mercredi 1 juin 2022

PEBBLEMAN " Superfied " (2021), by Bruno



  

     N'avait-on pas écrit, dans cet actuel riche et intéressant blog (un des rares rendant intelligent - suivant de très récentes études) qu'il y avait un groupe de Heavy-rock qui déchirait tout ? Un quatuor composé de bien talentueux musiciens, qui n'ont aucunement besoin de se la péter pour faire impression. Il suffit de fermer les yeux et d'ouvrir grandes les esgourdes. On l'avait écrit ou pas ?!? 


   Alors certes, les lascars ne sont plus de prime jeunesse, difficile d'émoustiller les midinettes et intéresser les médias visuels, mais crénom di diou, on parle musique ! Pas d'une série pour adolescents attardés. En plus, "ach, gross malheur", la troupe crèche à l'autre bout de la planète, en Afrique-du-Sud. Pas facile alors de se promouvoir en Europe ou aux Amériques. Ou même au Japon. Ce qui n'a pas empêché un label indépendant yankee de leur ouvrir grand ses portes. Grooveyard Records, la boîte new-yorkaise friande de guitares pétaradantes et fumantes, a ainsi distribué leurs deux disques, dont l'excellentissime (le second) " Call of Fate ". Leurs deux uniques réalisations sont d'une telle qualité, en particulier la seconde, qu'on espérait avoir du rab. Car en matière de heavy-rock énergique, à la fois cru, pêchu et mélodique, voire classieux, il faut longtemps chercher pour trouver aussi bien sur les huit dernières années. Et puis voilà qu'enfin, après sept années (une éternité), le groupe accouche d'un nouvel et remarquable enfant. Initialement et modestement, cette dernière réalisation auto-produite n'est sortie que sur la petite boîte personnelle de Richard Pryor, le guitariste, compositeur et producteur du groupe.  Evidemment, Grooveyard s'est empressé également de distribuer le petit dernier (en 2022). 

     La formation, c'est Pebbleman, originaire du Cap, et constituée de musiciens aguerris, déjà forts d'une certaine expérience avant de se réunir en 2011. Des flibustiers au long cours qui n'ont jamais cessé d'écumer les scènes du pays. Des lascars plus que compétents qui, s'ils avaient été lâchés en plein territoire anglo-saxon, auraient fait bien des ravages. Et point besoin d'artifices, de costumes ou de maquillage, de faces de minets amidonnés, juste de la très bonne musique. Il est vrai par contre que le jeu de scène accuse l'âge de ses belligérants, à l'exception du chanteur, Steve Jordan, visiblement le plus jeune, qui saute dans tous les sens, comme une puce sous amphés.


  Enfin, au crépuscule de l'an 2021, arrive donc en toute discrétion une troisième galette inespérée. (quand on pense qu'il y a des bouses - ou des arnaques - qui sont mises en lumière avec fanfares et spotlights, interviews et tout le tintouin, des mois avant leur sortie avec à la clé des articles dithyrambiques ). En dépit des sept années écoulées, Pebbleman a gardé la même personnalité musicale, si ce n'est que l'ingrédient funky est parfois un peu plus prononcé. Tandis que la tonalité est un peu plus crunchy. Mais c'est toujours un sacré heavy-rock d'habiles funambules effectuant entre eux des chorégraphies d'accords chiadés comme si c'était évident, un jeu d'enfant.

     "Searching" entame les festivités sous de très bon auspices, sur un pattern furibond de Kevin Gibson, en mode avalanche de toms. Ce qui contraste avec le chant plutôt mélodique, presque plaintif et interrogatif.  Un jeu qui aurait probablement réussi à éveiller l'intérêt de Ginger Baker. Toutefois, et ce en dépit de la fraîcheur qu'insuffle ce morceau, nous projetant sous les vents forts du Pacifique giflant les côtes du Kwazulu-Natal, ça paraît relativement plus conventionnel qu'à l'accoutumée. Cependant, rapidement, "Let's Go Crazy" relève la barre ; à la fois groovy et mélodique, voire radiophonique, ce morceau redonnerait même aux plus moribonds l'envie d'embrasser la vie, de se faire porter pâle au travail, de fuir à toutes jambes l'aberrante folie des centres urbains, de s'échapper pour se ressourcer, ou de communier avec une nature ne portant pas encore trop de cicatrices.


   Plus surprenant, le morceau éponyme œuvre carrément dans le funk-rock, surfant sur le meilleur des Red Hot Chili Peppers. A une différence près : les Red Hot n'ont peut-être pas pondu un morceau aussi bon que ce "Superfied" depuis quelques années (décennies ?). Et l'autre, le Kevin, vissé sur son tabouret derrière son kit de batterie assez minimaliste qui tricote des baguettes comme s'il avait trois ou quatre bras. La température chute d'un demi degré avec "I Don't Care" où néanmoins Pryor profite d'un break en mode blues-rock pour accoucher d'un solo tout en feeling. Simple sur le papier mais joué avec une justesse rare. 

   "Edge of Nails" semble marquer une pause en entamant une triste ballade, relatant l'insatisfaction quasi permanente des gens, leur nervosité à fleur de peau ; mais les loustics débordent d'énergie et durcissent rapidement le ton tout en élevant le tempo. Pas trop, mais suffisamment pour l'extraire du cadre de la ballade. "Motherless Child" remet le groupe sur les rails d'un heavy-rock franc du collier, mais toujours avec une touche de Soul, amenée par le chant puissant de Steve Jordan. Un peu comme auparavant David Coverdale. Toutefois, bien qu'appuyée et martelée sur les premiers mouvements, la chanson se laisse un instant emporter par un courant plus funky, à peine teinté psyché, avant de se faire chambouler par une chaude bourrasque bien heavy. Entraînant, on en vient à répéter les paroles bien malgré soi. " Sometimes ! I Feel ! Like a mooOootherless chiiiild ! 'cause you don't love me nooww". 

   "Pretty Little Lies" vaguement plus pop, malgré une intro franchement Blues-rock, d'une structure d'apparence plus simple, marque le pas et annonce une suite moins échevelée et enthousiasmante que les six premières pièces. Question de relativité, car ça demeure toujours d'un haut niveau. "Don't Tell Me" fait dans le blues-rock, du genre robuste (limite hard-blues) et saupoudré de quelques réminiscences jazzy, évoquant sans détour les albums du genre de l'impressionnant Scott Henderson. Amusant, "High Alert" semble retraiter un vieux hit funk des années 80, - il y a un peu de "Let's Go Crazy" de Prince -, en le peignant de teinte Blues-rock. Pour le final, le groupe lâche un gros et pesant bloc de Hard-blues proto-Metal, proche de celui prisé par Black Sabbath et Budgie. "Set Me Free" prend tout son temps pour tirer le rideau (plus de sept minutes) et clore un quasi magistral troisième chapitre. Pryor enclenche la grosse disto (coloration Boss D-1) et envoie du lourd. Coda sur une frénésie baignée d'Octavia, ou de fuzz couplée à une Whammy, coupant l'herbe sous les pieds de Wolfmother.

     Cinquante-huit minutes et des poussières ?? 😲 On n'a rien vu passé. C'est déjà fini ? Allé, zou ! On s'en remet une bonne rasade. Vingt dieux ! " Superfied " est un album revigorant, alliant la souplesse du funk à la hardiesse du Hard, le velouté (pimenté celui-là, comme velouté) de la Soul avec la puissance et la rudesse du Heavy-blues. 

     Si Pebbleman est avant tout la concrétisation de l'inspiration du phénomène Richard Pryor (1), la musique ne repose pas uniquement sur sa guitare et le chant nerveux et mélodique de Jordan. Ainsi, il est nécessaire de rendre justice au talent de Kevin Gibson - quelque part entre Ginger Baker, Chad Smith et Brian Tichy (si, si) -. Pryor dit qu'il est capable de jouer de tout et on a aucun mal à le croire, avec son jeu soutenu, riche et pertinent, débordant de swing, toujours collé au rythme, en osmose avec les cordes (six et quatre) même quand il s'excite et dégaine des cascades de fills assassins. Un régal. 

Pryor a invité le multiinstrumentiste sud-africain Morne Toua pour enrober le tout (une bonne grosse partie) de claviers typés Hammond. Autant pour gagner en épaisseur, donner du jus, que pour adoucir ses Stratocaster modifiées (par un humbucker en position chevalet - classique) qui peuvent se révéler tranchantes. Un apport discret mais bien présent, presque subliminal mais concret. 


(1) Le nom même du groupe doit être un clin d'œil humoristique à son crâne lisse et rond comme un galet. Celui de Jordan est pas mal aussi dans le genre.


🎼🎶🌞
Autre article / PEBBLEMAN : " Call of Fate " (2014)

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