement le plus personnel des Irlandais. Tant bien même les influences - anciennes et nouvelles (on pense parfois à Rival Sons) - ressurgissent forcément de temps à autre. Avec sept ans d'absence totale, The Answer aurait pu définitivement saborder leur carrière, néanmoins avec un disque de cet acabit, évitant tous les écueils des poncifs du hard-rock, des traits typiques et forcés, il resurgit plus fort que jamais et récupère sa place dans le peloton de groupes européens de Heavy-rock.
🎶🍀
Un bon album qu'on a plaisir à écouter, assez classique, carré, on est agréablement surpris par des refrains "pop", et j'aime évidemment les descentes d'orgue Hammond, instrument très présent. Mais pourquoi ce premier titre (la plus longue plage, pas la meilleure) qui détonne sur le reste, et pourrait effrayer le client ??
RépondreSupprimerOui, effectivement, "Sundowners" se démarque totalement, pouvant ainsi tromper sur la marchandise. Perso, z'aime bien, on dirait une jam entre Led Zep et U2 dans un tripot perdu au milieu du bayou. Probablement inutilement étiré, mais pour une intro, ça peut être pardonné.
Supprimerje ne connais qu'un seul disque des irlandais "Revival" que j'ai donc ressorti suite à ta chronique . J'avais un peu oublié ce groupe et c'est tellement bon que je vais acquérir ce " sundowners" . Dans la même veine j'aime bien Rival Sons aussi.
RépondreSupprimerA mon sens, Rival Sons sont probablement un cran au-dessus. Et en concert, ces Angelins sont particulièrement bons.
SupprimerCa, pour être classique, c'est classique... :-) Ce n'est décidément pas mon truc...
RépondreSupprimerLeur album "Solas" fait beaucoup moins dans le "classic"-rock. Mais c'est aussi l'album qui divise 🥴
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