jeudi 8 avril 2021

FUZZ "Fuzz III" (2020) par Benjamin

Mais où était donc passé le plus hyperactif des rockers ? 

Cela fait déjà plus de dix ans que Ty Segall nous noie sous ses albums, sides projects, EP, et nous avons failli passer 2020 sans découvrir une nouvelle facette de sa folie garage rock. Certains ont alors dû se demander si ce bucheron ne s’était pas fait joaillier, si sa retraite ne cachait pas l’élaboration d’un joyau pop capable de lui ouvrir les portes de la gloire. C’est mal connaître celui pour qui l’urgence d’un disque enregistré à l’arrache vaut les plus long discours.

Le succès, il l’a déjà touché du doigt avec le glam rock ravagé de « Manipulator » et la critique lui baisa les pieds après la sortie du foisonnant « Orange Rainbow ». Sauf que Segall n’est pas là pour satisfaire les incultes oreilles du grand public, ou pour servir de porte-drapeau à une bande de plumitifs hargneux. Résultat, quand il voit les sirènes du succès s’approcher trop près de son champ de vision, il les fait fuir en jouant le rock le plus expérimental de son époque. Les observateurs les plus snobs se sont donc jetés sur « Emotionnal Mugger » ou « First Taste », sans réellement les comprendre.

Contrairement à ce que ces gens pensent, Segall se fout de l’avenir du rock, ne lutte pas pour entraîner derrière lui une armée de disciples. Sa vision du rock reste celle d’un gamin planqué dans son garage, et tabassant ses influences pour forger son style. Le rock moderne est trop poli, chacun de ses accords semblent demander à ses aînés le droit d’exister. Parmi les meilleurs élèves, des groupes comme Rival Sons ou Blackberry Smoke parviennent à s’élever au-dessus de la montagne d’ouvriers récitant leurs leçons issues des seventies.

Ty Segall, lui, a tué le père dès qu’il plaqua son premier riff, comme si son cerveau ne pouvait reproduire ce lourd héritage à l’identique. FUZZ est peut-être son projet le plus rassurant pour les puristes, celui qui permettait à chacun de ressortir quelques unes de ses références chéries. Puissant et énervé, le premier album de FUZZ profitait de sa force pour massacrer le free jazz psychotic de « 21st Century Schizoid Man », le temps d’une crise de nerf stoner rock. Cette proximité avec quelques grands anciens fut perçue comme le retour de l’âge d’or du heavy rock. Les cathédrales sonores du second album furent ainsi saluées comme un acte d’allégeance à la secte Black Sabbath.

C’est bien simple, cette musique est un miroir où chacun projette ce qu’il veut voir, oubliant au passage la sauvagerie et la folie sans égal du trio Segallien. FUZZ avait beau repeindre ses murs avec le sang des grand hard rockers, tronçonner le fantôme du hard rock seventies dans un massacre particulièrement violent, on ne voyait là-dedans qu’un retour du feeling de Tony Iommi.

Pour ce trois, FUZZ s’est donc attaqué aux apôtres maudits du classique rock, à ceux dont on n'a reconnu l’importance que plusieurs années après leur dissolution. Plus qu’aucun autre disque de Ty Segall, « Fuzz III » broie le cadavre du rock de Détroit avec un entrain fascinant. Ce meurtre n’est pas aisé, les fantômes des Stooges et du MC5 hurlent et se débattent dans de grands tabassages proto punk. La scène est incroyablement violente, les restes des frères Asheton sont profanés sauvagement par des riffs tranchants comme des tronçonneuses coupant un corps en deux.

Quand les guitares semblent s’attendrir sur ce martyr, quand le solo passe de la destruction à l’hommage, Ty Segall impose un changement de rythme radical. Sa batterie est un éléphant sautillant joyeusement sur un tas de reliques sacrées, variant la cadence de son martellement pour s’assurer que rien n’échappe à ses piétinements. Passage le plus respectueux, l’intro de
« Nothing People » évoque Ted Nugent dynamitant le « Good Morning Little Schoolgirl » de Chuck Berry.

Puis un solo de guitare poignarde cette référence dans le dos, avant qu’un riff gras ne lui fasse subir un outrage digne de César subissant ses 23 coups de poignard. Pour immortaliser ce meurtre historique, Steve Albini retrouve la production crue mais tranchante, qui fit de « In Utero » le plus grand disque de Nirvana.

Comme lorsqu’il s’occupa du groupe de Kurt Cobain, Albini devait se douter qu’il produisait ici un blasphème musical historique. Comme à l’époque de Nirvana, le rock semble aujourd’hui paralysé par un dogme mortifère, par des ancêtres élevés au rangs de dieux. Alors « Fuzz III » cloue ces repères issus des seventies, et les massacre avec 8 détonations libératrices. L’opération ne dure qu’une grosse demi-heure, il n’en faut pas plus pour réveiller le rock.

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