mercredi 10 juin 2020

MOXY " Moxy I " (1975), by Bruno


     MOXY, un groupe phare du Canada du milieu des 70's, qui est resté suffisamment longtemps dans le cœur des consommateurs de sirop d'érable pour se permettre une résurrection au vingt-et-unième siècle. Pourtant, dans le vieux monde, il est resté le secret bien gardé de quelques amateurs éclairés de la musique des années 70.


   L'histoire de Moxy débute en 1974, à Toronto, lorsque le groupe Leigh Ashford éclate et que le chanteur, Douglas "Buzz" Shearman, tente de recoller les morceaux. Buzz - qui n'avait intégré le groupe qu'en 1970 - souhaite continuer l'aventure alors que certains des membres fondateurs sont parti voir ailleurs si l'herbe était plus verte. Il remonte le groupe avec Kim Fraser à la basse, Bill Wade à la batterie, et Earl Johnson, ancien guitariste de King Biscuit Boy Band (le premier combo de Blues Canadien à percer aux USA). Fraser ne s'éternise pas et recommande Terry Juric pour le remplacer. Avec cette nouvelle mouture, le son se durcit, évoluant vers des sphères plus Heavy-blues, reniant la Pop et le psychédélisme qui résistaient encore sur l'unique 33 tours, "Kinfolk". Et l'orgue a été mis au placard au profit d'une seconde guitare, pour un peu plus de mordant et de rugosité. Leig Ashford avait déjà pris du poil de la bête avec l'arrivée de Buzz et sa voix de bûcheron nourrie au whisky de seigle canadien, mais là, la bande cherche ouvertement à intégrer le club des hordes de barbares chevelus qui écument l'Amérique-du-Nord et la vieille Europe, armés de leurs indécents murs d'amplis.

En conséquence la formation opte pour un nouveau patronyme : MOXY. Constitué de musiciens aguerris, le groupe jouit rapidement d'une bonne réputation scénique dans tout l'Ontario (connu même des grizzlis, des caribous et les castors).

     Un premier simple sort en novembre 1974. "Can't You See I'm a Star" est diffusé régulièrement par une importante radio de Toronto, au vaste réseau d'émission permettant de faire connaître le morceau jusqu'au fin fond de l'Acadie et de l'Ontario (hyperbole) et participant à son succès. C'est un hit dont la fulgurance attise la curiosité de la filiale canadienne de Polydor. Rassurée par la présence de Buzz Sherman, la filiale s'empresse de faire signer un contrat au groupe et de les envoyer prestement en studio, avec le soutien de Mark Smith l'ingénieur attitré du Bachman Turner Overdrive. Non pas quelque part au Canada, mais aux studios Sound City de Van Nuys (Los Angeles) que Smith a appris à apprécier lors de l'enregistrement de "Not Fragile" de Bachman Turner Overdrive.

   Cependant, des dissensions éclatent entre Earl Johnson et Smith qui finit par l'expulser du studio. Étrange comportement envers l'unique compositeur de cet album, également auteur avec Sherman. Il est aussi l'auteur-compositeur du hit "Can't You See I'm a Star" sans lequel rien ne serait arrivé aussi vite. D'autant plus que le groupe participe aussi à la production. D'autres versions assurent que c'est Johnson qui est parti en claquant la porte. Il doit certainement plus s'agir d'une fatigue commune imposée par des délais (deux maigres semaines) et un budget serrés. Le sujet de la discorde se porte sur les soli.


     Suite à cet éclat, et pour répondre aux impératifs des délais et aussi probablement pour des motifs pécuniers, le manager, Roland Paquin, profite de la présence d'une connaissance dans un studio limitrophe pour lui demander de l'aide. En effet, Paquin connait Tommy Bolin depuis qu'il avait organisé une tournée pour James Gang. C'est ainsi que Tommy Bolin - pendant l'enregistrement de "Mind Transplant" d'Alphonso Mouzon ? - se retrouve à jouer quelques soli bluesy bien sentis sur ce que certains nomment le "Black album" de Moxy. Cependant, il n'y a rien de particulièrement lumineux, si ce n'est que Bolin paraît tout de même être un plus fin bretteur que Johnson, même en dilettante.
On dit que Bolin avait été enthousiasmé par le Rock dur et l'énergie brute des Canadiens, cependant, la remarque de son frère, Johnny, donne hélas une image plus glauque, arguant qu'il avait fait ça parce que la monnaie d'échange était de la coke...
La présence de Bolin - désormais auréolé d'une nouvelle notoriété grâce à son incorporation au sein de Deep-Purple dans le courant de l'été 75 - sur une plage d'une demi-douzaine de chansons, va encourager une seconde édition de l'album qui, cette fois-ci, va couvrir tout le territoire Etats-uniens.
   Pourtant, ce n'est certainement pas Bolin qui fait l'intérêt de ce premier opus éponyme, même si la plupart de ses interventions sont savoureuses. En droite ligne de ses phrasés bluesy développés avec James Gang. C'est d'autant plus injuste que sur la plupart des biographie de Moxy, trône une image grand format du guitariste prodige. C'est presque insultant pour Earl Johnson, qui a tout composé.


     Enfin, ce qui semble vraiment manquer à Moxy, ce n'est pas un soliste mais simplement un second guitariste. Carence que Johnson va de suite combler en incorporant un ancien compagnon de route (au sein d' "Outlaw Music") en la personne de Buddy Caine. Ce dernier apparaît sur la pochette de ce premier jet alors qu'il n'y joue pas une note.


     Si la comparaison avec Led Zeppelin n'est pas hasardeuse (une fois n'est pas coutume), il serait injuste de limiter Moxy à un épigone du quatuor anglais. Effectivement, l'influence est parfois prégnante, notamment sur "Sail On Sail Away" qui doit beaucoup "Over the Hills and Far Away", avec ses parties de folk printanier enchaînées brutalement à des ruades de Gibson en rut. Et comme par pure provocation, Johnson glisse à deux reprises le riff archi-connu d' "Immigrant Song". Sacripant, va !!
Ou encore avec "Still I Wonder" qui marie de la même façon que le dirigeable le Funk lourd à un blues urbain et bitumeux.
   On pourrait aussi mettre dans le même panier leur premier hit - celui qui leur valut l'obtention d'un contrat avec la major Polydor - "Can't You See I'm a Star" dont le riff principal résonne comme un joyau égaré lors des sessions de "Physical Graffity". Toutefois, en vérité, précisément pour ce morceau là, si le groupe devrait rendre des comptes, ce serait plutôt au James Gang de Joe Walsh.
   "Time To Move On" retrouve aussi cette griffe propre à Joe Walsh lorsqu'il s'épanouit librement dans un environnement Heavy-blues.

   On pourrait par contre attribuer à "Moon Rider", avec son riff droit, basique et relativement pesant, l'écrasant poids du Bachman Turner Overdrive qui était alors une star au pays de l'érable. Toutefois, Buzz extirpe ce morceau d'une cadence métronomique de forgerons battant le fer en lui procurant un brin de lyrisme.

     Mais que l'on ne s'y trompe pas, Moxy n'est pas un tâcheron régurgitant maladroitement des plans scrupuleusement étudiés. Loin de là. Il fait partie de la division des groupes qui ont été à deux doigts d'accéder à un plus ample succès qui lui aurait ouvert les portes des stades. Une division d'ailleurs très riche en formations canadiennes... l'handicap de ne pas être citoyens américains ? Une question en suspens si l'on compare ce premier album de Moxy avec, par exemple, au hasard, les quatre premiers de Kiss.
Moxy est un des grands groupes de Hard-blues de la seconde moitié des années 70. Artisan d'un solide Hard-blues brut de décoffrage, préservé de crises d'ego génératrices de dérapages démonstratifs. Assez rugueux mais soucieux de s'enrichir d'un certain lyrisme ; principalement tissé par la voix éraflée de Buzz.

     Tous les morceaux sont de très bonne facture, seul, "Out Of The Darkness (Into the Fire)" semble traîner la patte. Toutefois, il porte en lui les prémices d'une facette de la NWOBHM. Lorsque le Hard-rock perd ses oripeaux Blues pour muer en Heavy-metal.

     Par contre, on se gardera bien de se pencher sur les paroles qui se perdent généralement dans des banalités de gentil et naïf macho, s’emmêlant les pinceaux en s'évertuant à essayer de faire de la poésie. Pourtant, Buzz semble y croire tant il chante avec une lumineuse force communicative.

     Si le groupe est resté dans les mémoires des Canadiens, et des Texans dont l'état fut pratiquement une seconde patrie pour la formation, tel un poissard, le grand succès - celui des têtes d'affiche et des stades noyé par une marée humaine - lui glissera toujours entre les doigts.
   Un certain reflet du triste parcours de Douglas "Buzz" Sherman dont la voix flamboyante promettait pourtant un bel avenir.
Dès son adolescence, Buzz chantait déjà dans un groupe, "Sherman & Peabody", dans lequel se trouvaient Greg Godovitz, futur Goddo, et Gil Moore, futur Triumph. Deux musiciens qui auront une carrière bien plus riche que la sienne. Avec Leigh Ashford, après un premier album plutôt réussi, les fondateurs quittent le navire, le laissant alors en plan.
   Ensuite, alors que la notoriété de Moxy ne cesse de progresser, les tournées incessantes ont raison de ses cordes vocales. Il doit malheureusement céder sa place. Ce qui va d'ailleurs être le point de départ d'un subit et rapide déclin de la troupe avec un virage mélodique qui ne va pas trouver son public.
   Après le décès de Bon Scott, il est l'un des chanteurs pressentis pour son remplacement - le courant était passé entre les Australiens et Moxy qui les avait invités à faire leur première partie pour une tournée au Texas, en juillet 1977 - . A savoir que sa voix est nettement plus éraillée sur le dernier disque de Moxy, "Ridin' High", auquel il ait participé.
Il réapparaît en 1982 avec ses anciens collègues de Moxy - Johnson et Wade - pour donner un coup de main à une jeune chanteuse du comté. Cela aurait pu être l'occasion d'un nouveau départ. Mais si miss Lee Aaron va s'envoler vers une belle et enviable carrière (aidée par son joli minois), la sienne va s'arrêter brusquement l'année suivante avec un accident mortel de moto (sa seconde passion) le 16 juin 1983.



 

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