Okay, peut-être qu'on rabâche parfois les mêmes choses, coups de gueule récurrents. Mais comment rester de marbre lorsque certains groupes sont totalement laissés dans le noir le plus profond, et qu'à côté, "dans la lumière", on glorifie un carré d'artistes, d'interprètes et de groupes qui sont aussi lisses que la peau d'un nourrisson. Comment rester impassible lorsque les médias mainstream résument la scène canadienne à Céline Dion, Avril Lavigne, Alanis Morissette et Justin Bieber ? 😱 Neil Young et Bryan Adams ? Des vieux, donc plus vraiment intéressants... Comment expliquer qu'un disque de l'acabit de ce "Now... Or... Nowhere" soit sorti dans une quasi indifférence générale ? Et que la firme Yves St. Laurent ait repris l'une de ses précédentes chansons pour sa publicité, n'y a rien changé.
Sauf en leur Canada natal et au Royaume-Uni.
C'est sûr que cet album est à des années-lumière de tout ce qui peut toucher de près ou de loin au r'n'bi, au rap, au rock indie, au Metal symphonique, au thrash, au death-métôl de la mort. On pourrait même avancer que ce serait une insulte au "bon goût" des radios de grande diffusion. Parce que ce groupe là, The Damn Truth, a incontestablement été nourri par la musique des années 70 et 60. Probablement principalement celle de 1966 à 1974-75. Il en ressort une formidable entité constituée de proto-hard, d'acid-rock, de Pop-rock à la Small Faces et Kinks, de l'incontournable Led Zeppelin (de temps à autre, tel un lutin farceur, surgit brièvement une mandoline). Le parallèle avec les Rival Sons (qui semble avoir aussi pesé sur la musique de ces Québécois), Blues Pills, Sheepdogs, Born Healer, Cosmic Trip Advisor, Children of the Sün, Heavy Feather peut aussi être fait à bon escient suivant les morceaux. Cependant, The Damn Truth semble irradier d'une aura "hippie". Pourtant, les égarements psychédéliques sont rarement cultivés par la maison.
Il est vrai que Lee-La Baum, la chanteuse guitariste, et Tom Shemer, guitariste lead, se sont rencontrés lors d'un festival hippie (proche de la mer de Galilée) - tous deux nus. Depuis, ils ne sont plus lâchés et ont formé un groupe (et conçu un garçon, 9 ans à la fin du mois, qui accompagne père et mère lors des tournées outre-Atlantique). Un premier disque en 2012 auto-produit, d'apparence très inspiré par Rival Sons, puis un second en 2016, "Fevilish Folk", plus sombre. Un très bon album qui a fait son effet, cependant ce quatuor de Montréal autonome, doit dépenser pratiquement autant d'énergie pour se produire sur scène, que pour tout ce qui rayonne autour de la promotion et de la distribution. Clips vidéo inclus. Ainsi, c'est assez tardivement qu'il s'attaque au troisième opus. C'est le célèbre Bob Rock qui s'attelle à la production. Un nom qui attise immédiatement la curiosité grâce à son passé (il cumule parmi les plus gros succès en matière de Hard-rock et Heavy-metal des années 80 et 90 - et encore quelques trucs commercialement bien honorables en ce début de siècle). Son nom fut parfois apposé au dos des pochettes en caractères aussi gras, sinon plus, que ceux des musiciens. Un nom souvent attribué au gros son - ce qui est réducteur - le Canadien ayant aussi travaillé pour Bryan Adams, Quireboys, Cher, Colin James, Electric Boys, et d'autres aux liens plus ténus avec le Rock, sans en avoir fait des cuirassés rutilants. Hélas, la réalisation a été sérieusement ébranlée par une panique mondiale, des restrictions diverses et des confinements successifs. Ne voyant pas la fin des restrictions, le groupe faillit sortir le fruit de leur travail réalisé à Vancouver sous forme Ep, avant de se raviser et de le finir à la maison, à Montréal. C'est le compatriote Montréalais multi-diplômé (par ailleurs linguiste reconnu et récompensé en ce sens) Jean Massicotte, déjà honoré de trois Juno, déjà producteur du précédent opus, qui est appelé à la rescousse pour finaliser le dernier tiers de l'album. On ne sait si ce dernier s'est calé sur la patte de Bob Rock mais aucune différence de tonalité ou de relief ne vient troubler l'excellente tenue de cet album.
En quelques mots, "Now Or Nowhere" serait l'émanation de saines vibrations "flower-power", délivrées avec une fièvre de heavy-rock dépouillé de ses scories machistes et égocentriques. Le tout entraîné par une chanteuse habitée, possédée par ses chansons, dont l'expressivité et la nuance font que, jusqu'à présent, on échappe à la redite et la monotonie. Lee-La Baum, sans faire preuve d'un coffre exceptionnel (du moins en apparence) - c'est qu'elle préfère chanter plutôt que de forcer sa voix -, se place en chef de bande, conduisant ses compagnons dans des circonvolutions mélodiques et rock'n'roll.
En étant plus véhémente sur le slow-heavy-blues irradié "Lonely", Lee-La se rapproche fortement de la blonde Elin Larsson de Blues Pills. Tandis que sur "Look Innocent", Lee-La et la troupe ressuscitent avec brio le fantôme de Janis Joplin, l'invitant à donner une leçon d'engagement sur une base usée de ballade heavy-glam US (comme quoi, leur culture musicale s'étend au-delà de leurs seventies chéries). L'intro écarte toute ambiguïté, tant la ressemblance avec les heavy-Blues sulfureux et meurtris de Janis est frappante. La suite étant plutôt une fusion de Janis avec Etta James soutenue par des adeptes du gros rock qui tache. Parfois, elle semble vibrer par tous les pores de sa peau, comme lorsqu'elle chante sur le Hard-rock garage "Full On You", comme électrisée par une forte intensité émotionnelle. Au bord de la rupture. "Je porte une bague au doigt. Je garde ta clef sur ma chaîne, c'est si lourd. La bague vient de ta mère, elle l'a depuis si longtemps. Qu'ai-je fait ? "
Le quatuor est parfois surpris d'être catalogué comme combo de hard-rock, se considérant plutôt comme une simple formation de rock'n'roll. Certes, les clichés inhérents au genre ne sont guère cultivés, cependant Tom Shemer semble intimement lié à toutes sortes de Fuzz ; de la même façon que Scott Holiday, qui pourrait bien être une source d'inspiration. En plus de celle de Jimmy Page, qui reste pour lui le meilleur - certains de ses soli furtifs en portent bien la marque. De plus, il ne se refuse pas quelques petits soli bien sentis, reposant principalement sur les gammes pentatoniques, usant de bends vertigineux et de licks typés bien enrobés de cambouis. Les morceaux - de cet album-ci - s'appuient rarement sur de gros riff. "Full on You" et "The Fire" faisant exception à la règle. Ce dernier, histoire d'un amour fort, trop fort, qui brûle par sa propre incandescence, pourrait être la rencontre entre Scorpions et Rival Sons.
Sinon, il y a bien "This is Who We are Now " qui ouvre le bal, mais ce serait plus dans le prolongement d'un Rock alternatif façon Kings of Leon, avec un peu plus de gras, que vraiment du gros Harderoque. Bien qu'ayant été promu premier single, jeté en pâture peu avant la sortie de l'album, et bien que mû par une belle énergie mordante, ce morceau peut paraître un chouia terne en regard des suivants. Déjà, le suivant "Tomorrow", nous ravit par son côté rafraichissant et fringant, alliant la morgue et la puissance d'un Rival Sons à la power-pop d'un Ash.
Le lumineux "Only Love" était initialement une ballade qui a été boosté sous les conseils avisés du gourou Bob Rock. Le groupe d'abord dubitatif a été enchanté par le résultat obtenu. Les lecteurs de la revue Classic Rock aussi, l'élisant "Morceau de la semaine". (également nominé par ce même magazine dans la liste des meilleurs titres de l'année 2022). "Seul l'Amour peut nous permettre de continuer à travers ce matin de notre époque... Je peux sentir la révolution. A genoux, toujours prier les dieux de l'argent. Je veux juste me perdre dans tes yeux tristes"
L'acoustique fait une brève apparition avec le lyrique "Everything Fades", avec un duo d'arpèges de guitare folk dans un style country-rock. Cependant, elles sont irrespectueuses, écrabouillées par la batterie-enclume et une section de cordes, peinant à s'en extraire. Mais c'est ce qui fait aussi tout le charme de cette bien robuste ballade.
De tout temps, rares sont les albums où il n'y ait pas un ou deux morceaux grevant l'ensemble. "Now Or Nowhere", lui, régale les esgourdes, excite les synapses, ravit le palpitant de bout en bout, et s'offre même le luxe de clore le chapitre sur un formidable et lumineux "Shot 'Em". Peut-être même une épiphanie. Débutant comme une ballade néo-sixties pimentée de refrains aussi galvanisant qu'une bourrasque sur de hauts sommets enneigés (avec un petit parfum typé The Verve), finissant dans une catharsis hard-rock où roulements de toms, soli, épanchements vocaux et vrombissement de basse s'unissent pour se détacher du réel. "Nous avions l'habitude de lever nos poings pour lutter pour ce qui était juste. Maintenant, nous fermons les yeux et bloquons la lumière.... Donner une chance à la paix est toujours une chose que nous chantons"
Il ne serait que justice de placer ce magistral et enthousiasmant "Now Or Nowhere" parmi les plus belles sorties de l'année 2021.
🎶🔑🌞
Eh oui Bruno, on râle, on vitupère sur le marketing à l'assaut de la musique, de la dictature de la variétoche
RépondreSupprimerBenjamin la semaine passée, toi aujourd'hui, et moi demain dans un billet consacré à Albert Roussel aussi apprécié en son temps que son ami Ravel…
Ah bonjour la prise de risque d'innover de la part des labels et organisateurs de concerts… :
Beethoven-Brahms-Mozart- Beethoven-Brahms-Mozart-Beethoven-Brahms-Mozart- Beethoven-Brahms-Mozart et retour chariot !!!!!!!!!!!!!
Et pour Ravel : Boléro-Boléro-Boléro-Boléro- Boléro-Boléro-Boléro-Boléro à toute les sauces même piquantes…
Sympa ton album, la chanteuse a une chouette voix bien juste. La vidéo 1 est poilante, ça démarre façon les Chaussettes noires :o))))
Ha tiens oui, Albert Roussel. Il me semble bien qu'il y avait ça chez mes parents (qui, un trop court temps, me passait des œuvres classiques). C'est assez calme d'ailleurs pour les petits zenfants-trop-sages-et-trop-mignons. 😁 Mais j'avais fini par l'oublier.
SupprimerC'est comme les documentaires "musicaux" que je consulte périodiquement avec un optimisme vain. Un maximum sur les "artistes" de rap et r'n'bi, quelques "vedettes" francophones, et quasiment rien sur le reste. En Rock, apparemment, depuis 70 ans, hormis Elvis, les Beatles et les Stones, y'a pas eu grand chose. Blues ? Merci Scorsese, sinon que dalle - sauf pour BB King après son décès (un minimum avec une discographie s'étalant sur cinquante ans et une carrière débutant dans les années 40). Le Jazz ? Miles Davis, basta. Maintenant, on nous bourre le .... avec Metalica (surtout ne pas bégayer...). Les gars sont sympas et pas idiots, mais y'a pas qu'eux. Loin de là. Et, à mon sens, bien meilleurs.
Même à la radio, c'est incroyable d'entendre toujours les mêmes tubes !
En fait, il semble n'y avoir aucun effort fait dans le sens de la découverte.
J'adore ton témoignage :
RépondreSupprimer"C'est assez CALME d'ailleurs pour les petits zenfants-trop-sages-et-trop-mignons."
Exemple : http://ledeblocnot.blogspot.com/2014/02/albert-roussel-symphonie-n3-charles.html
Je gagne deux points de tension à chaque fois :o)
Tout à fait vrai par contre pour ses insolites œuvres "de chambre" ; prévoir une grande chambre néanmoins.....
Dans mes souvenirs, c'était plutôt langoureux, presque planant...
SupprimerJe vous trouve injustes et aigris. Grace à la très belle soirée "les victoires de la musique" que j'enregistre tous les ans pour la regarder ensuite au calme, sereinement, en prenant des notes sur mon calepin, j'ai découvert plein des gens formidables et de 'révélations' qui seront les grands artistes de demain.
RépondreSupprimerBon, sérieux... y'a pas que les radios, télé, médias qui sont frileux et s'orientent vers ce qui peut rapporter de l'audience vite fait et donc attirer l'annonceur... (d'ailleurs, la radio la plus éclectique du monde est sans doute FIP, parce qu'il n'y a pas de pub, lorsque j'écoute une heure, je ne connais pas 99% de ce qu'ils diffusent !). Mais ce sont aussi les labels, les distributeurs, les tourneurs, c'est à eux d'investir dans leurs poulains s'ils y croient. Il y a plein de concerts à Paris dans des petites et moyennes salles, avec des groupes talentueux venus de tous horizons, et qui font le plein, sans promo institutionnelle.
J'aime bien The dawn Truth, j'ai écouté leur précédent, que je trouve presque mieux ! Seul petit bémol, un manque de diversité, je trouve qu'après un premier couplet, ils partent un peu dans la même direction, la chanteuse n'est pas très nuancée tout de même... Du coup, ça m'a conduit vers Quaker City Night Hawks, que je découvre, et c'est vachement bien !
"Devilish Folk" passe peut-être mieux sur ordi que "Now or Nowhere", mais il demeure nettement moins bon que ce dernier. "Devilish Fok" est plus naïf, plus brut, moins élaboré, et certaines chansons sont sans grands reliefs. On zappe, et quelques soli de Shemer sont... un peu "perce-oreille".
SupprimerNan, on ne peut juger cet album sur quelques écoutes distraites. Ni même en zappant sur TonTube.
Certes Lee-La n'est pas Nina Hagen
Quaker City Night Hawks, j'avais déjà écouté un truc ou deux, mais j'accroche pas. Là, à mon sens, ça joue beaucoup sur des stéréotypes avec des gros sabots et sans étincelles. En cherchant bien, il y a quelques bons trucs, notamment sur leur dernier album qui paraît être le plus rock.
SupprimerTerriblement original... Tous les genres sont comme certaines guitares : saturés.
RépondreSupprimerQui parle d'originalité ?... "une simple formation de rock'n'roll"...
SupprimerTous les genres... non, pas vraiment 😁. Sinon, inspiration période 68-74, certainement. Mais pas que.