mardi 19 octobre 2021

MIDNIGHT EXPRESS (1978) d’Alan Parker - par Pat Slade


Pendant vos vacances en Turquie visiteriez-vous une prison ? Non n’est-ce pas ? Et pourtant William Hayes va prendre un allez simple pour l’enfer.



Une Sale Histoire avec un Grand Hash


«Midnight Express» : un film qui me traumatisera. J’avais tout juste l’âge légal pour aller le voir quand il sortira en 1978 (Il était interdit au moins de 16 ans) mais ce genre de cinéma ne m’inspirait pas du tout ou du moins pas encore. Quelques années plus tard je le visionnais de nouveau et je ne me doutais pas du traumatisme qu’il provoquerait dans ma vie. En 1992, je suis parti en routard en Turquie, le passage par Istanbul est obligatoire. La grande Mosquée, la Mosquée Bleue, Le grand bazar, la maison de Pierre Loti, etc... Parcourir le monde c’est bien, mais il faut rejoindre ses pénates et à moins de revenir à la nage par le détroit du Bosphore, quelques soient les moyens, il faut passer la douane. Et quand il faut passer celle de l’aéroport de la capital turque, c'est à ce moment-là que les images du début du film te reviennent en mémoire. Je n’avais pas deux kilos de hachisch autour de la taille et tu remarques tout de suite que les douaniers avaient exactement les têtes inquiétantes et soupçonneuses que dans la fameuse scène de la fouille des bagages de William Hayes. Même si tu n’as rien à te reprocher, à la manière dont ils te regardent, tu te sens coupable et tu te vois déjà moisir au fond d’une sordide geôle turque.

William Hayes surnommé Billy (Brad Davis) a 23 ans en 1970 et il est en vacance en Turquie avec sa petite amie Susan (Irène Miracle). Voulant se faire de l’argent, il va essayer de passer deux kilos de hachisch fixés sur son corps mais tout ne va pas se passer comme prévu. En état d'alerte élevée pour cause d’attentats terroristes, tous les passagers sont soumis à une fouille au corps, Billy est arrêté. Pris en charge par un américain qui sert d’interprète. En dénonçant celui qui lui a vendu le hasch, il cherchera à s’enfuir. Il va se retrouver à la prison de Sağmalcılar (Qui depuis est devenu une zone d’habitation). D'abord condamné à quatre ans d'incarcération, il est rejugé et sera condamné à trente ans pour trafic de stupéfiant. N’ayant plus rien à perdre, il décide de «Prendre l’express de minuit» autrement dit se faire la belle, se faire la malle, se carapater… s’évader !

 

Brad Davis - William Hayes
Voici en quelques lignes l’histoire de William Hayes, mais le film d’Alan Parker ne reflète qu’une partie de la réalité et je suis là pour vous narrer cette triste histoire. A propos du fond du film tout est pratiquement vrai sauf que le scénariste Oliver Stone a surdramatisé le scénario par rapport à l’intrigue d’origine.

Les murmures inintelligibles en turc, ainsi que la mélodie étrange de Giorgio Moroder accompagnant chaque scène donnent le ton aux événements infernaux qui se déroulent lentement au fur et à mesure que le film avance. Billy Hayes n'était pas un routard américain et ce n'était certainement pas sa première fois en Turquie. Le film dépeint Hayes comme un débutant dans la contrebande de haschich qu'il voulait innocemment partager avec ses amis à Long Island. Mais, en réalité, Hayes s'était déjà rendu en Turquie trois fois auparavant, achetant et en revendant en contrebande aux États-Unis. Il achetait deux kilos pour 300 $ et les revendait ensuite aux États-Unis pour 5 000 $. Le jour ou Billy reprenait l’avion, il était seul et non accompagné de sa petite amie Susan, elle sera ajoutée par le réalisateur pour assurer une tournure un peu plus dramatique au synopsis.  

Rafiki (Paolo Bonacelli)    
Le premier soir de son incarcération, il demande une couverture à un autre prisonnier Rafiki (Rafiki est le «trafiquant» de la prison et le mouchard de service), Billy ira voler une couverture dans une  cellule voisine quelques instant plus tard, il sera agressé par les gardes, toute cette scène s’est réellement déroulée, la punition était un passage à tabac impitoyable d'un garde sadique connu sous le nom d'Ours (qui s’appelle Hamidou (Paul Smith) dans le film). Les pieds de Haye seront frappés brutalement et il sera agressé sexuellement. Vrai ou faux ? Et bien Vrai et faux, il a bien subi de graves coups de pied pour avoir volé la couverture, mais il n'a pas été agressé sexuellement. Les coups, également appelés «falaka», étaient considérés comme une raclée légère en prison. 

Billy - Erich - Jimmy
Les compagnons de misère de Billy, un américain Jimmy Booth (Randy Quaid), un suédois Erich (Norbert Weisser) et un anglais Max (John Hurt) et ce dernier est le plus attachant. Max, un détenu anglais qui pourrit lentement dans les murs de cette prison en ruine. Dans la vraie vie, Hayes s'est lié d'amitié avec un gars nommé Max en prison. Mais le vrai Max était un Hollandais plutôt qu'un Britannique. Hayes a commenté qu'il était surpris de voir à quel point John Hurt ressemblait au Max qu'il avait connu autrefois. Dans le film, les détenus portent des vêtements déchirés, ont les cheveux gras et emmêlés et de la saleté sur tout le corps.

John Hurt

Dans le cas de John Hurt, pour apparaître comme un prisonnier fatigué, Hurt a cessé de se baigner pendant la majeure partie du tournage du film. Il puait parfois tellement que ses collègues évitaient tout contact étroit avec lui. Son dévouement à son rôle était aussi dégoûtant qu'impressionnant. Six semaines sans douche lui a valu un Golden Globe Award, un BAFTA Award, ainsi qu'une nomination à l'Oscar du meilleur acteur dans un second rôle. John Hurt a accepté de jouer le rôle de Max sans lire le script, car à la seconde où il a vu le nom d'Alan Parker sur le film, il a su qu'il voulait le faire. C'est la seule fois où il a accepté de participer à un film sans bien comprendre de quoi il s'agissait ou quelles étaient les exigences. Hurt a avoué que jouer le rôle du drogué anglais était l'une des plus grandes expériences de sa carrière, malgré les longues heures et l'emploi du temps serré : «Nous avons travaillé comme des chiens et nous avons joué dur. Ce fut une expérience formidable». 

Billy et Erich
Mais tout n’est pas noir dans le film, il y a une scène de douche torride entre Erich et Billy. Les deux hommes se baignent, font du yoga, ils vont presque jusqu'au bout quand Hayes empêche Erich d'aller plus loin. Dans la vraie vie, Billy Hayes est allé jusqu'au bout. Et ce n'était pas seulement une brève rencontre sous la douche. C'était une relation en cours qui a duré un certain temps. La communauté LGBT était en colère contre la décision du réalisateur Alan Parker de déformer les faits.         

J.Hurt-B.Davis-W.Hayes-A.Parker 
Hayes a-t-il réellement arraché la langue de Rafiki ? La partie la plus sanglante su film qui montre Hayes devenir fou de rage envers Rafiki et le poursuivre en détruisant tout sur son passage pour finir par lui arracher la langue avec les dents. Cela n’est pas arrivé, cette scène était (heureusement) composée à 100%. Brad Davis portait une langue de porc dans sa bouche. Alan Parker a mentionné que même l’équipe du film était vraiment effrayée et n’avait aucune idée de ce qu’il allait casser ensuite tellement l’acteur était dans son personnage. Le tournage de ce plan a tellement bouleversé l’équipe de tournage qu’elle a dû quitter le plateau pour souffler. Brad Davis donnera tout sur les cinquante trois jours de tournage, étant un nouveau visage dans l'industrie, il voulait prouver sa valeur. Alors, il s'est poussé mentalement et physiquement au point où il n'était plus Brad, mais Billy. À la fin du film, Davis était «convaincu qu'il venait de passer quatre ans dans une prison turque au lieu de 53 jours sur un plateau de tournage à Malte », révélera Alan Parker.

Suite à cette scène, Billy est traîné de force dans la «section 13», un genre d’hôpital psychiatrique, les bas-fonds de la société turc. Billy Hayes a vraiment été transféré en hôpital psychiatrique mais de son plein gré. Il a fait semblant d'être fou parce qu'il savait qu’en HP il y avait beaucoup moins de sécurité, ce qui signifiait une plus grande chance de s'échapper. Selon lui l’asile dans le film est une réplique fidèle et le type étrange et émacié qui n'arrêtait pas de marmonner "cigarette, cigarette, cigarette" était une vraie personne que Hayes a rencontrée.

Irène Miracle est le seul personnage féminin du film, elle n’avait pas un grand rôle mais elle jouera la scène la plus intense du film, celle ou elle vient voir Billy à la section 13. La visite de Susan à l'asile psychiatrique était épuisante mentalement et émotionnellement. Il faudra plus de vingt prises pour obtenir ce que voulait Alan Parker. Le cinéaste a fait construire une boîte juste pour Irène Miracle et Brad Davis, pour s'assurer qu'ils obtiennent toute l'intimité dont ils avaient besoin (je n'entre pas les détails érotiques). L’actrice déclarera : «C’était assez difficile de tourner une scène comme celle-là, mais si nous avions eu toute une équipe de personnes qui regardaient, je ne sais pas comment j'aurais vécu cette journée». Brad Davis n’en menait pas large non plus à l’idée de tourner cette scène et il boira quelques cognac pour ce donner du courage. Pendant le tournage, la caméra est tombée en panne, ils ont donc dû faire une pause que Brad Davis arrosera copieusement. Quand la nouvelle caméra sera opérationnelle, l’acteur, lui, ne le sera plus.

Alan Parker supprimera les huit dernières pages du scénario. Le film se termine avec Hayes qui saute en l’air après avoir réussi à s’échapper déguisé en gardien après avoir tué Hamidou le deuxième salaud du film avec Rafiki. Dans la véritable histoire, Hayes n'a jamais tué l'Ours et volé son uniforme, il s'est échappé par bateau après avoir été transféré à Imrali, une prison insulaire à 17 miles (à peu près 27 km) au large, dans la mer de Marmara. Il ramera pendant des heures jusqu’à ce qu’il atteigne le continent. Après s'être caché pendant trois jours, il atteindra la frontière grecque.

Hamidou (Paul Smith)
Tout le film sera tourné à Malte, la soi-disant prison turc est le Fort Saint-Elme. De nombreux officiers «turcs» sont en fait maltais. Certains d'entre eux parlaient même maltais dans le film parce qu'ils avaient oublié leurs répliques turques. Hamidou interprété par Paul Smith est un acteur israélo/américain avec un CV qui va impressionner Alan Parker. Un physique impressionnant, un mètre quatre-vingt-dix, un gabarit de colosse (Il prendra la relève de Bud Spencer), des études à Harvard, des combats pendant la guerre des six jours en Israël et des films de kung-fu à Taiwan. La seule exigence de Parker était que Smith se rase la tête et enlève sa barbe : deux actes qui ont rendu l'acteur israélien terriblement nerveux ! Il proposa en plaisantant d'assurer ses cheveux au cas où ils ne repousseraient plus jamais.

Brad Davis
Brad Davis s’est retrouvé sous les projecteurs du jour au lendemain mais, tout aussi rapidement, il est passé à la drogue et à l'alcool et a détruit sa réputation en un instant. Davis a eu une éducation traumatisante (père alcoolique, mère sexuellement abusive), il deviendra une égérie dans le milieu homosexuel après son rôle dans «Querelle» de Rainer Fassbinder en 1982. En 1985, il est diagnostiqué séropositif. Il décédera en 1991 à l’âge de 41 ans. A sa mort les journalistes vont titrer : «premier acteur hétérosexuel à mourir du sida» cependant il aurait été bisexuel selon son épouse qui révélera plus tard que Brad Davis serait mort d’une overdose.

John Hurt - Brad Davis
Avec un petit budget de  1,7 millions de dollars et pas de noms mémorables à l’affiche, le film va rapporter 35 millions. Ce qui prouvera que vous n'avez pas besoin de beaucoup d'argent ou de stars célèbres pour créer un chef-d'œuvre cinématographique. Il suffit d’une scène ou deux pour comprendre pourquoi beaucoup de gens ont été choqués. 
 
Même si l’histoire de Billy Haye n’est pas une représentation exacte de son expérience et que le film suit un scénario exagéré et dramatisé, certaines salles vont en payer les contrecoups, en Australie un cinéma sera évacué en raison d'une alerte à la bombe associée à la projection du film. Au Pays-Bas, une salle sera incendiée.

Qu’est devenu William Hayes ? Après son retour au Etats-Unis, il racontera sa dramatique aventure et ensuite continuera à écrire sur son expérience avec deux autres livres : «Midnight Return: Escapeing Midnight Express» et «The Midnight Express Letters: From a Turkish Prison». Il fera plusieurs projets de théâtre ou il raconte son expérience. En 2016 un documentaire sera tourné sur le retour de Hayes en Turquie.

Le pays a été très sérieusement touché, les conséquences géopolitiques et les dommages économiques en raison de la façon dont il a été décrit dans le film d’Alan Parker n’y sont pas étrangères. Mais il ne faut pas croire que la Turquie se réduit à un film, c’est comme si tu allais en vélo dans la banlieue de Rome et que tu te le fasses voler ! (Dixit «Le voleur de bicyclette» de Vittorio De Sica en 1948). La Turquie ce n’est pas qu’une prison et des gardiens sadiques, c’est un aussi un pays magnifique.

                                                                           



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire