mercredi 7 décembre 2022

DAMNATION " The Second Damnation " (1970), by Bruno



   Voilà un quintet qui est tombé dans les oubliettes, malgré le fait d'avoir réussi à sortir quatre albums. Un quintet qui a fait l'erreur de ne pas suivre les tendances de son époque, en restant encore trop marqué par la décennie précédente, celles des années soixante. Pourtant, le charme de nombre de ses chansons a fait que ses disques, après la folie du tout punk puis "métôl", sont devenus des objets de recherche pour les amateurs de musique rock typée 60's et début 70's.


   Il faut dire qu'en matière de marketing, ces jeunes gens étaient plutôt à côté de la plaque. En effet, sur quatre disques, ils ne changent pas moins de trois fois de patronyme, quand ce n'est pas le chanteur qui décide - recherche de reconnaissance - d'abandonner son nom de scène pour celui de sa naissance. Ainsi, de 1968 à 1973, cette formation passe de "The Damnation of Adam Blessing", à "Damnation" puis à "Glory". Pas l'idéal pour se constituer un public fidèle.

     Le groupe, originaire de Cleveland, est la fusion de rescapés de deux groupes locaux, Dust et The Society. Ce sont William Constable et Jim Quinn, respectivement chanteur et guitariste, qui, insatisfaits de leur groupe, lui reprochant de manquer de puissance et de consistance, demandent à Bob Kalamasz, Bill Schwark et Ray Benich de fusionner avec eux. Fait rare dans la profession, cette mouture ne changera pas jusqu'à la dissolution du groupe. Si ce n'est que sur le quatrième et dernier album, un claviériste est recruté.

     Le chanteur, William Constable, prend pour nom de scène Adam Blessing et propose ainsi pour nom de groupe "The Damnation of Adam Blessing". Serait-ce une façon de donner l'impression qu'il s'agit de son groupe ? Ce nom fait directement référence à un roman du même nom de de Mary Jane Meater, qui l'a écrit sous le pseudonyme de Vin Parker (elle en utilisa quatre autres), et édité en 1961 (non traduit en français).

     Le groupe tourne d'arrache pied et gagne assez rapidement une certaine réputation, jusqu'à devenir un client sérieux pour effectuer les premières parties des groupes - et non des moindres - dont les tournées passent par l'Ohio. James Gang (avec Joe Walsh), également de Cleveland, fait régulièrement appel à Adam Blessing pour chauffer la salle. Forcément, aussi, elle en vient à partager la scène avec leurs voisins d'en face - de l'autre côté du lac, le MC5 et les Stooges.


     The Damnation of Adam Blessing
est signé en 1969 par United Artist qui sort rapidement - dans l'année - un premier disque éponyme. Bien que les musiciens soient encore très jeunes, (seul Jim Quinn le plus âgé, dépasse la vingtaine) - (il a dû supporter une année dans l'US Air Force au Viet Nam avant de pouvoir retourner au pays et reprendre la musique), la formation affiche une assez belle maîtrise instrumentale. Sur ce premier essai éponyme - sous l'appellation déjà citée "The Damnation of Adam Blessing " -, la musique n'a que peu de rapport avec leur voisin d'en face, de l'autre côté du lac Éiré, Detroit. Encore moins avec leur voisin, James Gang. On dirait plutôt un rejeton de San Francisco qui aurait sucré son Acid-rock de consonnances British-Pop. Le groupe tâte même du Blues à la manière British avec un "You Don't Love You" dont le traitement vaguement jazzy le place entre John Mayall et Savoy Brown (celui des années 69-71). Mais c'est surtout sur les morceaux doux que la formation est la plus attrayante. Dès "Morning Dew" (de Tim Rose, l'auteur de "Hey Joe"), la voix d'Adam Blessing-Constable se fait remarquer. Chaude et limpide, pas réellement puissante mais s'imposant en sachant bien occuper l'espace, jusqu'à le faire sien. Elle s'inscrit au croisement de Chris Farlowe, de Victor Brox et de Barry Ryan ("Eloise"), avec un soupçon de Morrison. "Strings and Things", avec son clavecin et la réverbération du chant comme capté dans une chapelle, fait un retour dans le temps et nous plonge dans le Swinging London. Et sur "Dreams", l'orchestration doit beaucoup aux Doors. Ainsi, The Damnation of Adam Blessing, c'est un peu de tout ça, mais sans en avoir particulièrement la maîtrise, avec une personnalité encore floue. Bien qu'ayant un petit truc qui le démarque de la scène du Midwest.

     C'est avec le deuxième album,  "The Second Damnation", - sous un patronyme réduit à Damnation -, que le quintet se révèle sous leur meilleur jour. Damnation a consolidé son son et s'affirme dans un registre rock. Avec parfois une densité le rapprochant d'un proto-hard-rock. La basse notamment a pris du poids et du gras. Et si Ray Benich, d'après la photo de groupe de l'album, s'affiche avec deux double corps Kustom, dès "No Way", le premier morceau, on jurerait qu'il joue sur une tête West Labs "Fillmore". Celle là même qui donnait à Mel Schacher (de Grand Funk), un timbre crasseux, souple et musclé, comme transitant à travers une fuzz. Cependant, bien qu'ayant décidé de se lester d'un peu de plomb, ce sont sur les morceaux les plus lents, que la formation peut faire la différence. Au moment où les instruments réfrènent leurs ardeurs, permettant ainsi de profiter pleinement du chant et des chœurs.


 Apparemment, Uriah Heep et Grand Funk Railroad, qu'ils ont accompagnés en tournée (bien plus intensément le second, of course), ont laissé leur marque.

     Parmi ces "moments tempérés", profitables donc au chant et aux chœurs, et où pointe une légère touche d'ambiance de vieille chapelle romane, il y a "Everyone". Un curieux mélange, entre ballade automnale et pop romantique, soutenu par un piano préfigurant le jeu de Billy Powell, porté par des chœurs hésitant entre Uriah Heep et Crosby, Still & Nash, - déchiré à trois reprises par un un élémentaire et naïf solo coloré de fuzz. Le tout lié par le jeu entrelacé du chant de Blessing et celui de Quinn. Puis l'enivrant "Money Tree", qui débute directement par une orgie de sons échappés d'une fiesta sous acide de Height Astbury, avant de subitement se calmer, de ralentir le tempo, pour laisser place à un prêcheur conciliant, s'adressant à ses ouailles avec douceur, sur un ton parfois implorant. Et puis le slow-blues aux parfums jazzy, "New-York City Woman", dans la veine du Aysney Dunbar Retaliation, hélas dégradé par deux guitares d'autistes, plongées dans des soli peu inspirés et autonomes.

   La brièveté de "Smile" l'écarte du lot. En fait, c'est un bref  hommage du groupe à l'un de leurs roadies que la conscription a pris dans ses rets pour l'envoyer au Viet-Nam ; et que les membres du groupe craignent de ne jamais revoir (et même s'il revient, ils sont conscients qu'il ne sera plus jamais le même). 


  Cependant, avec ce "second", ce n'est pas pour autant que Damnation se serait détourné du Rock ; au contraire, il a consolidé ce lien, et approche parfois, sans l'effleurer, la forteresse du Hard-rock naissant. Il y a comme une forme de parenté avec Steppenwolf, et puis, comme déjà décrit, les nombreuses premières parties effectuées pour Grand Funk Railroad, ont vraisemblablement eu un impact. D'autant que les rapports avec le trio étaient très bons, le groupe s'en souvenant comme de personnes avenantes et attentionnées (à l'inverse de ce qu'ont pu parfois raconter certains critiques).

  "No Way", qui sert d'ouverture, ainsi que "Death of a Virgin", en portent les stigmates. Notamment au niveau de la section rythmique - et quel dommage que la batterie n'ait pas été plus gâtée par la production (il convient de coller les esgourdes contre les baffles), car Bill Schwarcz balance parfois des patterns qui auraient pu faire esquisser un rictus d'approbation à l'acariâtre Ginger Baker. Le travail des choristes, soutenant inlassablement le chant de Blessing, lui donnant de l'ampleur en s'y collant, a également une importance primordiale dans le caractère singulier du groupe. Souvent, plus que les échappées "guitaristiques", ce sont eux qui auraient tendance à extraire le groupe de son enracinement.

    On a aussi un véritable petit bijou baptisé "Back to the River". Un sain voyage hallucinogène où la basse ondulante sert de médium, nous véhiculant à travers un paysage aux humeurs changeantes, évitant des éclairs - de guitares ombrageuses - déchirant le ciel. Un traineau fantastique (les "grelots" de l'intro et du coda), tiré par une batterie étincelante, aux patterns variés, riches en cymbales, traversant des volutes de brumes mauves de wah-wah et de douce fuzz. 

   "Driver", repris maintes fois par divers groupes de l'état, et "Ba-Dup",  suivent et se glissent dans les ornières creusées par les géniteurs du Hard-rock. Tandis que "In The Morning" patauge un peu en tentant de rejoindre la cause du Grand Funk pré-Phoenix. Malheureusement, l'album se traîne un peu sur la fin avec les "New-York City Woman" et "In The Morning", qui auraient ici gagné à museler les guitaristes. D'un autre côté, ça fait sept morceaux de qualité qui s'enchaînent sans faiblir.


   Pris en charge par l'agence DMA de Détroit, le groupe tourne souvent avec Alice Cooper, également dans la même agence. Les deux formations alternent alors équitablement les rôles, entre ouvreur et tête d'affiche. D
es années plus tard, Jim Quinn témoignera que l'Alice Copper Group était en avance sur bien des points, les surpassant alors en concert. Ce qui ne les empêchait pas d'être des gars vraiment adorables, "en dépit de leur chevelure terriblement longue et de leurs ongles vernis". 

     Malheureusement, le label et le management mettent la pression pour que le groupe retourne au plus vite en studio, et surtout qu'il compose un hit. Quelque chose de franchement commercial. Cela tout en continuant à être présents sur scène, de part et d'autre du continent. Il en sort un disque aux odeurs nauséeuses de gâchis, de bâclé. Parfois inutilement surchargé de cuivres et de cordes pour un résultat peu probant. Une gabegie car il y a là de la matière, de quoi faire un autre bon disque, probablement meilleur que "The Second Damnation" car on sent que le groupe a encore évolué. Hélas, "Which is the Justice, which is the Thief" se perd dans des épanchements pop plombés de violons - qui n'hésitent pas à couvrir l'orchestre - et de chœurs de comédie musicale. Heureusement, quelques morceaux rebelles, imperméables aux arrangements, sauvent l'album d'un naufrage total. (Sinon, la pochette est des plus sympathiques)

     En 1973, la troupe change à nouveau de patronyme. Pour un nouveau départ ou simplement pour un problème contractuel - le groupe change aussi ce label. La composition du groupe ne change pas, si ce n'est l'arrivée de Ken Constable - le frère de William - aux claviers. La musique est sensiblement la même si ce n'est qu'elle s'est parée de fer pour pénétrer dans un univers plus hard. L'album, sorti sous le seul nom du groupe, Glory, est vraiment bon. Peut-être aussi bon que ce "The Second Damnation". Pour les rééditions en CD, le disque portera la mention "Damnation of Adam Blessing", "Glory" n'étant seulement alors que le nom de l'album. Hélas, dépités, les musiciens abdiquent peu de temps après ce dernier album. Pourtant, malgré des albums difficiles à dénicher, et de sobres éditions CD européennes (sous Arkama) et une australienne (cumulant les deux premiers disques), le Rock'n'roll of Fame n'oublie pas le groupe lors d'une exposition dédiée à la scène de Cleveland.

     En 2020, les deux premiers albums ont eu droit à leur réédition en vinyle. Ce qui a surpris les anciens membres du groupe et permis de braquer à nouveau les projecteurs sur cette formation qui avait toutes les qualités pour faire une carrière bien plus honorable.

     A la suite du naufrage de Damnation/Glory, les frères Constable enchaînent rapidement avec une nouvelle aventure musicale sous le patronyme de Whyskey Britches ; une formation orientée Southern rock tendance Allman Brothers. Pour ne pas faillir à leurs (mauvais) réflexes, ils changent encore de patronyme, optant cette fois-ci pour un peu imaginatif Constable Brothers Band. Puis, aux débuts des années 80, pour "C.K.C.", en l'honneur d'un nouvel arrivant, le guitariste et chanteur Bob Kalamasz. Leur ancien comparse de Damnation.

     De son côté, Jim Quinn n'abandonne pas non plus la musique. Parallèlement à Adam Blessing, il jouait aussi dans un autre groupe, Wild Butter, auteur d'un hit, "Roxanna". Par la suite, il va s'occuper des débuts d'un tout jeune Neil Giraldo, avant que ce dernier ne rencontre la femme de sa vie, Pat Benatar. Plus tard, Quinn est promu directeur de publicité au sein de l'antenne New-Yorkaise d'Eagle Rock Entertainment.

(1) Aucun rapport avec le groupe New-Yorkais de Hard-rock brut où officiaient Kenny Aaronson et Marc Bell, futur Marky Ramones)


🎼😈

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