vendredi 29 mai 2020

LES AFFAMEURS d'Anthony Mann (1952) par Luc B.


Les amateurs de westerns, qui dans leur immense majorité sont des gens biens, connaissent la pentalogie Anthony Mann / James Stewart (qui ont aussi tourné trois autres fois ensemble, mais pas des westerns). Ce n’est pas cinq, mais six westerns qui auraient dû voir le jour si Anthony Mann avait aimé le scénario de LE SURVIVANT DES MONTS LOINTAINS (1957). Pour l’avoir découvert récemment, ce (très bon) film est effectivement dans la lignée des précédents, scénarisé par le même Borden Chase, mais réalisé par James Neilson, qui aura fait 90% de sa carrière à la télé (Bonanza, Batman...). 
James Stewart au milieu des convoyeurs
Le cycle commence en 1950 avec WINCHESTER ’73, suivi donc en 1952 par LES AFFAMEURS, qui est aussi le premier film en couleur de Mann. Plusieurs éléments le rapprochent de JE SUIS UN AVENTURIER (1954) : le passé trouble du héros en quête de rédemption, accompagnateur d’un convoi, trahi et laissé pour mort avant de revenir à la charge, la ruée vers l’or en contexte.
LES AFFAMEURS est tiré d’un roman de Bill Gulick, dont les droits avaient été achetés par James Stewart« Bend of the snake » L’adaptation rebaptisée « Bend of the river » a peu de chose à voir avec le livre d’origine, l’auteur ayant même déclaré à la sortie que le seul point commun entre son livre et le film était les trois premiers mots du titre ! C'est d'ailleurs pour des questions de droits que « snake » a été remplacé par « river ». L'acteur avait réduit son cachet contre un pourcentage sur les recettes, et bingo, le film fut un triomphe.

Borden Chase, qui a aussi écrit LA RIVIERE ROUGE d'Howard Hawks ou VERA CRUZ d'Aldritch, a fait un boulot remarquable. Comme à son habitude il condense l’action dans des scènes courtes, fortes, chaque protagoniste a une importance dans une intrigue aux multiples péripéties, le film mêle l’histoire de l’Ouest (la fièvre de l’or) et la relation ambiguë entre deux hommes. Non sur le plan sexuel, mais sur l'amitié, le respect - qui partira en vrille.
Glyn McLyntock (James Stewart, d'une précision de jeu qui me laisse toujours pantois quelque soit le genre abordé) emmène vers l’Oregon un convoi de colons, dirigé par Jeremy Baile et sa famille. En route, McLyntock sauve du lynchage un certain Emerson Cole (Arthur Kennedy). Les deux hommes se (re)connaissent… Cole imagine que McLyntock est resté le même homme qu’il a connu, qui prépare un mauvais coup, et rejoint la caravane. Ses flingues et son couteau seront utiles pour se protéger des indiens. Formidable scène nocturne, silencieuse, caméra ras du sol, où rampant dans les herbes, Glyn et Emerson se débarrassent des indiens. La troupe parvient jusqu’à Portland pour y acheter des vivres. Laura Baile (Julia Adams, des faux airs de Jennifer Connelly et Liz Taylor, c’est dire… et qui était coursée à la nage par l'étrange créature du lac noir, dans le film du même nom, en 1954) la fille de Jeremy, blessée par les indiens, y restera en convalescence, avec Emerson Cole, qui en pince pour la belle brune.
Julia Adams et Arthur Kennedy
Le reste du convoi repart, les semaines passent, mais le matériel, le bétail et les vivres qui devaient être acheminés n’arrivent pas. McLyntock et Baile repartent à Portland. Le négociant Tom Hendricks a revendu leur commande. Sur les quais du port on voit les tonneaux de farine marqués à la craie : 10$, 20$, 50$ barrés d’un trait… puis 100$. D'où le titre français, Les Affameurs. Le film montre l’inflation des prix due à la ruée vers l’or, à l’arrivée massive de colons espérant faire fortune, largement arnaqués par quelques escrocs (on retrouve ce thème dans JE SUIS UN AVENTURIER). Les valeurs originelles de l’Ouest volent en éclat, comme l’amitié entre les hommes, devant la cupidité.
James Stewart
Il y a d’un côté le groupe de McLyntock, qui parcourt de longues distances, voyageant à la dure (on a droit à des scènes formidables avec les charriots, les mauvais coups des convoyeurs corrompus) et de l’autre le groupe d’Emerson Cole, à Portland, adoptant le mode citadin et vie presque bourgeoise. Anthony Mann réussit une fabuleuse scène d’action lorsque Glyn McLyntock récupère de force sa cargaison, une fusillade dans un saloon, la fuite vers le port où déjà on entasse la cargaison sur un bateau, aussitôt poursuivi par Hendricks et ses hommes.
Emerson Cole est reparti avec Glyn McLyntock. Les deux hommes sont liés par une même soif d’aventures, un passé violent, sont aimés de la même femme, Laura. Ils se sont mutuellement sauvés la vie, semblent quitte. Mais cela est sans compter l’appât du gain. Le chargement pourrait leur valoir une fortune s’il était revendu avec bénéfice à des prospecteurs plutôt qu’acheminé vers la communauté de Jeremy Baile. C’est le choix que fait Cole. Il abandonne son ami, mais ne le tue pas. Il reste un fond de respect dans la trahison ! Glyn McLyntock lui dira « Chaque fois que tu te coucheras pour la nuit, tu te demanderas si je suis là. Et une nuit, je serai là ». On pourrait dire que Cole représente ce que McLyntock serait devenu s’il n’avait pas changé. Lorsqu’ils se battent dans la rivière, leurs reflets semblent se superposer comme s’il s’agissait du même homme.
Rock Hudson, Kennedy et Stewart
Le film devient dès lors une course poursuite entre le groupe repris en main par Cole, et McLyntock. Mais qui poursuit qui ? Laissé seul et sans arme en pleine nature, Glyn McLyntock s’avère un redoutable prédateur, d’autant plus dangereux qu’invisible, Anthony Mann faisant le choix de ne plus montrer le personnage à l’écran, ou juste de très loin. Course contre la montre aussi parce que Cole part chercher du renfort, alors que charriots et bétail repartent seulement guidés par quatre personnages, Glyn, Laura, son père, et Trey Wilson, un joueur de poker qui se grise d’aventures, joué par le jeune Rock Hudson.
LES AFFAMEURS est une suite de scènes d’action remarquablement réalisées, rythmées (du 90 mn réglementaires), ça tombe comme des mouches, avec beaucoup de personnages, parfois pittoresques comme le capitaine du bateau et son second, qui se lamentent : « On aurait jamais dû quitter la Louisiane… ». Les femmes ont un caractère bien trempé, les paysages en technicolor sont sauvages et somptueux, voir les plans filmés depuis l'intérieur des charriots. Anthony Mann qui vient du polar injecte du Film Noir à son western, dans les cadrages, les ombres, la violence sèche. Rien d’alambiqué, un film en ligne claire, tout semble évident.
LES AFFAMEURS est un film que je peux revoir tous les ans. Un sans-faute, même si le personnage de James Stewart y apparait moins nuancé, sûr de ses convictions dès le début du film, et qui s’y tient. Sans doute L’APPAT (1953, 3ème opus du cycle) lui est encore supérieur par son parti-pris radical : un huis-clos en pleine nature, 100% en extérieur, avec seulement cinq personnages qui entrent dans l’histoire au fur et à mesure, un film dont il faut que je vous parle.

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La semaine prochaine : 
- back to France, ses gapettes, ses mômes et ses tractions 
- le film emblématique d'un courant esthétique 
- vaut bien plus que sa célèbre réplique

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couleur  -  1h30  -  format 1 :1.37          

            

7 commentaires:

  1. "On aurait jamais dû quitter la Louisiane"...Tu crois que ça a inspiré Lino pour son "On devrait jamais quitter Montauban" des Tontons Flingueurs ?...

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  2. C'est quoi next week: À bout de souffle... Pierrot le fou ?

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  3. La Louisiane, Mautauban... pourquoi pas ! Next week, niet, pas un Godard. A cette époque-là il était à peine né...

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  4. Ah...y'a Michel et Michèle dedans?

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